Soupçonné de travailler pour Bardella, le journaliste de France Info Jean-François Achilli est suspendu

mardi 26 mars 2024.
 

Selon « Le Monde », le journaliste politique a collaboré avec le président du RN pour l’écriture d’une autobiographie. Des révélations qui ont provoqué d’importants remous à Radio France, où plusieurs salariés se disent « écœurés ». Il a été suspendu de l’antenne.

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Jean-François Achilli ne coanimera pas son émission de radio, « Les Informés », sur France Info, jeudi, de 20 h à 21 h. Le journaliste politique a été suspendu de l’antenne après les révélations du Monde. Selon le quotidien, l’éditorialiste politique collabore avec le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella pour l’écriture d’un livre. Ces informations provoquent d’importants remous à Radio France, où la société des journalistes (SDJ) de France Info a immédiatement demandé un rendez-vous avec la direction de la rédaction.

L’éditorialiste, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Mediapart, a été convoqué dans la journée par Jean-Philippe Baille, directeur de la radio. Il a été suspendu de l’antenne « à titre conservatoire, le temps de clarifier la situation », comme l’a annoncé la direction dans un mail envoyé aux équipes. Également contacté, Jean-Philippe Baille n’a pas souhaité réagir.

Quant à Jordan Bardella, il a écrit sur X : « J’apprends que Radio France suspend l’un de ses journalistes pour un échange “supposé” autour d’un livre d’entretien avec moi qui n’a pas vu le jour. Ces méthodes pratiquées par le service public sont dignes des pires régimes et font honte à la démocratie. »

En pleine préparation d’un ouvrage, à mi-chemin entre l’autobiographie et le programme politique, Jordan Bardella a confirmé au Monde avoir sollicité Jean-François Achilli, également chargé d’une interview politique quotidienne, pour réaliser « un ouvrage commun » – ce que l’éditorialiste aurait refusé. Mais d’après les informations du Monde, ce dernier a cependant aidé le président du RN à écrire son futur ouvrage. « Je n’ai pas signé de contrat d’écriture pour le livre de Jordan Bardella, s’est défendu Jean-François Achilli. Tout ceci relève de ma vie professionnelle personnelle. »

Un concept nébuleux qui ne convainc pas du tout en interne, où plusieurs salarié·es ont confié à Mediapart leur « choc » à la découverte de cette situation. Interpellé par des collègues mercredi soir, après la publication de l’article du Monde, l’intéressé s’est défendu en arguant entretenir avec Jordan Bardella les mêmes relations qu’avec tous les autres responsables politiques qu’il côtoie.

Vendredi 15 mars, Jean-François Achilli a publié sur X une « mise au point » : Il affirme n’avoir « enfreint aucune règle déontologique » : « J’ai échangé avec Jordan Bardella comme je le fais avec tous les responsables politiques depuis 25 ans, écrit-il. Depuis quand les journalistes politiques ne peuvent plus échanger avec l’ensemble des responsables politiques ? ». Le journaliste assure avoir refusé d’écrire un livre d’entretiens avec Jordan Bardella, mais ne s’exprime pas sur le reste des révélations du Monde. Il se dit également « abasourdi par la brutalité de la mesure injustifiée prise par la direction de France Info », qui nuirait « gravement à [sa] réputation ».

Jordan Bardella contre le service public

La SDJ de France Info est revenue sur l’épisode dans un communiqué : « Jean-François, que nous avons vu [mercredi] soir, dément les informations publiées par nos confrères et assure qu’il a refusé d’écrire la biographie de Jordan Bardella. Pour autant, il ne nie pas avoir des contacts avec le président du RN, comme il le fait avec d’autres responsables politiques d’autres bords. » Et d’ajouter : « Si les faits avancés par Le Monde étaient avérés, à savoir que Jean-François aurait épaulé – dans l’ombre – Jordan Bardella pour lancer la rédaction de son livre, ce serait un manquement grave à la déontologie de notre profession, qui pourrait ternir la réputation d’impartialité de la rédaction de France Info. »

« On est interloqués et préoccupés, raconte un journaliste de la rédaction. Tout le monde attend des explications, c’est un très mauvais cadeau qui est fait à notre antenne. » L’un de ses collègues complète : « On est écœurés. Il y a un problème d’éthique journalistique, et d’éthique de service public. On peut encore moins le faire que les autres, on est très exposés, critiqués, on a des comptes à rendre aux Français. Ce genre de comportement fout tout en l’air. »

Depuis plusieurs semaines, Jordan Bardella est pourtant prompt à critiquer le service public de l’audiovisuel, dont il rappelle régulièrement le coût, comme lorsque « Complément d’enquête » lui a consacré une émission. En janvier, devant un parterre de jeunes militant·es venus dans une boîte de nuit parisienne pour fêter le lancement du mouvement Les Jeunes avec Bardella, le patron du RN avait fait huer les journalistes du service public : « Les clés du pouvoir ne nous seront pas données. Les obstacles sont nombreux. Le service public de l’audiovisuel est venu nous le rappeler », avait-il lancé.

Un coup dur pour l’image de la rédaction

« On a découvert ça comme tout le monde et les bras nous en sont tombés. C’est un mélange des genres, c’est un conflit d’intérêts et en plus, c’est le RN, ce n’est pas un parti comme les autres, c’est un parti d’extrême droite », affirme à Mediapart Lionel Thompson, élu CGT au conseil d’administration de Radio France. C’est aussi un coup dur pour l’image de la rédaction de France Info, poursuit-il : « Les gens sont très choqués, et impatients de voir comment la direction va réagir. Mais le mal est fait, vis-à-vis de l’extérieur, pour l’image des rédactions. Ça fait peser sur nous tous un soupçon de collusion. »

Tous les salariés interrogés par Mediapart ont partagé la crainte de voir l’image de la radio associée au parti d’extrême droite et la perte de crédibilité que cela entraînerait pour la station, en pleine campagne pour les élections européennes. « On fera quoi si tous les autres élus nous disent : “Je ne veux plus être interrogé par Jean-François Achilli, parce qu’il est proche de Bardella” ? », s’interroge un journaliste.

De son côté, le Syndicat national des journalistes rappelle qu’à Radio France, « depuis juin 2023, tout journaliste sollicité pour une collaboration extérieure, rémunérée ou non, doit demander une autorisation à la direction ». Parmi les critères qui permettent à celle-ci de donner son aval, on retrouve justement le fait de savoir si cette collaboration peut nuire à l’image de l’entreprise et si elle est conforme à la déontologie journalistique.

Cette procédure a été mise en place quelques mois après la révélation, par le média La Lettre, des pratiques de certaines figures de Radio France, qui cumulaient leur rôle de journaliste et des prestations de conseil pour des entreprises. Après ces révélations, quatre personnes avaient été mises à pied et une cinquième licenciée.

L’ouvrage de Jordan Bardella, censé sortir en librairies après les élections européennes du 9 juin, est aussi au cœur d’une bataille dans le milieu de l’édition. Selon les informations de L’Obs, Lise Boëll, l’éditrice historique de Philippe de Villiers et d’Éric Zemmour, aurait obtenu le manuscrit qu’elle compte publier dans l’une des maisons d’Hachette Livre. Son arrivée au sein du groupe aujourd’hui propriété de Vincent Bolloré a provoqué un conflit ouvert avec Isabelle Saporta, patronne de Fayard convoquée la semaine dernière à un entretien préalable à un licenciement. Au Monde, Jordan Bardella a cependant affirmé que « ce serait une erreur d’affirmer que Lise Boëll s’apprête à [l]’éditer ».

Youmni Kezzouf


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