Anacharsis Cloots et les droits républicains universels

lundi 4 octobre 2010.
 

On le connaît mal, mais on fêtera le 220e anniversaire de sa mort, l’an prochain, j’ai nommé Jean-Baptiste Cloots, né prussien, naturalisé français, élu à la Convention en septembre 1792. Étranger, francophile, athée, fervent défenseur et admirateur 
de l’universalité, ayant rencontré Benjamin Franklin 
et Rousseau, Edmund Burke, grand voyageur européen allant jusqu’à séjourner au Maroc, il change son prénom en 1789 pour adopter celui d’Anacharsis, philosophe grec d’origine barbare du VIe siècle avant J.-C. Jean-Baptiste aime les symboles, chacun l’aura compris, 
et tout ce qui peut donner ses lettres de noblesse à l’art critique du décentrement. Il vient d’ailleurs, et cet ailleurs est essentiel à la constitution du socle républicain dans la mesure où il porte en lui-même un souffle commun. En 1793, il publie les Bases constitutionnelles de la république du genre humain. «  La sans-culotterie me comprendra parfaitement  ; la culotterie ne voudra pas me comprendre (…). J’ai le malheur, poursuit-il, de ne pas être de mon siècle  ; je suis un fou à côté de nos prétendus sages.  » Robespierre le fera arrêter et guillotiner 
en mars 1794.

Entre-temps, il se sera livré à un plaidoyer radical en faveur de l’universalité des droits de l’homme et de la mise en place d’une citoyenneté mondiale. «  Avouez, citoyens, que j’ai forte partie contre moi, les fripons et les sots  ; mais le peuple est plus fort que ces gens-là. Le peuple adopte mon système qui le délivre à jamais de la guerre étrangère et de la guerre civile, et même de la rébellion locale. Les troubles du dedans proviennent des troubles du dehors. (…) Toujours les gouvernés ont été plus philosophes que les gouvernants. Sous l’Ancien Régime, la ville valait mieux que la cour  ; sous le nouveau régime, le forum vaut mieux que la Convention.  »

Son enjeu  ? Non pas conquérir la liberté, mais 
la conserver. Non pas instaurer des droits français, mais des droits universels, seuls susceptibles de protéger des droits en France. Deux siècles plus tard, l’exigence onusienne de 1948 réalisait sur le papier ce rêve inaugural normatif. «  Il en coûtera moins pour gouverner l’univers nivelé qu’il n’en coûte maintenant aux nations rivales pour entretenir des espions privilégiés dans les quatre parties du monde  », pronostiquait Cloots. Sentence qui résonne tout particulièrement dans l’environnement actuel des écoutes de la National Security Agency (NSA) américaine, qui a procédé, pour seul exemple, à 70,3 millions d’enregistrements de données téléphoniques des Français entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013. Depuis, on sait que personne n’a échappé à l’écoute, d’Angela Merkel au pape François. Et les nations, faut-il le rappeler, sont alliées. L’amitié empêche-t-elle la rivalité  ? Autre sujet philosophique et politique.

Cloots, c’est l’histoire d’un étranger dont 
la vocation universaliste est plus française que celle de ses nouveaux compatriotes. «  Je propose donc à la Convention des Français, ainsi qu’aux autres conventions du monde, de décréter (…) le principe fécond (…) de la souveraineté indivisible, la volonté suprême et unique du genre humain. (…) Posons cette large base aujourd’hui (…), nous compterons une grande journée de plus dans les annales de la régénération du monde. L’an premier de la République française est l’an premier de la République universelle.  » Le baron Cloots est condamné après un procès visant à mettre au jour un prétendu «  complot des étrangers  ». Le cosmopolitisme sera guillotiné avec.

Cynthia Fleury, L’Humanité


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