4 août 1789 : Dépassés par le soulèvement des milieux ruraux, les députés de la Constituante vivent une nuit célèbre qui finit par l’abolition des droits seigneuriaux dans l’espoir de rétablir le calme. Ainsi disparaissent juridiquement ce que la mobilisation populaire a déjà complètement sapé, des banalités aux juridictions seigneuriales, du droit de chasse aux privilèges spécifiques des provinces...
1) Le dilemne posé aux privilégiés en cette nuit du 4 août 1789
Dans la journée du 3 août, la majorité de l’Assemblée est favorable à une répression générale du mouvement populaire.
Le premier orateur de la séance parlementaire se nomme Guy Target , député du Tiers Etat, bourgeois de la magistrature connu comme un émule de Montesquieu. Il réaffirme cette position de fermeté et propose un arrêté dénonçant "les troubles et les violences qui ... portent l’atteinte la plus funeste aux droits sacrés de la propriété et de la sûreté des personnes" ... Il insiste pour que toutes les redevances et prestations d’Ancien Régime soient payées tant qu’un nouveau système d’impôts n’a pas été créé.
Pourtant, en cette nuit du 3 au 4 août, l’Assemblée va choisir une autre voie que la répression.
Quelques grands aristocrates ont préparé une intervention en faveur de l’égalité fiscale, c’est à dire un impôt pesant sur tous les citoyens sans exemption spécifique pour la noblesse et le clergé. Louis XVI l’avait évoquée dans son discours du 23 juin. Ils font valoir, de plus, que le soulèvement populaire est essentiellement nourri par le refus des injustices, oppressions, vexations... générées par les privilèges féodaux. Dans ces conditions, seule une abolition de ceux-ci peut ramener le calme. « Le peuple cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête », s’exclame le duc d’Aiguillon, « l’insurrection trouve son excuse dans les vexations dont il est la victime ». Cependant, cette abolition de droits féodaux incompatibles avec l’égalité fiscale (déjà en place au Royaume-Uni par exemple sans que cela nuise à la richesses des lords) doit être compensée.
Le Vicomte de Noailles, noble désargenté, monte à la tribune : " Le but du projet d’arrêté que l’Assemblée vient d’entendre est d’arrêter l’effervescence des provinces, d’assurer la liberté publique, et de confirmer les propriétaires dans leurs véritables droits. Mais comment peut-on espérer d’y parvenir, sans connaître quelle est la cause de l’insurrection qui se manifeste dans le royaume ? ... Comment l’espérer, cette tranquillité ? En calmant le peuple... Je propose que l’impôt sera payé par tous les individus du royaume, dans la proportion de leurs revenus... Que tous les droits féodaux seront rachetables... Que les corvées seigneuriales, les mains-mortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat."
2) L’offensive républicaine est lancée par un député en habit de paysan bas-breton
Le Guen de Kerangal, un paysan "bas Breton en costume de bas Breton, député inconnu, qui ne parla jamais ni avant ni après" (Michelet) monte alors à la tribune et lit un discours en phase avec la guerre sociale paysanne en cours : "Vous eussiez prévenu, messieurs, l’incendie des châteaux, si vous eussiez été plus prompts à déclarer que les armes terribles qu’ils contenaient, et qui tourmentaient le peuple depuis des siècles, allaient être anéanties par le rachat forcé que vous en avez ordonné. Le peuple impatient d’obtenir justice, et las de l’oppression, s’empresse à détruire ces titres, monuments de la barbarie de nos pères ! Soyons justes, messieurs, qu’on nous apporte ces titres, outrageant non seulement la pudeur, mais l’humanité même ! Ces titres qui humilient l’espèce humaine, en exigeant que des hommes soient attelés à des charrettes comme les animaux du labourage ! Qu’on nous apporte ces titres qui obligent les hommes à passer la nuit à battre les étangs, pour empêcher les grenouilles de troubler le repos de leurs seigneurs voluptueux ! Qui de nous ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins, et ne porterait pas le flambeau pour en faire un sacrifice sur l’autel du bien public ? Vous ne ramènerez, messieurs, le calme dans la France agitée, que quand vous aurez promis au peuple que vous allez convertir en argent, rachetables à volonté, les droits féodaux quelconques ; et que les lois que vous allez promulguer anéantiront jusqu’aux moindres traces de ce régime oppresseur"...
Lapoule, député du Tiers de Franche-Comté complète son collègue en citant des droits féodaux "bizarres, cruels et incroyables".
M. de Foucault, le vicomte de Beauharnais, M de la Rochefoucault, le comte de Virieu, le jeune de Montmorency... vont surenchérir en supprimant les banalités, les pensions sans titre, les juridictions seigneuriales, le droit de chasse, les colombiers féodaux, les privilèges ecclésiastiques, proposant même des adoucissements pour l’esclavage des noirs. Le duc du Châtelet propose alors le rachat de la dîme.
Les députés du haut clergé s’avèrent prudents et réticents, se montrant seulement généreux pour supprimer les privilèges de noblesse ; les nobles le sont autant pour supprimer ceux du clergé. Le bas-clergé consent de gros sacrifices, participant à la folle nuit.
3) La nuit du 4 août vue par l’historien de la Révolution : Jules Michelet
" C’était le 4 août à huit heures du soir, heure solennelle où la féodalité, au bout d’un règne de mille ans, abdique, abjure, se maudit...
Vers minuit " L’attendrissement, l’exaltation, étaient montés, de proche en proche, à un point extraordinaire. Ce n’était dans toute l’Assemblée qu’aplaudissements, félicitations, expressions de bienveillance mutuelle. Les étrangers présents à la séance étaient muets d’étonnement ; pour la première fois, ils avaient vu la France, toute sa richesse de coeur... Ce que des siècles d’efforts n’avaient pas fait chez eux, elle venait de le faire en peu d’heures par le désintéressement et le sacrifice... L’argent, l’orgueil immolé, toutes les vieilles insolences héréditaires... Le monstrueux chêne féodal abattu d’un coup...
« Tout semblait fini. Une scène non moins grande commençait. Après les privilèges des classes, vinrent ceux des provinces. Celles qu’on appelait Pays d’État, qui avaient des privilèges à elles, des avantages divers pour les libertés, pour l’impôt, rougirent de leur égoïsme, elles voulurent être France, quoi qu’il pût en coûter à leur intérêt personnel, à leurs vieux et bons souvenirs. Le Dauphiné, dès 1788 (cf Vizille après la journée des Tuiles), l’avait offert magnanimement pour lui-même et conseillé aux autres provinces. Il renouvela cette offre. Les plus obstinés, les Bretons, quoique liés par leurs mandats, liés par les anciens traités de leur province avec la France, n’en manifestèrent pas moins le désir de se réunir. La Provence en dit autant, puis la Bourgogne et la Bresse, la Normandie, le Poitou, l’Auvergne, l’Artois. La Lorraine, en termes touchants, dit qu’elle ne regretterait pas la domination de ses souverains adorés qui furent pères du peuple, si elle avait le bonheur de se réunir à ses frères, d’entrer avec eux dans cette maison maternelle de la France, dans cette immense et glorieuse famille ! Puis ce fut le tour des villes..."
4) Analyse et conséquences du 4 août
En votant l’abolition des privilèges féodaux, beaucoup de députés voulaient seulement faire un geste temporaire d’apaisement pour arrêter les désordres. De plus, cette abolition ne coûtait pas bien cher à bon nombre de députés de la noblesse qui tiraient l’essentiel de leurs revenus d’autres sources.
Dès le 5 août, des députés de la noblesse et du clergé poussent à limiter l’abolition des privilèges sans indemnité aux seuls droits féodaux pesant sur les personnes. Les droits féodaux pesant sur les terres comme les cens et les champarts, devront être rachetés par les paysans pour devenir propriétaires de leurs terres.
Une abolition complète des privilèges féodaux aurait pu satisfaire à ce moment-là le milieu rural et faire retomber sa mobilisation mais la plupart des droits féodaux n’étaient supprimés qu’à condition de rachat et les conditions mises au rachat étaient telles que cela était pratiquement impossible.
Deux raisons font que la nuit du 4 août, au lieu de sonner la fin de la mobilisation, marque une nouvelle étape dans la radicalisation du processus populaire révolutionnaire :
* Beaucoup de nobles ne voulurent pas accepter la décision de l’assemblée.
* Les paysans refusèrent souvent d’acquitter les droits théoriquement supprimés mais toujours exigibles en droit.
* Surtout, le roi n’accorda pas sa sanction aux décrets votés « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient ; c’est alors que le peuple français pourrait m’accuser d’injustice et de faiblesse. Monsieur l’archevêque, vous vous soumettez aux décrets de la Providence ; je crois m’y soumettre en ne me livrant point à cet enthousiasme qui s’est emparé de tous les ordres, mais qui ne fait que glisser sur mon âme. Si la force m’obligeait à sanctionner, alors je céderais, mais alors il n’y aurait plus en France ni monarchie ni monarque. »
5) Que devinrent réellement les privilèges féodaux ?
Une partie du mouvement social prit pour argent comptant immédiat l’abolition des privilèges et le rapport de forces qu’elle symbolise. Des sections parisiennes se dirigent ainsi vers le château de Chantilly, propriété de la famille des princes de Condé, tous émigrés.
Du 4 août au début octobre, des paysans exterminèrent le gibier, ravagèrent les forêts, brûlèrent les bancs seigneuriaux dans les églises...
C’est seulement le 5 octobre que contraint, le roi donnera son accord aux décrets du 4 août votés par l’Assemblée. Alors disparaissent les privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes et des provinces.
Les négociations sur l’indemnisation des privilèges abolis se poursuit dans un "âpre marchandage" (Michel Vovelle). Elles se concluent par la loi du 15 mars 1790 assez favorables aux "expropriés" qui n’ont même pas à apporter les preuves de leurs titres.
Il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance historique de cette célèbre nuit du 4août :
Cette journée marque un nouvel approfondissement d la révolution française, créant le rapport de forces propice à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (votée le 26 août 1789)
Elle symbolise la fin du mode de production féodal comme type de société au plan politique, symbolique et judiciaire.
Elle pose les fondements :
* du caractère national de la loi, du droit , de la justice et de l’égalité formelle des citoyens devant celle-ci,
* du caractère national de l’administration ouverte à tout citoyen,
* de l’impôt proportionnel payé par tous,
* d’une nation sans "privilèges particuliers de provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d’habitants" dont la vie politique est organisée par une constitution,
* d’un contrôle de l’Etat sur les dépenses de la famille royale
* d’une implication des instances politiques nationales dans les affaires du clergé et ses liens avec la papauté.
Jacques Serieys
Décret relatif à l’abolition des privilèges
Art. 1er L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Elle décrète que, dans les droits et les devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la main-morte réelle ou personnelle, et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité ; et tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode de rachat seront fixés par l’Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont points supprimés par ce décret continueront néanmoins d’être perçus jusqu’au remboursement.
Art. 2. Le droit exclusif des fuies et colombiers est aboli. Les pigeons seront enfermés aux époques fixées par les communautés durant lequel temps, ils seront regardés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain.
Art. 3. Le droit exclusif de la chasse ou des garennes ou vertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire ou faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. Toute les capitaineries même royales, et toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l’élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l’abolition des procédures existantes à cet égard.
Art. 4. Toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans aucune indemnité, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée nationale à l’établissement d’un nouvel ordre judiciaire.
Art. 5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelques dénominations qu’elles soient, connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers et réguliers, par les bénéficiers, les fabriques, et tous les gens de main-morte, même par l’ordre de Malte, et d’autres ordres religieux et militaires, même celles qui auraient été abandonnées à des laïques, en remplacement et pour option de portions congrues, sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d’une autre manière à la dépense du culte divin, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l’entretien desquels elles sont actuellement affectées. Et cependant, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu, et que les anciens possesseurs soient entrés en jouissance de leur remplacement, l’Assemblée nationale ordonne que lesdites dîmes continueront d’être perçues suivant les lois et en la manière accoutumée. Quant aux autres dîmes, de quelque nature qu’elles soient, elles seront rachetables de la manière qui sera réglée par l’Assemblée ; et jusqu’au règlement à faire à ce sujet, l’Assemblée nationale ordonne que la perception en sera aussi continuée.
Art. 6. Toutes les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu’elles soient, quelle que soit leur origine, à quelques personnes qu’elles soient dues, gens de main-morte, domanistes, apanagistes, ordre de Malte, seront rachetables ; les champarts de toute espèce, et sous toutes dénominations le seront pareillement, au taux qui sera fixé par l’Assemblée. Défense seront faites de plus à l’avenir de créer aucune redevance non remboursable.
Art. 7. La vénalité des offices de judicature et de municipalité est supprimée dès cet instant. La justice sera rendue gratuitement. Et néanmoins les officiers pourvus de ces offices continueront d’exercer leurs fonctions et d’en percevoir les émoluments jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée aux moyens de leur procurer leur remboursement.
Art. 8. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés, et cesseront d’être payés aussitôt qu’il aura été pourvu à l’augmentation des portions congrues et à la pension des vicaires, et il sera fait un règlement pour fixer le sort des curés des villes.
Art. 9. les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais. La perception se fera sur tous les citoyens et sur tous les biens, de la même manière et de la même forme ; et il va être avisé aux moyens d’effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l’année de l’imposition courante.
Art. 10. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l’union intime de toutes les parties de l’empire, il est déclaré que tous les privilèges particuliers de provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d’habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, soient abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français.
Art. 11. Tous les citoyens, sans distinction de naissances, pourront être admis à tous les emplois et les dignités ecclésiastiques, civiles et militaires, et nulle profession utile n’emportera dérogeance.
Art. 12. À l’avenir il ne sera envoyé en cour de Rome, en la vice-légation d’Avignon, en la nonciature de Lucerne, aucuns deniers pour annales ou pour quelque cause que ce soit ; mais les diocésains s’adresseront à leurs évêques pour toutes les provisions de bénéfices et dispenses, lesquelles seront accordées gratuitement, nonobstant toutes réserves, expectatives et partages de mois, toutes les églises de France devant jouir de la même liberté.
Art. 13. Les déports, droits de cotte-morte, dépouilles, vacat, droits censaux, deniers de Saint-Pierre, et autres du même genre établis en faveur des évêques, archidiacres, archiprêtres, chapitres, curés primitifs et tous autres, sous quelque nom que ce soit, sont abolis, sauf à pourvoir, ainsi qu’il appartiendra, à la dotation des archidiaconés et des archiprêtres qui ne seraient pas suffisamment dotés.
Art. 14. La pluralité des bénéfices n’aura plus lieu à l’avenir, lorsque les revenus du bénéfice ou des bénéfices dont on sera titulaire excèderont le somme de 3 000 livres. Il ne sera pas permis non plus de posséder plusieurs pensions sur bénéfices, ou une pension et un bénéfice, si le produit des objets de ce genre que l’on possède déjà excède la même somme de 3 000 livres.
Art. 15. Sur le compte qui sera rendu à l’Assemblée nationale de l’état des pensions, grâces et traitements, qu’elle s’occupera, de concert avec le Roi, de la suppression de celles qui seraient excessives, sauf à déterminer à l’avenir une somme dont le Roi pourra disposer pour cet objet.
Art. 16. L’Assemblée nationale décrète qu’en mémoire des grandes et importantes délibérations qui viennent d’être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée, et qu’il sera chanté en actions de grâces un "Te deum" dans toutes les paroisses et églises du royaume.
Art. 17. L’Assemblée nationale proclame solennellement le Roi Louis XVI Restaurateur de la liberté française.
Art. 18. L’Assemblée nationale se rendra en corps auprès du Roi, pour présenter à Sa Majesté l’arrêté qu’elle vient de prendre, lui porter hommage de sa plus respectueuse reconnaissance, et la supplier de permettre que le "Te deum" soit chanté dans sa chapelle, et d’y assister elle-même. L’assemblée nationale s’occupera, immédiatement après la constitution, de la rédaction des lois nécessaires pour le développement des principes qu’elle a fixés par le présent arrêté, qui sera incessamment envoyé par MM. Les députés dans toutes les provinces, avec le décret du 10 de ce mois, pour y être imprimé, publié même au prône des paroisses, et affiché partout où besoin sera.
ANNEXE 2) La nuit du 4 août 1789 vue par un témoin : Lettre du député du Tiers-Etat Bouchette à ses concitoyens :
" La Noblesse vient de faire des sacrifices qu’elle appelle justes et le Clergé imite son exemple. Tous les droits seigneuriaux seront rachetés ou rachetables ; il n’y aura plus de justices seigneuriales dans les autres tribunaux. L’administration de la justice sera gratuite, la vénalité des charges sera supprimée ; la chasse libre à tout propriétaire ; plus de privilège de l’une à l’autre province et un pacte d’association de toutes les provinces entre elles ; les villes principales, Paris, Lyon, Marseille, etc., etc., renoncent à leurs franchises, les curés de campagne renoncent à leur casuel, leur pension sera augmentée.
La pluralité des bénéfices supprimés ; plus d’annates payées en Cour de Rome ; liberté de religion aux non catholiques. Le Parlement de Paris consent à un démembrement de son ressort ; il s’appliquera à étudier les loix nouvelles que l’Assemblée nationale va porter ; tout cela doit être rédigé et consenti dans l’Assemblée d’aujourd’huy qui commencera à midy".
Michel Vovelle est historien, spécialiste de la Révolution française. Directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française et président d’honneur de la Société des amis de l’Humanité, il analyse l’importance de la nuit du 4 août dans l’héritage français.
Comment, dans le contexte actuel, la nuit du 4 août résonne-t-elle à vos oreilles d’historien ?
Michel Vovelle. De façon assez paradoxale. Lorsque nous avons interrogé la mémoire collective des Français, à travers des sondages, lors du bicentenaire de la Révolution, la nuit du 4 août n’apparaît pas comme une référence vivace. C’est très injuste car cette date fondamentale inscrit une dimension plus importante que le geste symbolique de prise de la Bastille. Nous sommes au lendemain du 14 juillet, c’est-à-dire de l’entrée des masses populaires dans un mouvement révolutionnaire, de subversion de l’Ancien Régime monarchique, de l’abolition de l’arbitraire royal et de revendication de la liberté. La nuit du 4 août, c’est tout l’édifice institutionnel, social et en grande partie agraire qui se trouve abolit.
La révolution paysanne est déjà à l’œuvre avant le 14 juillet, avec le mouvement de la grande peur et la crainte des brigands qui dévastent, pillent et brûlent. Comment l’Assemblée nationale tiendra-t-elle compte de cette révolte de la France rurale majoritaire ?
Michel Vovelle. À Versailles, l’Assemblée nationale se demande quelle réaction adopter vis-à-vis de cette autre Révolution qui surgit des profondeurs. Ce mouvement est l’expression de la crise rurale. Michelet l’évoque grâce à une formule saisissante : « Le paysan français, voyez-le, couché sur son fumier, pauvre Job. » Il s’agit de la lecture de la Révolution comme révolution de la misère, essentiellement paysanne. En contrepoint, Jaurès explique qu’il s’agit plutôt d’une révolution de la prospérité, de cette bourgeoisie montante portée par le flux des profits ou de la rente. Qui a raison ? Sans doute, les deux. La paysannerie française n’est pas une paysannerie d’esclaves, ils sont déjà à demi-propriétaires mais supportent tout le poids de la féodalité. Des charges pèsent tantôt sur la personne, tantôt sur les terres. Le premier réflexe de la bourgeoisie patriote est celui de la réaction, du retour à l’ordre. La noblesse libérale des Lumières a le réflexe de considérer l’appui de cette révolution à la leur et à celle des masses parisiennes, et à la nécessité d’un compromis qui fera la substance de la nuit du 4 août.
Les historiens romantiques du XIXe siècle parlent de la nuit du miracle. Est-ce juste ?
Michel Vovelle. Il serait plus juste de parler de transaction, d’un changement d’une grande profondeur mais d’une générosité mesurée. Nous voyons apparaître l’égalité, notamment devant l’impôt ou à travers l’abolition de la vénalité des charges, des justices seigneuriales, du droit de chasse… La noblesse libérale propose également de détruire les privilèges du régime féodal en distinguant les privilèges sur la personne et les privilèges sur la terre. Sur la personne, il s’agit de l’abolition de toute forme de servitude, de cette charge de travail qui pesait sur les paysans, de celle qui pesait sur la transmission de leur héritage, de la mainmorte. Ces charges sur la personne sont supprimées sans contrepartie mais la distinction est faite avec les droits réels qui pèsent sur la terre et s’expriment en termes de redevance et du droit du seigneur de prélever sur les champs. Ces servitudes seront abolies mais déclarées « rachetables » : il faudra que les paysans payent ce qu’ils contesteront par la suite. Habile distinction qui permet d’arriver à ce « consensus » qui verra le clergé se joindre aux représentants du tiers état dans une grande séance d’effusion collective. Le miracle de la nuit du 4 août n’est pas seulement une hypocrisie, c’est un moment de rencontre. Avec la mise à bas de tout l’édifice de l’Ancien Régime, restent des arrière-pensées. Entre 1791 et 1792, les révoltes rurales seront extrêmement vives, en particulier dans les régions où le rachat des droits sera le plus lourd.
À droite, certains hommes politiques évoquent aujourd’hui un climat prérévolutionnaire. Qu’en pensez-vous ?
Michel Vovelle. Charles Pasqua disait déjà cela il y a vingt-cinq ans. La vieille et la nouvelle droite aiment jouer du spectre de la Révolution. La monarchie sarkozyenne pratique une politique d’attrape-tout symbolique : elle absorbe Jaurès, Guy Môquet et d’autres… Elle est néanmoins prudente dans ses références à la Révolution. Le président peut évoquer la chienlit de 1968, pour reprendre de Gaulle mais elle n’est prête à phagocyter l’héritage révolutionnaire que par ses aspects formels. C’est le magasin aux accessoires, et sont instrumentalisés le tricolore et la Marseillaise. Aller plus loin signifierait se heurter à l’essentiel de la subversion populaire. C’est ce qu’on évoque lorsque l’on parle d’atmosphère prérévolutionnaire. On ne va pas jusqu’à affronter la rupture révolutionnaire et encore moins les mesures de mobilisation populaire. Il y a là toute une manipulation verbale qui ne trompe personne. C’est en ce sens qu’il est utile de revenir à la véritable signification de la nuit du 4 août. Dans la France actuelle, où moins de 3 % de la population est paysanne, on pourrait penser que la nuit du 4 août ne nous dit plus rien. Il n’y a rien de plus faux ! Cette nuit nous parle de l’abolition de l’Ancien Régime social et institutionnel dans la voie des révolutions de l’égalité. Même si, pour l’heure, cette égalité profite en premier lieu à la bourgeoisie et, par retombées, à la paysannerie. Cela reste un pas majeur dans la Révolution française comme révolution de l’égalité.
Entretien réalisé par Lina Sankari
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