La Révolution française a avancé d’un pas le 17 juin 1789 puis d’un nouveau pas le 20 juin avec la proclamation de l’Assemblée nationale et le décret par lequel elle s’arroge la responsabilité de voter les impôts.
La vie politique étant régie par les mêmes principes que l’attraction magnétique, cette détermination victorieuse des élus du Tiers amène des ralliements. Le clergé décide le 19 juin (à une faible majorité) de se joindre à eux. Quatre-vingts députés de la noblesse font de même.
L’aile la plus réactionnaire parmi les puissants d’Ancien régime mène bataille auprès du Roi pour qu’il défende "la religion", qu’il rétablisse les fondements de la royauté, qu’il dissolve les Etats généraux. Ainsi, l’archevêque de Paris, la Reine Marie-Antoinette, le cardinal de La Rochefoucauld, le clan des Polignac, les frères de Sa Majesté... adjurent Louis XVI de casser, si nécessaire par la force, le processus démocratique en cours.
23 juin 1789 : Louis XVI convoque les élus aux Etats généraux (clergé, noblesse, tiers état), interdit aux trois Ordres de se réunir dorénavant en commun, casse toutes les décisions prises jusqu’à ce moment par le Tiers, ordonne l’évacuation de la salle. Après son départ, les gardes avancent pour imposer une dispersion immédiate.
Les députés se regroupent. La mémoire historique a surtout conservé la phrase de Mirabeau : "Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes !"
Le roi n’ose engager immédiatement l’épreuve de force « Eh bien, s’ils ne veulent pas s’en aller, qu’ils restent ! »
Le 27 juin, il ordonne la réunion des élus des trois ordres pour engager en commun les travaux des Etats généraux.
La naissance de cette chambre unique de représentants de la noblesse, du clergé et du peuple marque une nouvelle victoire de la révolution française. Elle représente surtout un symbole intéressant du combat pour la souveraineté populaire.
Le Conseil du roi se réunit trois fois entre le 20 et le 23 pour décider de l’orientation à suivre.
Necker et les ministres modérés (Montmorin, La Luzerne, Saint-Priest) proposent une série de réformes permettant de répondre positivement aux grandes aspirations des cahiers de doléances (égalité fiscale, admission de tous aux fonctions publiques, abolition des corvées, liberté de la presse, vote par tête aux prochains Etats Généraux...).
Le clan dur de la Cour s’est toujours opposé aux Etats Généraux. Il considère que l’évolution des évènements lui donne raison et qu’il faut en finir tant qu’il est temps. Ainsi, les frères du roi (futurs Louis XVIII et Charles X), la coterie autour de la reine (Vaudreuil...), le garde des sceaux Barentin... poussent Louis XVI à casser "la prétendue Assemblée nationale" et ses décisions.
Le Roi suit cette dernière orientation portée en particulier par son épouse Marie Antoinette. Jean Jaurès l’a analysée à juste titre comme un coup d’état.
Louis XVI mande à tous les députés d’être présents le 23 juin pour une Séance royale où il fera entendre ses trois claires décisions :
* interdiction aux élus des trois ordres de se réunir ensemble
* toutes les décisions prises depuis le 6 mai sont cassées
* maintien de la monarchie de droit divin
Necker, ministre des finances, refuse d’être présent.
Les élus aux Etats généraux se retrouvent donc pour écouter le Roi. Les deux ordres privilégiés sont conviés à entrer les premiers dans la salle. Les élus du Tiers Etat doivent eux, attendre plus d’une heure dehors sous la pluie.
Une fois tous les députés en place, la réunion commence par un cérémonial destiné à impressionner le Tiers Etat, à l’abaisser :
la Cour en habit de cérémonie
une multitude de soldats en armes
Le Roi entre en grande pompe dans la salle suivi de ses bannières, ses officiers en habit d’apparat, ses guidons (porteurs d’étendards), ses gardes aux hallebardes couvertes de passementeries, ses huissiers, ses tabards chamarrés (porteurs d’armoiries), sa troupe de musique sur un tempo assourdissant rythmé par les timbales...
La tension considérable des députés se traduit par un silence de plomb bientôt rompu par la voix de Sa Majesté :
" Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j’avais pris la résolution de vous rassembler, lorsque j’avais surmonté toutes les difficultés dont votre convocation était entourée, lorsque j’étais allé pour ainsi dire au-devant des voeux de la Nation, en manifestant à l’avance ce que je voulais faire pour son bonheur...
Il semblait que vous n’aviez qu’à finir mon ouvrage, et la Nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain et du zèle éclairé de ses représentants, elle allait jouir des prospérités que cette union devait lui procurer.
Les états généraux sont ouverts depuis près de deux mois et ils n’ont point pu encore s’entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la Patrie et une funeste division jette l’alarme dans tous les esprits.
Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser ces funestes divisions. C’est dans cette résolution, Messieurs, que je vous rassemble de nouveau autour de moi, c’est comme le père commun de tous mes sujets, c’est comme le défenseur des lois de mon royaume que je viens en retracer le véritable esprit et réprimer les atteintes qui ont pu y être portées.
Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits respectifs des différents ordres, j’attends du zèle pour la Patrie des deux premiers ordres, j’attends de leur attachement pour ma personne, j’attends de la connaissance qu’ils ont des maux urgents de l’Etat que dans les affaires qui regardent le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion d’avis et de sentiments, que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle qui doit opérer le salut de l’Etat.
Seront nommément exceptés des affaires qui pourront être traitées en commun celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains Etats généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres.
Réfléchissez, Messieurs, qu’aucun de vos projets, aucune de vos dispositions, ne peuvent avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs, et tous les ordres de l’État peuvent se reposer sur mon équitable impartialité...
Durant ce discours, les gentilhommes de la Cour applaudissent à tout rompre chaque phrase péremptoire leur donnant un caractère plus agressif que les termes employés. Seul Mirabeau les apostrophe pour leur demander silence.
Le roi termine enfin en ordonnant aux élus de se séparer immédiatement pour se retrouver le lendemain matin par Ordre séparé (Clergé, noblesse, Tiers Etat), séparation qui permet une majorité royaliste absolutiste systématique par deux voix contre un.
Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne en conséquence au grand maître des cérémonies de faire préparer les salles".
Aussitôt, Louis XVI quitte la salle dans le même cérémonial que pour son entrée.
Un épisode résume l’intelligence politique du petit groupe qui joue un rôle d’avant-garde à ce moment-là de la Révolution française. Il a bien analysé ce qui allait se passer et la réponse à apporter.
Le Roi a quitté la salle, suivi par la Noblesse et le Clergé.
Les députés du Tiers état restent assis, groupés, comme cela a été prévu la veille au soir par quelques députés. Quelques orateurs interviennent pour affermir le courage des mous. " La Nation assemblée ne peut pas recevoir d’ordres" répète Bailly, co-auteur du projet élaboré la veille.
Le marquis de Dreux-Brézé revient accompagné de quelques freluquets à particule. Dès son entrée dans la salle, il est accueilli par des cris lui demandant d’ôter son imposant chapeau devant la représentation nationale.
"Messieurs, vous avez entendu l’ordre du Roi ?"
Bailly répond en tant que président de l’Assemblée, respectueux des règles démocratiques :"L’Assemblée s’est ajournée après la séance royale ; je ne puis la séparer sans qu’elle en ait délibéré."
Mirabeau, autre participant décisif au plan décidé la veille, saute plusieurs bancs et se plante nez à nez devant le jeune Dreux-Brézé, toujours empanaché.
"Oui, Monsieur, oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi. Mais vous ne sauriez être son organe auprès des Etats Généraux, vous qui n’avez ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours... "
Le marquis de Dreux Brézé, grand maître des cérémonies, s’impatiente.
Des gardes avancent pour imposer l’évacuation immédiate de la salle.
C’est alors que Mirabeau l’apostrophe sur un ton emphatique et conquérant qui modifie le rapport de forces : "Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes !" (il existe plusieurs versions de cette déclamation, en particulier : "« Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ! »)
Michelet a parfaitement senti les actes minimes qui rendent le mieux compte de la situation : "Brézé fut déconcerté, attéré ; il sentit la royauté nouvelle, et rendant à celle-ci ce que l’étiquette ordonnait pour l’autre, il sortit à reculons comme on faisait devant le roi. La cour avait imaginé un autre moyen de renvoyer les Communes... de faire simplement démeubler la salle, démolir l’amphithéâtre, l’estrade du roi. Des ouvriers entrent en effet ; mais sur un mot du président, ils s’arrêtent, déposent leurs outils, contemplent avec admiration la majesté calme de l’Assemblée, deviennent des spectateurs attentifs et respectueux."
Des membres du clergé et de la noblesse, dont le duc d’Orléans sont restés près du Tiers.
Le Roi veut casser l’Assemblée nationale. Deux à trois escadrons de Gardes du corps galopent vers le lieu de réunion attendant l’ordre d’en finir. Ensuite, ils se forment en ligne devant la salle.
L’Assemblée a parfaitement compris la volonté royale de les écraser.
Mirabeau prend à nouveau les devants :
« Une force militaire entoure l’Assemblée ! Où sont les ennemis de la nation ? Est-ce Catilina à nos portes ? J’exige qu’en vous investissant avec votre dignité, avec votre puissance législative, vous vous enfermiez dans le respect de votre serment. Il n’est pas permis de vous séparer jusqu’à ce que vous ayez formé une constitution.
Je bénis la liberté de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’assemblée nationale. Assurons notre ouvrage en déclarant inviolable la personne des députés aux états généraux. Ce n’est pas manifester une crainte, c’est agir avec prudence ; c’est un frein contre les mauvais conseils qui assaillent le Trône. »
L’Assemblée prend alors un décret, rédigé par Camus, de protection de ses membres.
L’Assemblée nationale,
Déclare que la personne des députés est inviolable ; que tous particuliers, toute corporation, tribunal, cour ou commission, qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucune proposition, avis, opinion ou discours par lui fait aux états généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital.
L’Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour faire rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs.
23 juin 1789
Lorsque Henri-Évrard, marquis de Dreux-Brézé, lui rend compte de l’échec de sa mission, il répond sur un ton ironique « Ils veulent rester... Eh, foutre ! qu’ils restent ! »
Louis XVI ne change pas d’objectif : casser les élus du tiers, casser l’Assemblée nationale, dissoudre les Etats généraux. Le 26 juin, il signe l’ordre de marche, de l’Est vers Paris pour trois régiments d’infanterie et trois régiments de Cavalerie.
En attendant leur arrivée, il cherche à gagner du temps sans rien brusquer.
Dans le contexte de cette fin juin 1789, quiconque n’avance pas recule.
Ainsi, dès le 24 presque tout le clergé se joint au Tiers Etat formé en Assemblée nationale.
Le 25, 48 nobles libéraux se joignent à eux.
Le 27 juin, le Roi réunit les députés des trois ordres pour les informer de sa nouvelle décision :
Il invite les députés du clergé et de la noblesse à se réunir avec ceux du Tiers état. Celui-ci a donc gagné sa bataille commencée six mois plus tôt pour le doublement des élus du Tiers et une assemblée commune des trois ordres.
La foule importante qui hantait Versailles dans l’inquiétude depuis plusieurs jours laisse éclater sa joie et envahit les cours du château royal. De la Terrasse de Midi, la reine lui présente le Dauphin.
Ceci dit, le peuple a gagné une bataille institutionnelle très importante. Dans les jours suivants, il s’enhardit. Le 30 juin, des centaines de Parisiens envahissent la prison de l’Abbaye et délivrent les gardes-françaises détenus pour insubordination. Les mêmes passeront du côté du peuple le 14 juillet.
Du premier au 5 juillet, la ville de Lyon est secouée par les violentes émeutes de l’octroi.
D’ici peu, le rapport de forces devra se dénouer en faveur des forces d’Ancien régime ou en faveur du peuple représenté par ses députés à l’Assemblée nationale.
Jacques Serieys
Les 11 précédents articles de cette série 1789 2009 :
* Sur les causes structurelles de la Révolution française (1789 2009 2ème partie)
* Clergé, noblesse et bourgeoisie du Siècle des Lumières à 1789
* Crise de l’Ancien régime et convocation des Etats Généraux (1789 2009 4ème partie)
* Marat, Robespierre et Saint Just avant la Révolution française (1789 2009 5ème partie)
* 17 juin 1789 Les députés du Tiers état se proclament Assemblée nationale (1789 2009 10ème partie)
* 20 juin 1789 Serment du Jeu de Paume, symbole du combat pour la souveraineté populaire
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