Parmi les volontaires de l’An 2, de nombreux enfants ont combattu, en particulier dans les zones de guerre civile. Orphelins ou fils de républicains très engagés, leur souvenir est resté dans l’histoire par deux noms symboles, ceux de Barra et Viala.
Albert François Joseph Barra naît le 30 juillet 1779 à Palaiseau, fils d’un garde-chasse du prince de Condé. Neuvième enfant d’une famille qui en compte dix, la misère les touche au décès du père le 16 octobre 1784.
À l’automne 1792, âgé de 13 ans, il rejoint l’armée républicaine engagée contre les Chouans dans le secteur de Bressuire. La situation militaire y empire rapidement. La troupe royaliste de 1500 hommes commandée par La Bouère et Cathelineau attaque les unités bleues placées en protection des républicains de Jallais.
Le 7 décembre 1793, combattant comme « charretier d’artillerie », il reçoit un « coup de feu au genou gauche », lors de ces combats de Jallais (état des pertes du 14e bataillon de Paris, dit de la République) cité par Charles-Louis Chassin et Léon Hennet (Les volontaires nationaux pendant la Révolution, tome II, p. 355).
Joseph Barra décède.
Par courrier, l’adjudant-général Desmarres en informe le ministère de la Guerre : « Joseph Bara est un orphelin très pauvre, engagé volontaire au 8e de hussards de l’armée républicaine ; il a partagé toutes les fatigues et tous les dangers de la guerre, et a été tué lors de l’attaque de Jallais par les Vendéens le 17 frimaire an II, à l’âge de 14 ans. » Il sollicite une pension pour la mère de l’enfant.
Pour Jean-Clément Martin, parfait connaisseur de la révolution française, le général Desmarres cherche, en mettant l’accent sur la mort de l’enfant, transformé en héros et en martyr républicain, à faire oublier la médiocrité de son commandement.
La note est transmise du ministère de la guerre à la Convention. Robespierre décide de donner un écho à cette mort au combat. Il prononce un discours publié dans Le Moniteur Universel du 28 décembre 1793 (8 nivôse an II) où il fait mourir l’enfant entouré de royalistes en criant : « Vive la République ! ». Il n’est pas impossible qu’il ait disposé alors d’informations orales.
« Je veux parler de Barra, ce jeune homme âgé de 13 ans a fait des prodiges de valeur dans la Vendée. Entouré de brigands qui, d’un côté, lui présentaient la mort, et de l’autre lui demandaient de crier « Vive le roi ! », il est mort en criant « Vive la République ! ». Ce jeune enfant nourrissait sa mère avec sa paye, il partageait ses soins entre l’amour filial et l’amour de la Patrie. Il n’est pas possible de choisir un plus bel exemple, un plus parfait modèle pour exciter dans les jeunes cœurs l’amour de la gloire, de la Patrie et de la vertu, et pour préparer les prodiges qu’opérera la génération naissante. En décernant des honneurs au jeune Barra, vous les décernez à toutes les vertus, à l’héroïsme, au courage, à l’amour filial, à l’amour de la Patrie. Les Français seuls ont des héros de 13 ans, c’est la liberté qui produit des hommes d’un si grand caractère. Vous devez présenter ce modèle de magnanimité, de morale à tous les Français et à tous les peuples ; aux Français, afin qu’ils ambitionnent d’acquérir de semblables vertus, et qu’ils attachent un grand prix au titre de citoyen français ; aux autres peuples, afin qu’ils désespèrent de soumettre un peuple qui compte des héros dans un âge si tendre. Je demande que les honneurs du Panthéon soient décernés à Barra, que cette fête soit promptement célébrée, et avec une pompe analogue à son objet et digne du héros à qui nous la destinons. Je demande que le génie des arts caractérise dignement cette cérémonie qui doit présenter toutes les vertus, que David soit spécialement chargé de prêter ses talents à l’embellissement de cette fête ».
Il fait voter par les députés « La Convention nationale décerne les honneurs du Panthéon au jeune Barra. Louis David est chargé de donner ses soins à l’embellissement de cette fête nationale. La gravure qui représentera l’action héroïque de Joseph Barra sera faite aux frais de la République, d’après un tableau de David ; un exemplaire, envoyé par la Convention nationale, sera placé dans chaque école primaire. »
Barère propose aussi de le donner en exemple. « Bara est célèbre à treize ans. Il a déjà, avant que d’entrer dans la vie, présenté à l’Histoire une vie illustre. Il nourrissait sa mère et mourut pour la Patrie ; il tuait des brigands et résistait à l’opinion royaliste. C’est cette vertu qui doit présenter son exemple à tous les enfants de la République, c’est son image tracée par les pinceaux du célèbre David que vous devez exposer dans toutes les écoles primaires ».
Le transfert au Panthéon devant être effectué lors d’une grande fête le 10 thermidor, la chute de Robespierre le 9 fait que Barra n’entrera jamais dans ce temple des célébrités républicaines. Cependant, l’écho de son nom porté par la tradition montagnarde continue à résonner dans tout le pays et sera repris sous la Troisième république.
Ainsi, la France compte actuellement une rue portant ce nom dans une trentaine de communes.
La tendance actuelle étant à dénoncer le "mythe" de Barra, je rappelle seulement que d’autres enfants sont morts au combat durant la Révolution française comme Pierre Bayle, mort au combat en 1794 à l’âge de 11 ans. Le général Dugommier commandant l’Armée des Pyrénées orientales mourut lui-même au feu le 18 novembre 1794 lors de la bataille de la Sierra Negra, sinon le jeune Pierre aurait pu connaître la même renommée que Barra.
Je ne peux terminer sans citer le portrait de Bara, vu par le Grand Hugo dans Les Misérables :
Le gamin de Paris est respectueux, ironique et insolent. Il a de vilaines dents parce qu’il est mal nourri et que son estomac souffre, et de beaux yeux parce qu’il a de l’esprit. Jéhovah présent, il sauterait à cloche-pied les marches du paradis. Il est fort à la savate. Toutes les croissances lui sont possibles. Il joue dans le ruisseau et se redresse par l’émeute ; son effronterie persiste devant la mitraille ; c’était un polisson, c’est un héros ; ainsi que le petit thébain, il secoue la peau du lion ; le tambour Bara a était un gamin de Paris ; il crie : En avant ! comme le cheval de l’Écriture dit : Vah ! et en une minute, il passe du marmot au géant.
Joseph Agricol Viala, meurt au combat à l’âge de 12 ans.
Début juillet 1793, l’armée des rebelles royalistes et fédéralistes maîtres de Toulon et Marseille remonte la vallée du Rhône pour rejoindre Lyon, également tenu par les fédéralistes. Elle veut franchir la Durance au bac de Bonpas. Les républicains d’Avignon, en nette infériorité numérique n’ont pour solution que de couper les cordages du bac. Pour cela, il faut traverser une chaussée entièrement exposée à la mousqueterie des rebelles ; aucun républicain ne s’y tente.
C’est alors qu’Agricol Viala s’élance et parvient jusqu’aux cordages qu’il frappe de plusieurs coups de hache. Il tient ainsi plusieurs minutes sous le feu de la mousquèterie mais ne réussit pas à couper complètement le cordage.
« En vain on veut le retenir ; il brave le péril, et l’on ne peut s’opposer à son audacieux projet. Il saisit la hache d’un sapeur, il tire sur les ennemis plusieurs coups du mousquet dont il est armé, puis, malgré les balles qui sifflent autour de lui, il parvient au rivage, et, saisissant sa hache, frappe le câble avec vigueur. Le hasard semble d’abord le seconder ; il a presque achevé sa tâche périlleuse sans être atteint, quand, à ce moment, une balle lui perce la poitrine. Il se soulève encore ; mais il retombe sans force en s’écriant : « M’an pas manqua ! Aquo es egaou ; more per la libertat. » (Ils ne m’ont pas manqué ! cela est égal ; je meurs pour la liberté.) Puis il expira après ce sublime adieu, sans proférer une plainte ou un regret ». in Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852
Il meurt sans avoir pu empêcher le passage de la Durance mais ayant laissé le temps aux siens d’opérer une retraite en bon ordre. Son corps est précipité dans la rivière par les royalistes (peut-être mutilé).
Un couplet du Chant du départ rappelle le souvenir de Barra et Viala.
De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche, accablé d’ans n’a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu !
Vous êtes vaillants, nous le sommes ;
Guidez-nous contre les tyrans :
Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants.
Dans L’Année Terrible, Victor Hugo compare le courage d’un jeune communard à celui de Viala :
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà !
J’ai trouvé dans la revue occitane La lauseta (L’alouette), éditée en 1877 et connue comme la tribune du felibritge roge (félibrige rouge), ce sonnet d’A. Creissels (poète de Millau) intitulé simplement :
JOSEPH BARRA
A l’heure où les enfants, sous les yeux de leur mère,
Dans un nid doux et chaud dorment paisiblement,
Lui, marchait sans souliers, presque sans vêtement,
Le visage fouetté par le vent de frimaire ;
.
Ce n’est pas pour l’éclat d’une gloire éphémère
Que le petit tambour fut fidèle au serment
D’annoncer l’ennemi par un long roulement,
Et qu’il mourut frappé comme un guerrier d’Homère ;
.
L’amour de la patrie ayant nourri son coeur,
Il tomba, sans songer qu’il entrait en vainqueur
Dans le monde idéal où grandit la Mémoire ;
.
La légende le fait vivant et triomphant,
Et plus d’un traître entend dans l’écho de l’histoire,
Le rappel de l’honneur battu par cet enfant.
A. Creissels
Le fondateur de La lauseta (Armanac dal Patrioto lengodoucian) se nomme Louis Xavier de Ricard :
poète, il est attaqué en justice en 1863 par Monseigneur Dupanloup pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, défendu par Gambetta mais condamné à huit mois de prison.
Parmi ses amis, notons Raoul Rigault, futur procureur de la Commune de Paris en 1871.
A sa sortie de Sainte Pélagie, il lance la publication du recueil de poésie Le Parnasse contemporain qui va notamment bénéficier de la collaboration de Théophile Gautier, Théodore de Banville, José-Maria de Heredia, Leconte de Lisle, Stéphane Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam, Anatole France, François Coppée, Sully Prudhomme...
En 1867, Paul Verlaine, qui a beaucoup de sympathie pour Ricard, « l’excellent poète languedocien », lui dédie son poème Les Vaincus, écrit à la mémoire des vaincus de 1848.
Poursuivi par la justice impériale, il s’exile en Suisse puis revient sous la république participer à la défense de Paris (bataillon commandé par Blanqui) puis avec la Commune (sous-délégué du Jardin des Plantes et collaboration au Journal officiel de la Commune).
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