28 mai 1831 : l’abbé Grégoire agonisant, refuse de renier son serment constitutionnel de 1790

mercredi 29 mai 2024.
 

L’abbé Grégoire représente le symbole d’un phénomène faible mais récurrent dans l’Eglise lors de chaque période révolutionnaire : la volonté d’un retour au christianisme d’origine, collectif et éthique. Sur cette base, il a voulu christianiser la Révolution ; c’était son droit.

- Adversaire farouche du roi Louis XVI, il le dénonça comme un "monstre" en 1792 ; opposant à la peine de mort, il refusa de voter sa mort, c’était cohérent.

- Opposant déterminé de l’aristocratie féodale, il comprit très tôt qu’une "aristocratie des riches" cherchait à utiliser la Révolution française pour remplacer la précédente : il la dénonça tout aussi tôt.

- Il a gardé toute sa vie une cohérence progressiste, du petit curé janséno- richériste d’Embermesnil à l’évêque constitutionnel, du député montagnard de 1793 à l’opposant de Napoléon 1er, de la haine déversée contre lui durant la Restauration à son choix de la dernière heure qui donne le titre de cet article. De nombreux religieux réactionnaires ont voué aux gémonies ce républicain dans l’âme ; Grégoire méritait mieux de la part de l’Eglise qu’il a toujours considérée comme l’ensemble du peuple de Dieu.

Les révolutions lèguent toujours aux générations futures des personnalités emblématiques qui ont pu faire des erreurs (par exemple ses déclarations sur les langues régionales de France), connaître des évolutions, souffrir de contradictions diverses… mais qui ont mérité du genre humain.

Né en Lorraine en 1750, dans un milieu populaire (son père exerce la profession de tailleur d’habits), Henri Grégoire résume bien son choix de vie lié à ce camp social : « Né plébéien, ma roture remonte probablement à Adam, et je ne veux séparer mon affection et mes intérêts de ceux du peuple ».

Instruit successivement par deux curés de village puis dans un collège jésuite, il est ordonné prêtre en 1775, devient vicaire de Château-Salins puis Marimont-lès-Bénestroff. Devenu curé d’’Embermesnil en 1782, il lutte contre l’obscurantisme de ses paroissiens qui mêle « chiromancie, astrologie, mauvais goût et délire ».

Il participe dès sa jeunesse du courant chrétien influencé par l’esprit universaliste, démocratique et rationnel des Lumières. Il compte parmi ses amis des protestants et des juifs. Intéressé par les institutions démocratiques de certains cantons suisses, il s’y rend pour en mieux comprendre avantages et inconvénients. Il adhère à des associations philanthropiques liées à la franc-maçonnerie et au piétisme allemand.

En 1778, il rédige un « Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs » qui obtiendra, modifié, un prix de l’académie de Metz dix ans plus tard. Dans cet écrit, il informe ses contemporains de l’intérêt du milieu érudit juif lorrain connaisseur des idées de l’Aufklärung berlinois. Il dénonce les discriminations imposées à leur encontre par les Etats européens. Il argumente en quoi celles-ci sont cruelles, illégitimes et contraires à l’intérêt collectif.

Dans un contexte de crise économique et sociale profonde, les prêtres attachés à une paroisse constatent au jour le jour, la famine, l’oppression des paysans, la multiplication du nombre de mendiants... Ils subissent eux-mêmes la baisse des revenus alors que le haut clergé continue à se complaire dans l’opulence.

Crise de l’Ancien régime et convocation des Etats Généraux (5 juillet 1788)

La Lorraine représente alors un fief des idées progressistes parmi le clergé avec le développement du gallicanisme richériste qui veut insuffler plus de démocratie dans l’Eglise. Ce courant d’idées date de la fin du 16ème siècle, début 17ème ; théorisé par Edmond Richer, syndic de la faculté de théologie de Paris, il a subi une répression très dure mais a survécu dans le bas-clergé. Il est vrai que sa doctrine remet en cause le pouvoir féodal, royal, épiscopal, papal... « Chaque communauté a droit immédiatement et essentiellement de se gouverner elle-même, c’est à elle et non à aucun particulier que la puissance et la juridiction a été donnée »

Suite à l’assemblée provinciale de 1787, complètement manœuvrée par l’évêque, Grégoire contribue à animer un réseau de curés et vicaires locaux (pétition de 400 d’entre eux) qui réclame :

- le droit d’élire leurs propres délégués aux États provinciaux et généraux afin que le haut clergé ne monopolise pas toujours ces fonctions

- le vote par tête lors de ces réunions et non celui par ordre.

- la renonciation à tout privilège fiscal

Retenons que sur la fin de l’Ancien régime, Grégoire apparaît comme un symbole de "l’insurrection des curés". La préparation des Etats généraux constitue un moment propice à la fermentation de ses idées.

Cahiers de doléances et préparation des Etats Généraux, en mars avril 1789, accroissent l’aspiration à la justice sociale et l’implication politique populaire

Au printemps 1789, le voilà élu par le clergé du bailliage de Nancy comme député aux Etats généraux, mandat qu’il caractérise comme un « ministère sacré » ; âgé de 39 ans, ses idées démocratiques ont mûri depuis longtemps d’où une cohérence certaine de son action dès les premiers jours.

A la veille des Etats généraux de 1789, la crise pré-révolutionnaire s’aggrave : émeutes de Besançon et Amiens, émeute Réveillon (28 avril)

En 1808, sous le Premier Empire, il résumera ainsi son attitude début mai 1789 lorsqu’il prend ses fonctions d’élu aux Etats Généraux. J’arrivai « avec la haine profondément sentie et raisonnée de la tyrannie, et avec le respect également senti et raisonné pour les droits du souverain, cest-à-dlre du peuple ». Il ne fait pas de doute que Grégoire fait partie alors des quelques élus cohérents dans une Assemblée encore fort confuse sur le fond.

Grégoire joue un rôle décisif dans la fin des Etats Généraux formés de trois ordres (clergé, noblesse, tiers-état) et leur transcroissance en Assemblée nationale. Dès le 10 juin 1789, il écrit aux cent quatre-vingts curés, députés comme lui, pour argumenter cette nécessité. Il fait ensuite partie des premiers prêtres quittant effectivement les réunions du clergé comme Ordre privilégié pour rejoindre le Tiers Etat et former l’Assemblée constituante.

17 juin 1789 Les députés du Tiers état se proclament Assemblée nationale et s’octroient le vote de l’impôt

20 juin 1789 Serment du Jeu de Paume, symbole du combat pour la souveraineté populaire

23 juin 1789 : "Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes"

Lors de chaque crise révolutionnaire, chaque détail de chaque minute compte. Or, durant les 62 heures autour du 14 juillet 1789, c’est Grégoire qui préside l’Assemblée nationale ; Louis XVI se pose la question de dissoudre les Etats Généraux mais choisit de ne pas prendre ce risque.

14 juillet 1789 : la prise de la Bastille symbolise la fin définitive de la monarchie "absolue" et l’accélération du processus populaire révolutionnaire

Le 4 août, l’Assemblée nationale abolit les privilèges seigneuriaux

Grégoire intervient plusieurs fois dans les semaines qui suivent pour orienter les nouvelles institutions du pays d’une manière qui donne la possibilité aux vicaires et prêtres de jouer dans de bonnes conditions un rôle social dans leurs paroisses. Il intervient aussi pour éradiquer tout ce qui relève du droit d’aînesse.

Dans le contexte d’une révolution aussi profonde, où chaque jour amène de nouveaux débats, tout individu en position de responsabilité peut se tromper. A mon avis, c’est le cas du député Grégoire lors de la discussion sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le 3 août il intervient pour lier droits et devoirs ; or, l’Assemblée a évidemment raison de le refuser considérant que les droits sont liés à la condition de tout humain et ne peuvent dépendre d’un quelconque devoir ; cela n’empêche évidemment pas de considérer divers devoirs moraux comme nécessaires pour "faire société" et de les faire évoluer pour le mieux dans le droit positif.

Mû par des convictions morales et universalistes affirmées, Grégoire participe à la Société des Amis des Noirs qui réclame l’égalité civile des blancs et des hommes de couleur libres, la fin de la Traite et une émancipation progressive des esclaves.

L’année 1790 est marquée par la question de la Constitution civile du clergé.

Voici l’intervention de Grégoire sur cette décision qui va provoquer de graves divisions dans l’Eglise et dans la nation durant toute la Révolution :

27 décembre 1790 L’abbé Grégoire intervient devant l’Assemblée constituante en faveur de la Constitution civile du clergé

A partir de cette date, Grégoire joue un rôle central dans l’Eglise constitutionnelle française. Fin 1794, il participe à la fondation du groupe des "Évêques réunis à Paris". En 1795, il contribue à la fondation de la Société libre de philosophie chrétienne.

Lorsque la royauté est restaurée en France, le sectarisme imbécile des légitimistes, y compris cléricaux, trouve toute sa mesure dans l’oppression de l’Abbé Grégoire qui perd toute pension et doit peu à peu vendre toute sa bibliothèque pour survivre.

Sentant que sa mort approche, il demande à bénéficier du sacrement d’extrême onction. L’archevêque de Paris lui pose pour condition de renier son serment constitutionnel prêté durant la Révolution. En conséquence, la hiérarchie catholique refuse de lui accorder et l’assistance d’un prêtre et une messe funéraire.

Cette fermeté de l’abbé Grégoire dans ses convictions, jusqu’à son dernier souffle, malgré l’importance pour lui des sacrements de l’Eglise justifie de ne pas l’oublier.

Jacques Serieys

Sitographie :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C...

http://www.temoignages.re/indomptab...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_...

Création du Conservatoire des Arts et Métiers :

http://www.laprospective.fr/dyn/fra...


http://www.archive.org/stream/tudes...


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