Mirabeau, orateur de 1789

lundi 8 avril 2024.
 

- A) Pourquoi Mirabeau devint-il le lion de 1789 acharné à la perte de la royauté absolue et cléricale ?
- E) 1789 : Mirabeau, l’homme de la situation
- G) 1789 : Le lion Mirabeau terrasse l’absolutisme
- I) Mirabeau et la mise en place d’une nouvelle société

Né en 1749, le comte Gabriel de Mirabeau s’épuise durant 40 ans, de guerre familiale en aventure amoureuse, de dette en expédient, de prison (If, Joux, Vincennes) en fuite à l’étranger, de caserne en désertion, de liaison inavouable en initiative rocambolesque, d’analyse politique en récit pornographique.

En 1789, son profil constitue un point d’équilibre pour beaucoup de députés qui veulent imposer leur rôle législatif dans la Nation sans faire disparaître le rôle exécutif du roi. Par ses connaissances, son expérience, sa vive intelligence, Mirabeau s’impose alors comme l’emblème, le héros de "l’année incomparable".

Cependant, ce génial politique, cet orateur exceptionnel... reste le Mirabeau caractéristique de la noblesse pourrissante d’Ancien régime, fanfaron loin du Roi mais quémandant son aide financière, instable et vénal, favorable au compromis mais imprévisible pour cause d’ambition.

"Il se jura sans doute, dès le 5 mai, de poursuivre les gouvernants sans trêve pour leur arracher à la fois la Révolution, qu’il eût voulu conduire, et la monarchie, qu’il eût voulu sauver !" (Jean Jaurès)

Aussi, il se compromet ignoblement en 1790 1791 en marchandant un rôle de conseiller auprès de la famille royale (ses 200000 livres de dettes sont payées, 6000 livres de défraiement mensuel...) et meurt le 2 avril 1791, dépassé par le lent processus de radicalisation et politisation de la révolution.

Reprenons à présent ces différents points :

A) Pourquoi Mirabeau devint-il le lion de 1789 acharné à la perte de la royauté absolue et cléricale ?

De 1749 à 1789, il souffre des tares de l’Ancien régime, étouffant et arbitraire. Il veut remplacer cet enfer par une royauté politiquement plus démocratique (Constitution, élection d’une Assemblée, respect des droits individuels...). Dans le contexte de la crise politique, financière et sociale de 1789, sa détermination à obtenir de petites réformes va contribuer à l’explosion de la structure hiérarchique de la royauté française.

A1) La société d’Ancien régime présente des aspects autoritaires, hiérarchiques, qui ont profondément meurtri Gabriel Riqueti de Mirabeau, fils de marquis et lui-même comte. Signalons-en cinq :

- le rôle despotique du père. Le jeune Honoré Gabriel voit le jour le 9 mars 1749 aussitôt méprisé et détesté par son géniteur en raison de ses difformités physiques ("Il est des excréments dans toute race"), de son gros visage ("hure de loup", "gros piffre"...) à la peau bientôt hideuse suite à une petite variole mal soignée d’où d’innombrables pustules et crevasses. « Je vis très tôt que j’aurais toujours tort parce que je n’étais point aimé » constate ce fils. De plus, le père voulait que le fils tienne son rang mais en le privant de revenus, contradiction à la source de nombreux problèmes avec la justice. Quant à la mère, elle repart tôt vers son Limousin natal et jouera un rôle très limité vis à vis de son enfant.

- le caractère cléricalement maladif, hypocrite, étouffant, de la société d’Ancien régime vis à vis de la sexualité. Cela va valoir à Mirabeau avant 1789 plusieurs emprisonnements et un statut d’aventurier sans cesse recherché par des policiers.

- le fonctionnement discrétionnaire de la Justice d’Ancien régime avec par exemple les dix-sept lettres de cachet par lesquelles le père peut faire enfermer le fils dans une forteresse, le roi peut faire enfermer un écrivain, pour des raisons ridicules.

- Comme beaucoup de jeunes nobles de son âge, Mirabeau se passionne tôt pour la lecture d’auteurs interdits, décriés par l’Eglise : Descartes, Gassendi, Voltaire, Marmontel... Il en fera bon usage en 1789. Par contre, s’il a lu Rousseau, cela ne l’a guère influencé.

- Il fréquente beaucoup d’autres exclus du système, en France mais aussi lors de ses fuites à l’étranger. En 1789, il s’appuie sur une équipe de Genevois exilés ayant l’expérience des difficultés de leur révolution et de leur démocratie : Du Roveray, Dumont, Pellenc, Reybaz, Comps, Debourges...

A2) Quoique l’on puisse penser de son côté Casanova laid, le lion Mirabeau a suffisamment vécu avant 1789 pour ne pas être effrayé par le tigre de papier de la royauté, pour raisonner politiquement de façon froide dans les moments les plus chauds.

B) Une personnalité complexe, contradictoire

Pour décrire et comprendre la personnalité de Mirabeau durant la Révolution française, nous ne devons pas nous limiter à ces causes d’opposition au système. Il fut tout à la fois :

- une personnalité immense « Zoroastre, Mahomet, Jésus, Platon Brutus, Spinoza, Mirabeau, Moi » affirmait le philosophe Frédéric Nietzsche.

- un homme des Lumières appelant à la vertu citoyenne et un noble d’Ancien régime marqué par tous ses vices

- un homme moderne, dans ses réflexions sur la Nation par exemple et un homme du passé n’imaginant pas cette nation sans roi ni noblesse

- un orateur extraordinaire, Hercule de La Révolution dès que tonnait sa voix mais aussi un égoïste trafiquant de l’ombre

- un révolutionnaire conséquent poussant dès septembre 1789 à une solution radicale pour éponger la dette publique mais aussi un traître à la révolution complotant en secret dès le printemps 1790 avec les proches du Roi pour casser la dynamique sociale et démocratique afin de réaliser un équilibre à l’anglaise entre l’Assemblée et le Roi. "Mirabeau fut un génial contre-révolutionnaire" (Jacques de Cock).

En fait, Mirabeau poussait à une révolution démocratique bourgeoise du type anglais ou hollandais ; il voulait donc en finir avec la monarchie absolue liée au cléricalisme ranci. Mais lorsque le processus continu de radicalisation sociale et politique est allé trop loin pour lui, il a cherché à stabiliser un compromis entre la Révolution et la Cour.

C) Contribution à l’éclatement de la Révolution française

La classe possédante anglaise investit dans la production, le commerce, la finance ; la classe possédante française reste beaucoup plus liée à la terre. Le père Mirabeau (Victor) s’affirme physiocrate, le fils croit tout autant que l’agriculture fait la richesse des nations. L’enrichissement par la propriété foncière est beaucoup plus lié à une production réelle de richesse que les opérations financières mais il est aussi beaucoup plus lent. Dans le contexte d’une crise économique de type capitaliste de l’Ancien régime finissant, Gabriel Mirabeau s’attaque à la finance.

Dès 1787, il publie Dénonciation de l’agiotage.... Il y dénonce publiquement les opérations douteuses et coûteuses des milieux financiers en prenant le cas de l’abbé d’Espagnac « La spéculation qui dessèche Paris et précipite les fonds royaux dans la boue... le jeu effréné des millions n’ont d’autre mouvement que de passer d’un portefeuille à l’autre, sans rien créer si ce n’est un groupe de chimères que la folie du jour promène avec pompe. » Il place déjà ses espérances dans une vraie société nationale dotée d’un gouvernement porteur de l’intérêt général. Sa conclusion présage déjà le Mirabeau de 1789 « Aussi longtemps qu’une Constitution n’organisera pas le Royaume, nous ne serons qu’une société de différents ordres mal unis, qu’un peuple sans presque aucuns liens sociaux... Un tel Gouvernement convient peut-être à une armée mais non à un peuple nombreux, assis sur le sol qui lui appartient. »

L’ouvrage obtient un tel succès que le pouvoir réagit par une lettre royale de cachet afin d’enfermer l’auteur dans le fort de Ham. Prévenu de cette dix-septième lettre de cachet contre lui, Mirabeau fuit vers Liège puis la Prusse publiant alors Dix lettres d’un républicain sur les idées de Necker et Turgot et Monarchie prussienne.

A la fin de l’année 1787, Gabriel revient à Paris en se plaçant sous la protection du ministre Montmorin. Il comprend le caractère réactionnaire du combat des Parlements contre le Roi et propose déjà 1789 comme date de convocation des Etats généraux « La révolution ne saurait tarder, à moins que le roi ne convoque les états... Pourquoi ne pas demander 1789 ? »

Le 19 février 1788, il cofonde la prudente Société des Amis des Noirs avec quelques personnalités dont le nom va devenir familier durant la première Révolution (jusqu’au 10 août 1792) : Brissot, Lameth, Sieyès, Condorcet... En cette année 1788, il publie une Adresse aux Bataves sur le Stathoudérat qui lui permet de développer ses idées sur une nation moderne et efficace. Dans sa lutte contre le Parlement de Paris, le pouvoir essaie d’obtenir l’aide de Mirabeau connu pour ses qualités de plume ; mais celui-ci refuse "Quand la Nation, réunie et constituée, se sera donné une constitution, il sera temps de rendre les parlements à leur rôle judiciaire".

Le 8 août 1788, Louis XVI convient enfin de la nécessité de convoquer les Etats Généraux. Mirabeau va pouvoir donner toute la mesure de ses qualités.

D) Mirabeau candidat à la députation pour les Etats Généraux

Rappelons que des élections de 1789 se déroulent ainsi : dans chaque bailliage ou sénéchaussée, chaque ordre (clergé, noblesse, Tiers-Etat) se réunit séparément pour choisir ses délégués.

Comte en Provence, Mirabeau souhaite se faire élire par les nobles de cette province mais ceux-ci l’excluent de leur communauté. Il réagit publiquement de façon radicale « Dans tous les pays, dans tous les âges, les aristocrates ont implacablement poursuivi les amis du peuple… Ainsi périt le dernier des Gracques frappé de la main des patriciens. J’ai été, je suis, je serai jusqu’au tombeau l’homme de la liberté publique, l’homme de la Constitution. Malheur aux ordres privilégiés… car les privilèges finiront mais le peuple est éternel… Prenez garde, et ne dédaignez pas ce peuple qui pour être formidable n’aurait qu’à être immobile. »

De retour dans la province, il est accueilli triomphalement par les milieux les plus populaires parmi lesquels il perçoit déjà :

- une situation sociale exécrable « La misère est générale, les pauvres meurent par milliers dans les hôpitaux, le désespoir jette les autres dans le crime »

- la haine du « petit tiers » (paysans, journaliers…) contre le « gros tiers » (bourgeois).

En fait, la Provence vit déjà une situation pré-révolutionnaire avec 40 émeutes entre le 12 mars et le 15 avril. Celle de Marseille éclate le 22 ; des milliers de pauvres affamés et frigorifiés par la neige, envahissent le palais de l’évêque, puis l’Hôtel de ville, enfin la résidence de l’intendant (qui représente le roi). Mirabeau est appelé à l’aide par les autorités au moment où les magasins de blé vont être attaqués. Celui-ci crée une milice bourgeoise composée de négociants et de gens du peuple raisonnables ; il rétablit l’ordre sans tirer. Le 25 mars, c’est Aix qui connaît une insurrection locale massive ; Mirabeau se voit à nouveau appelé à la rescousse ; il met un terme au soulèvement par un discours rassurant que le Parlement trahit aussitôt le calme revenu en prononçant 18 emprisonnements et la pendaison du principal meneur, André le boucher (qui avait pourtant aidé Mirabeau à ramener le calme).

Elu du Tiers-Etat par Aix comme par Marseille, voilà Mirabeau en route pour Versailles. Son dernier texte publié sur les bords de la Méditerranée a fière allure « C’est avoir entrepris une fière et difficile tâche que de gravir le bien public sans ménager aucun parti, sans encenser l’idole du jour, sans autres armes que la raison et la vertu, les respectant partout, ne respectant qu’elles, ne reconnaissant d’autres marques que sa conscience et d’autres juges que le temps. Eh bien ! Je succomberai peut-être dans cette entreprise, en tout cas, je ne reculerai pas ! »

E) 1789 : Mirabeau, l’homme de la situation

Pourquoi, en quelques jours, devint-il le centre de tous les regards, de tous les débats ?

E1) A l’ouverture des Etats Généraux, les députés du Tiers Etat ne sont absolument pas des révolutionnaires. Ils cherchent seulement à fonder une nation moins dominée par les castes de la noblesse et du haut clergé, plus démocratique, plus soucieuse de son budget, de son économie, des aspirations de son peuple. Mirabeau a déjà beaucoup réfléchi à tout cela sans aller au delà d’une royauté à l’anglaise ; cette orientation le situe au coeur de l’Assemblée.

E2) A l’ouverture des Etats généraux, il a accumulé l’expérience et la clarté d’idées nécessaires pour affronter la tourmente d’une crise révolutionnaire :

- une haine de l’Ancien régime hiérarchique, clérical, hypocrite…, accumulée de prison en prison, aussi forte que parmi les couches les plus pauvres mais plus rationalisée

- une connaissance précise de l’Europe par ses émigrations successives en Hollande, Prusse, Angleterre

- une compréhension des mécanismes économiques et financiers assez rare à l’époque

- une maîtrise des idées du Siècle des Lumières par ses lectures mais surtout par sa participation à des loges de la franc-maçonnerie, à la Société des Amis des Noirs, surtout à la Société des Trente qui a joué un rôle important dans l’éclosion de la Révolution.

E3) Il n’existe pas de sonorisation à l’époque. Personne n’entend Louis XVI par exemple, au delà de 3 mètres. Mirabeau, lui, se fait entendre sans forcer sa voix, des 1200 élus.

E4) Les discours de Mirabeau comme ses écrits sont empreints d’un lyrisme extraordinaire, fait pour emporter l’adhésion des indécis. Mieux, ils atteignent la valeur historique de 1789.

F) 1789 : Mirabeau pour la liberté de la presse

Dès le 2 mai 1789, il fait imprimer à 3000 exemplaires, sans autorisation, son Journal des Etats Généraux. Succès immédiat pour ce numéro, de même pour celui du 3, puis celui du 4 mai mais le Conseil du Roi interdit "tous journaux imprimés sans autorisation". Nouveau succès pour le dernier numéro, celui du 5 mai.

Pourquoi ces feuilles sont-elles achetées sitôt mises en vente ?

- parce que Mirabeau tape fort sur les mesquineries protocolaires de la royauté qui lui tiennent lieu de politique. Nobles et religieux franchissent des portes ouvertes à deux battants par les huissiers (à un battant pour le Tiers) ; ils s’installent en premier dans la salle, devant, très lentement, alors que les députés du Tiers attendent longtemps avant qu’ils soient bien installés, dans le couloir avant de se serrer au fond, sans rien pouvoir entendre ; ils sont bien habillés alors que les élus du Tiers, en courts manteaux noirs obligatoires ressemblent à des bedeaux...

- parce qu’il se fait le porteur de la dignité du Tiers face aux ordres privilégiés « Espérons que les représentants de la Nation... au lieu de donner à l’Europe le spectacle de jeunes écoliers échappés de la férule, ivres de joie parce qu’on leur permet un jour de congé de plus par semaine, se montreront des hommes »

- parce qu’il est d’autant plus exigeant que ses exigences sont logiques et modérées. Pour lui, l’Assemblée des députés doit bénéficier d’un pouvoir politique égal à celui du roi.

- parce qu’il s’en prend violemment et nommément aux puissants qui accaparent l’argent du budget national « Quelques livres à la famille du chevalier d’Assas pour avoir sauvé la France, des millions à la famille de Polignac pour l’avoir perdue. »

Lors d’une réunion des député du Tiers Etat, il fait voter une motion magnifique contre la censure des livres et journaux « Un bon livre est doué d’une vie active comme la main qui le produit ; il conserve cette prérogative des facultés vivantes qui lui donnent le jour. Le bienfait d’un livre utile s’étend sur la Nation entière, sur les générations à venir ; il grandit, il féconde l’intelligence humaine ; il multiplie, il prolonge, il propage, il éternise l’influence des lumières et des vertus, de la raison et du génie ; c’est leur essence pure et précieuse que l’avenir ne verra pas s’évaporer ; c’est une sorte d’apothéose que l’homme supérieur donne à son esprit afin qu’il survive à son enveloppe périssable. »

Du 10 mai au 24 juillet, il persévère, toujours sans autorisation, en publiant sa célèbre Lettre du Comte de Mirabeau à ses commettants par laquelle il informe ses électeurs de son action. Le 19 mai, le Conseil du roi reconnaît son impuissance à casser une audace aussi populaire et annule son interdiction du 5. Mirabeau voit aussitôt plus grand et sort Le Courrier de Provence.

G) 1789 : Le lion Mirabeau terrasse l’absolutisme

Dès le 6 mai, la royauté profite de l’inexpérience et de la couardise des députés du Tiers pour imposer les réunions et les votes par Ordre (noblesse, clergé, Tiers Etat) séparés.

Mirabeau et quelques autres élus (Bretagne, Dauphiné) prennent une initiative astucieuse : refuser la vérification des mandats par ordre séparé, point non clarifié dans le Règlement des Etats publié par Necker. Cependant, ils sont laminés par l’attitude moutonnière de leurs collègues qui adoptent un règlement provisoire des Etats validant la séparation en trois corps distincts.

Durant un mois, Mirabeau défend ses principes ; l’Assemblée du Tiers prend le nom de Communes sur sa proposition ; il se bat contre une seconde chambre « On ne peut mettre en opposition les intérêts de 200000 privilégiés et ceux de 25 millions de citoyens ». Cependant, il ne pousse pas à la précipitation qui pourrait entraîner une marginalisation. Jaurès résume bien la tactique du député d’Aix « Entre les deux blocs des privilégiés, il s’essayait à faire passer la Révolution ». Le 17 juin il sous-estime le rapport de force en refusant de nommer Assemblée Nationale les réunions du Tiers mais il se rattrape aussitôt en faisant décréter illégaux tous impôts non votés par elle et en la décrétant garante des créances de l’Etat. Le roi en manque d’argent ne peut plus dissoudre les Etats.

Le 19 juin, 47 nobles libéraux et 140 membres du clergé rejoignent cette Assemblée nationale.

Le 20 juin, sous l’influence du camp royaliste extrémiste, Louis XVI fait fermer la salle de réunion sous prétexte d’aménagement pour la séance du 23. Les députés jetés à la rue se réunissent dans la salle du jeu de paume.

Le 21 juin, le comte d’Artois (frère de Louis XVI) retient cette même salle pour jouer au jeu de paume et les députés ne peuvent se réunir.

Le 23 juin, le roi réunit tous les députés aux Etats Généraux. Il a été convaincu par les faucons de son Conseil (ses deux frères, les proches de la reine comme Vaudreuil, le garde des sceaux Barentin...)

- de se présenter en Roi tout puissant avec ses étendards, ses huissiers, sa Cour chamarrée, de nombreux soldats en armes, la musique militaire...

- de tenir un discours cassant dans la forme, ferme sur le fond (maintien de la séparation des trois ordres aux Etats généraux pour les débats et les votes, pas de décision des Etats sans approbation royale...)

La noblesse et une partie du clergé font la claque, se raccrochant à cette dernière bouée de secours de l’Ancien régime : le Roi lui-même. Un député du Tiers les invective remontant le moral des députés du Tiers, c’est le lion Mirabeau à la voix plus puissante que quelques dizaines de freluquets trop bien élevés.

A la fin de son discours, Louis XVI ordonne aux députés de quitter la salle puis part en cortège d’apparat comme il est arrivé, suivi par une grosse majorité d’élus de la noblesse et du clergé.

23 juin 1789 : "Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes"

Mirabeau, Bailly ont décidé la veille de préparer les députés du Tiers à occuper la salle, une fois le Roi parti. Par son attitude féodale fanfaronne, Louis XVI a monté contre lui tout le Tiers qui, effectivement, ne bouge pas.

Arrive alors le marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, jeune premier de la Cour, plus beau, élégant, fier et puissant qu’intelligent. Il entre couvert d’un magnifique chapeau qui lui vaut aussitôt un chahut visant à lui faire ôter son couvre-chef devant les élus de la Nation.

- Vous avez entendu, Messieurs, les intentions du Roi ! hurle-t-il.

Ce marquis représente bien la monarchie absolutiste et passéiste qui va mourir. Toujours empanaché comme un paon, planté sur ses jambes comme une marionnette de théâtre, il voit un député sauter les bancs puis se planter devant lui. Dans ce face à face, d’homme à homme, Dreux-Brézé incarne la médiocrité habituelle des belles personnes, Mirabeau l’aspiration démocratique de l’humanité. Dans mon enfance, les manuels d’histoire résumait son improvisation en une phrase facile à retenir : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».

Il paraît que son discours a été plus long « Oui, Monsieur, oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi. Mais vous ne sauriez être son organe après des états généraux, vous qui n’avez ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force car nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes. »

Dreux-Brézé essaie de marginaliser son interlocuteur, puis il joue l’intimidation mais ne fait que rassembler toujours plus le Tiers Etat derrière son héraut du jour dont les phrases sont ponctuées par des hourras collectifs.

Profitant du rapport de force momentané, Mirabeau et ses proches font voter l’inviolabilité des membres de l’Assemblée nationale puis le caractère public de ses séances...

Le joli marquis n’ose ni avancer, ni reculer, ni parler, il regarde. Soudain, il part à reculons, comme devant le Roi, baissant les yeux... La réaction de Louis XVI mérité de rester à la postérité « Ils veulent rester.. Eh, foutre ! qu’ils restent ! »

Le 24 juin, tout le clergé rejoint l’Assemblée du Tiers. Le 27, le Roi ordonne à tous les députés de vérifier en commun les mandats.

Mirabeau trouve encore les mots pour résumer l’épisode :

- « L’Histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes. »

- Dans l’Adresse aux Français qu’il rédige au nom de l’Assemblé nationale il pose les bases de la souveraineté populaire républicaine « Aucune puissance sous le ciel, pas même le pouvoir exécutif, n’a le droit de dire "Je veux" aux représentants de la Nation. Nul ne doute que le pouvoir du peuple ne soit supérieur à celui de la Nation. »

H) Mirabeau et le 14 juillet 1789

Après avoir raté l’intimidation de l’assemblée le 23 juin, le roi se met en tête de stopper le cours de la révolution en faisant intervenir l’armée. Mirabeau essaie de le convaincre du risque de pousser la révolution vers une "subversion totale" portée par une intervention massive et violente du peuple si le pain continue à manquer à Paris et s’il n’éloigne pas l’armée.

Louis XVI poursuit son choix répressif et Mirabeau intervient devant l’Assemblée le 8 juillet, dénonçant les préparatifs de guerre civile que concrétise l’arrivée de troupes « Il en arrive chaque jour, elles accourent de toutes parts. trente-cinq mille hommes rodés sont déjà répartis entre Paris et Versailles. Des trains d’artillerie les suivent. Des points sont désignés pour les batteries. On s’assure de toutes les communications. On intercepte tous les passages... Les soldats approchés du centre peuvent oublier qu’un engagement les a faits soldats pour se souvenir que la nature les fit hommes. »

Réagissant aux députés qui demandent l’éloignement des régiments, Louis XVI conseille à l’Assemblée de "se retirer à Noyon", bourgade picarde.

Pour la première fois, Mirabeau met en cause le roi et le légalisme en sa faveur « Nous savons tous que la confiance habituelle des Français pour le Roi est moins une vertu qu’un vice... Nous n’irons à Noyon ou à Soissons que si nous le demandons... C’est aux troupes de s’éloigner de l’Assemblée et non à l’Assemblée de s’éloigner des troupes. » Il propose même un décret rendant l’équipe ministérielle responsable devant la représentation nationale et non devant le roi. Il s’affirme solidaire du mouvement parisien « Le sang de nos frères coule à Paris, cette bonne ville est dans les horreurs des convulsions pour défendre sa liberté et la nôtre. »

Le peuple parisien ayant gagné le 14 juillet, Mirabeau lui donne raison dans sa 19ème Lettre à ses commettants « Tout l’antique édifice, usé, vermoulu... est tombé dès le premier choc pour ne se relever jamais et, l’aire étant nettoyée, on pourra construire sur une nouveau plan, affermir cette structure sur les bases immuables des droits éternels du peuple. » Quelques jours plus tard, le voilà accueilli en triomphe dans Paris pour donner un coup de pioche symbolique contribuant à la démolition de la Bastille.

Cependant, il tient à marquer son désaccord avec tout pouvoir populaire direct ; il affronte Barnave et Robespierre sur le sujet à l’Assemblée le 23 juillet « Je dénonce la formidable dictature populaire qui menace la liberté des Français. La société serait bientôt dissoute si la multitude, s’accoutumant au sang et aux désordres, se mettait au dessus des magistrats et bravait l’autorité des lois... »

I) Mirabeau et la mise en place d’une nouvelle société

Après le 14 juillet, l’Assemblée débat du nouvel équilibre des pouvoirs. Certains députés (dont Mounier) refusent que le législatif interfère dans l’exécutif au nom de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Mirabeau leur répond en défendant une position proche de Robespierre « Vous oubliez que ce peuple à qui vous opposez les limites des trois pouvoirs est la source des trois pouvoirs et que lui seul peut les déléguer. »

Plus révolutionnaire encore par rapport à ce qu’était la société d’Ancien régime, il soutient la proposition de municipalités élues par les trois ordres avec une amovibilité fréquente des hommes et des emplois. Il se présente même à l’élection du district parisien où il habite et se voit triomphalement élu.

Pourtant, Mirabeau reste l’acteur doué d’une révolution bourgeoise ayant seulement pour but l’égalité juridique des droits et devoirs, conservant un pouvoir exécutif du roi. N’ayant été présent le 4 août pour raison familiale, il tonne ensuite contre la sabordage des privilèges féodaux dans un flou qui laisse place à de multiples ambiguïtés. Contre les sectionnaires parisiens qui commencent à se saisir des biens d’immigrés, il entame une bataille sur la distinction entre biens publics et biens privés à respecter.

Dans le débat sur la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, sa position réelle est de s’y opposer car elle est susceptible de susciter nouvelles aspirations démocratiques. Il évite de se minoriser et intervient surtout en faveur de la liberté de conscience et de religion.

Concernant l’esclavage, il paraît compter parmi les plus démocrates « Vous avez décidé cette question puisque vous avez déclaré que tous les hommes naissent libres et égaux »... « Les Blancs réservent-ils la pratique de la liberté pour certains lieux et pour certains jours ? »

Dans le débat sur le pouvoir du Roi, il défend le droit de veto absolu de celui-ci sur les décisions de l’assemblée face à Robespierre opposé à tout droit de veto et à la majorité des députés penchant pour un veto suspensif « La royauté est la seule ancre de salut qui puisse nous préserver du naufrage. »

Lors du débat sur les questions financières, il propose une solution radicale : la confiscation d’un quart des fortunes des 2000 Français les plus riches.

26 septembre 1789 Pour sortir de la crise, Mirabeau exhorte l’Assemblée Constituante à décider la confiscation du quart des plus grandes fortunes

Dernier grand débat de l’année 1789 : la réorganisation administrative comprenant la délimitation des départements et communes. Mirabeau y fait preuve d’une bonne connaissance de la France profonde.

J) Fin 1789 : qui est Mirabeau ?

Monarchiste constitutionnel, il a été solidaire du mouvement populaire pour affaiblir les monarchistes absolutistes. Après la nuit du 4 août et le vote de la Déclaration des droits, il se positionne de plus en plus souvent contre la gauche à l’Assemblée. Après les journées des 5 et 6 octobre, il craint plus le peuple qu’un Roi et ne sera plus solidaire du mouvement populaire, comprenant que la dynamique de celui-ci conforte l’aile la plus à gauche de l’Assemblée (dont Robespierre). Après avoir comploté avec le duc d’Orléans qui émigre en Angleterre, il poursuit ses contacts secrets avec des ministres de Louis XVI, avec son frère (futur Louis XVIII)...

Une majorité de députés a suivi le même cheminement politique que lui. 300 d’entre eux demandent un passeport pour pouvoir rejoindre l’étranger si le mouvement social se développe. Surtout, la logique démocratique de la déclaration des droits est oubliée ; le 29 octobre, l’assemblée limite à 45000 hommes environ sur 26 millions de Français la participation réelle à la vie politique (seulement un tiers de citoyens "actifs" c’est à dire payant suffisamment d’impôt pour avoir le droit de voter ; des élections à plusieurs degrés sélectionnant généralement les plus riches parmi les riches).

En fait, beaucoup de députés qui ont porté la révolution des institutions de mai à août 1789 ont à présent peur de leur ombre et de quiconque se met en avant pour poursuivre le changement. Même Mirabeau en fait les frais.

Le meilleur portrait de Mirabeau est dressé par un proche, le monarchien Mounier « L’ambition inquiète de Mirabeau, son désir extrême d’accroître sa célébrité, d’acquérir des richesses et du pouvoir, le disposaient à suivre tous les partis... je l’ai vu passer de comités nocturnes tenus par les amis du duc d’Orléans à ceux de républicains enthousiastes, et de ces confessions secrètes aux cabinets des Ministres du Roi... »

Conclusion

En 1790 et 1791, Mirabeau continue, sur certains sujets à défendre publiquement des idées héritées des lumières radicales, par exemple :

- contre la reconnaissance du catholicisme comme religion d’Etat

- contre l’esclavage

Cependant, pour l’essentiel, il se positionne politiquement au centre, entre la droite composée des monarchistes et des monarchiens et la gauche appuyée sur les Jacobins. Au sein de la Société de 1789, il retrouve La Fayette, Bailly, Condorcet, Dupont de Nemours, Talleyrand...

A partir de mai 1790, les conseils de Mirabeau sont achetés par les proches du Roi, semble-t-il à l’initiative de la Reine. Ses 208000 livres de dettes sont réglées ; il reçoit 6300 livres par mois prises sur les fonds personnels de Louis XVI ; à cela s’ajoutent quatre versements de 250000 livres "sous réserve que l’on soit satisfait de ses services".

Mirabeau affirme sur ce point « On m’achète mais je ne me vends pas » Connaissant parfaitement le contenu des courriers expédiés à la famille royale, reconnaissons que le héros du 23 juin 1789 reste le partisan intelligent d’une révolution bourgeoise (droits juridiques abstraits, souveraineté populaire bornée par le système censitaire ou une seconde chambre, pas de partage des richesses...) construite institutionnellement sur une monarchie constitutionnelle moderne.

Pour disposer d’une tribune, il réussit à se faire élire à la présidence de l’assemblée (29 janvier 1791) et du Club des Jacobins mais la royauté se perd d’elle-même de jour en jour... et Mirabeau va s’éteindre assez tôt pour ne pas trop se perdre lui-même, restant surtout pour l’histoire le Lion de 1789.

Jacques Serieys

Bibliographie

- Mirabeau, par Jean-Paul Desprat, Editions Perrin, 786 pages, 2008

- Mirabeau, par Charles Zorgbibe, Mirabeau, Éditions de Fallois, 519 pages, 2008.

- Les Mirabeau et leur temps, Société des études roberpierristes, Centre aixois d’études et de recherches sur le XVIIIe siècle, 1968.


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