Défiant la répression, les Chinois descendent dans la rue sur l’air de « L’Internationale »

mardi 6 décembre 2022.
 

Le mouvement de protestation contre les mesures anti-Covid s’est étendu ce week-end à l’ensemble de la Chine. Plus d’une cinquantaine d’universités se sont également mobilisées. Des slogans attaquent le Parti communiste chinois et son numéro un Xi Jinping. Une première depuis 1989.

La révolte est inédite depuis le printemps 1989, où le Parti communiste chinois avait été confronté à un vaste mouvement de rébellion, qu’il avait écrasé dans le sang en faisant appel à l’armée. Depuis, jamais aucune protestation n’avait dépassé le cadre local ou régional. Mais, les mesures draconiennes anti-Covid depuis plus de deux ans ayant mis à bout la population, il ne manquait qu’une seule étincelle pour mettre le feu à la prairie, comme disait Mao Zedong.

En l’occurence, l’étincelle a été un incendie mortel jeudi soir, dans la capitale du Xinjiang, Urumqi, sous confinement depuis trois mois. Très vite, les mesures de restriction contre la pandémie sont accusées, sur les réseaux sociaux, d’avoir ralenti les secours et alourdi le bilan. La colère se diffuse dans tout le pays, de Pékin à Shanghai, en passant par Wuhan.

Les étudiants se mobilisent en nombre et des slogans politiques émergent. On entend même des attaques directes contre le numéro un du Parti communiste. Dimanche, une cinquantaine d’universités étaient touchées par le mouvement. Retour sur une semaine de contestation exceptionnelle qui met le pouvoir de Xi Jinping au défi.

Les ouvriers en première ligne

Depuis plusieurs mois, la politique « zéro Covid », fondée sur des confinements à répétition, un contrôle étroit de la population et des tests massifs, fait l’objet de contestation. Le régime justifie sa mise en place au nom de la protection des Chinois·es : selon lui, elle a permis de préserver la vie des personnes les plus âgées et les plus fragiles. Mais son impact sur la population est délétère. Le long confinement de Shanghai au printemps dernier a été traumatisant pour les habitant·es de la mégapole économique. Mais c’est tout le pays qui est à bout, alors que le reste du monde a appris à vivre avec le virus et sans guère d’entraves.

Après le 20e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en octobre, les mesures ont certes été assouplies, mais des contaminations qui repartent à la hausse ont amené les autorités locales de plusieurs villes à fermer de nouveau, comme cette semaine à Zhengzhou.

C’est dans cette capitale de la province centrale du Henan que l’on a assisté en début de semaine aux premières manifestations. Au départ, un conflit d’ordre social lié à la lutte contre la pandémie a dégénéré dans la plus grande usine de production d’iPhone au monde opérée par Foxconn, l’entreprise taïwanaise. Véritable ville dans la ville avec ses dortoirs, commerces et terrains de sport, elle abrite quelque 200 000 ouvriers.

Le mouvement de protestation commencé mardi soir, en pleine période de forte production, en raison de l’approche des fêtes de fin d’année en Europe et aux États-Unis, est devenu beaucoup plus violent mercredi. Des images montrant des ouvriers tabassés par les forces de l’ordre ont été diffusées.

Jeudi, finalement, Foxconn a présenté ses excuses, invoquant « une erreur technique ». « Nous nous excusons pour une erreur de saisie dans le système informatique et garantissons que le salaire réel est le même que celui convenu et indiqué par les affiches officielles de recrutement », a précisé la compagnie, qui a également promis des indemnités de départ de 10 000 yuans (1 340 euros).

L’incendie d’Urumqi

Mais, alors que l’incident à Zhengzhou semblait résolu, c’est un incendie, qui a fait au moins dix morts et neuf blessés, qui va provoquer une mobilisation nationale. Il s’est produit jeudi soir dans le district de Tianshan, à Urumqi, capitale du Xinjiang, la province du Nord-Ouest où l’ethnie musulmane ouïghoure est victime de crimes contre l’humanité, selon de nombreuses ONG et gouvernements étrangers – certains évoquant même un génocide –, en raison de la politique de répression. Une tour d’habitation de 21 étages, où vivent plus de 150 familles, a pris feu en raison d’un câblage électrique défectueux, selon les autorités locales.

Malgré les dénégations de ces dernières, relayées par les médias officiels, une partie de la population a accusé les mesures de confinement d’avoir retardé le travail des pompiers et des secouristes, et empêché les résidents de sortir du bâtiment. Malgré la censure, les réseaux sociaux ont vite relayé les accusations et l’émotion ressentie dans tout le pays.

Puis des habitant·es d’Urumqi ont bravé le froid pour défiler dans la rue et réclamer la fin du confinement au cri de « Jiefeng, jiefeng ! » (« Déconfinez, déconfinez ! »). Lors d’une conférence de presse, les responsables de la ville avaient tenté de justifier la lenteur des secours en rejetant la faute sur les victimes. « La capacité de certains résidents à se sauver eux-mêmes était trop faible », a même déclaré Li Wensheng, chef du service des incendies d’Urumqi.

Samedi, les autorités d’Urumqi, ville de quatre millions d’habitant·es sous confinement depuis 100 jours, ont finalement annoncé, lors d’une conférence de presse, assouplir « par étapes » les mesures dans certains quartiers classés à faible risque. Les habitantes et habitants de ces zones seront autorisés à quitter leurs bâtiments par périodes échelonnées d’une journée, mais ils ne seront pas autorisés à quitter leur complexe résidentiel tant que tous les complexes du quartier ne seront pas classés comme zones à « faible risque ».

Une vague d’hommages qui tournent à la manifestation

L’incendie d’Urumqi a provoqué un émoi dans tout le pays qui a d’abord envahi les réseaux sociaux, avant de s’étendre dans la rue. Samedi, des jeunes se sont retrouvés dans la rue Urumqi de Shanghai pour rendre hommage aux victimes du sinistre. Ils ont allumé des bougies et se sont recueillis en silence.

Pas de mensonges, de la dignité. Pas de révolution culturelle, des réformes. Pas de dirigeants, des votes. On ne veut pas être des esclaves, mais des citoyens.

Un slogan à Shanghai

Mais, très vite, la foule a grossi. Un manifestant de 27 ans, interrogé par Le Monde, a expliqué manifester pour la première fois de sa vie, « dans la rue, pas en ligne ». « Je pense que c’est un événement important. Ce qui s’est passé à Urumqi, ça ne peut être que le fait d’un gouvernement inhumain. Mais la première réaction du gouvernement chinois, c’est de bâillonner les gens. » À l’arrivée des forces de l’ordre, les slogans ont surgi, certains très politiques.

Dix ans après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et son tour de vis autoritaire, marqué par un contrôle sécuritaire généralisé, une censure de tous les instants et des médias aux ordres, toute la frustration de la population éclate, et cette dernière cible directement le régime. Interrogée par Mediapart, Cai Xia, ancienne professeur de l’École centrale du PCC, aujourd’hui exilée aux États-Unis, jugent que ces mouvements de protestation « montrent que le peuple chinois est à bout ». « Il a le sentiment de ne plus pouvoir vivre normalement, dans de nombreux endroits il se révolte et réclame la fin du confinement », ajoute-t-elle.

Très vite, des slogans politiques ont été repris dans les manifestations. À Shanghai, à quatre kilomètres du site de la première réunion du Parti communiste chinois, alors clandestin, la foule a scandé : « Pas de mensonges, de la dignité. Pas de révolution culturelle, des réformes. Pas de dirigeants, des votes. On ne veut pas être des esclaves, mais des citoyens. » Ces morts d’ordre sont lancés non seulement à Shanghai, où, à peine quelques semaines après un 20e Congrès du PCC totalement verrouillé, on a pu entendre des slogans iconoclastes tels que « À bas le Parti communiste ! » et même : « À bas Xi Jinping ! », mais aussi dans de nombreuses villes du pays.

Dimanche soir, un rassemblement a eu lieu au cœur même de la capitale, Pékin, avec la présence de beaucoup de jeunes, témoigne auprès de Mediapart Franck Pajot, professeur au lycée français de Pékin, syndicaliste et élu conseiller des Français de l’étranger. « C’est assez impressionnant. Je n’ai jamais vu ça depuis quinze ans que je vis en Chine. Il y a un face-à-face entre la foule et une police assez importante. De temps en temps, la foule lance des slogans hostiles au pouvoir ou se met à chanter. Il y a aussi des mouvements de foule, les policiers tentant d’interpeller des manifestants et la foule tente de les empêcher », dit-il, ému par la mobilisation.

La révolte de la feuille blanche

Pour la première fois depuis le mouvement de 1989, les campus universitaires sont en ébullition. Pour exprimer leur détermination, étudiantes et étudiants reprennent L’Internationale ou l’hymne national, La Marche des volontaires – « Debout ! Les gens qui ne veulent plus être des esclaves ! [...] Bravons les tirs ennemis, marchons ! ». Les jeunes gens ont également choisi de brandir des feuilles blanches, comme à l’Institut de la communication de Nankin (voir ci-dessous).

Cette manière de dénoncer la censure mais aussi d’éviter les arrestations – rien de répréhensible n’est écrit – avait été utilisée à Hong Kong en 2020 pour éviter d’afficher des slogans interdits par la loi sur la sécurité nationale imposée après les manifestations de l’année précédente.

Contrairement à 1989 ou à d’autres périodes historiques, comme en 1919, souligne Cai Xia, les étudiants cette fois-ci ne sont pas à l’avant-garde, mais emboîtent le pas aux citoyens. « Et très rapidement, souligne-t-elle, les demandes de déconfinement se transforment en une revendication politique. Nous avons ainsi vu des slogans demandant la démission de Xi Jinping et attaquant le Parti communiste. De plus, les étudiants ont aussi repris des slogans en faveur de la démocratie et de la liberté d’expression. »

Le régime n’a pas tardé à réagir. Les forces de l’ordre ont été déployées à Shanghai et dans le reste du pays, interpellant des manifestants. Des images ont été diffusées de violences policières dans les bus où ils sont transportés.

Dimanche soir, à Shanghai, des ouvriers, sur ordre des autorités, emportaient le panneau de la rue d’Urumqi. Cette tentative semble dérisoire pour reprendre le contrôle d’une situation incandescente.

François Bougon


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