Le CAC 40 a poursuivi en 2021 son orgie de dividendes

mercredi 25 mai 2022.
 

Selon la dernière note de l’Observatoire des multinationales, les groupes du CAC 40 ont versé l’an dernier à leurs actionnaires plus de 80 milliards d’euros en dividendes et en rachats d’actions. Une belle santé favorisée par les aides publiques et les suppressions d’emplois.

Les grands groupes français ne connaissent pas les crises. Dans une note publiée mercredi 11 mai, l’ONG Observatoire des multinationales (ODM) a fait le bilan des revenus glanés par les actionnaires des entreprises du CAC 40. Et sa conclusion est plus que jamais édifiante, alors même que les ménages français sont soumis, sans réelle protection, aux effets de la hausse des prix.

Avec raison, la note rappelle que l’intégralité de ces 40 groupes qui constituent l’indice vedette de la Bourse de Paris a, en 2020 et 2021, bénéficié, sous une forme ou sous une autre, d’aides publiques pour faire face aux effets de la pandémie. Ils ont aussi bénéficié du « plan de relance » de 100 milliards d’euros, et notamment de la baisse annuelle de 10 milliards d’euros des impôts de production qui a principalement concerné les grandes entreprises.

Toutes ces sommes ont été distribuées au nom de la sauvegarde de l’emploi et de l’activité. Mais la note de l’ODM montre combien l’usage de ces fonds a été hasardeux. « Certains des groupes les plus aidés du CAC 40 sont aussi ceux qui suppriment le plus d’emplois et gâtent le plus leurs patrons et actionnaires », résume la note.

Globalement, les deux tiers du CAC 40 ont battu en 2021 leurs records historiques de profits. Alors que l’économie française et mondiale restait convalescente de la grande chute du PIB de 2020, on peut considérer que les multinationales, elles, ont fait montre d’une insolente santé.

Cette santé s’est évidemment accompagnée d’une générosité inédite envers leurs actionnaires. Alors que deux entreprises, Renault et Unibail, n’en ont pas versé, le volume global des dividendes distribués a atteint en 2021 un nouveau record de 57,5 milliards d’euros, soit un tiers de plus qu’en 2020.

En bonus, les groupes du CAC 40 ont aussi eu massivement recours aux rachats d’actions, pour un montant global de 23 milliards d’euros en 2021. Au total, la redistribution aux actionnaires dépasse donc 80 milliards d’euros. Le précédent record datait de 2018 et dépassait 60 milliards d’euros.

En parallèle, de nombreux groupes ont continué à couper dans leurs effectifs. Le champion, dans ce genre, étant Stellantis, dont le bénéfice progresse de 124 %, à 3,3 milliards d’euros, et qui a supprimé plus de 17 200 emplois. Mais TotalEnergies, BNP Paribas et Axa ont supprimé aussi entre 3 500 et 4 100 emplois chacun avec des bénéfices en hausse.

Il est parfois difficile de savoir quel est le bilan propre en termes d’emplois de ces groupes pour la France, mais l’ODM a indiqué que pour les 25 groupes qui donnaient ce type d’informations, le nombre d’emplois supprimés en 2021 était de 17 613 postes. Le pari de la « sauvegarde de l’emploi » ne semble donc pas réellement avoir été gagné.

En dividendes, la famille Arnault a touché 2,4 milliards d’euros, loin devant le 1,5 milliard d’euros de l’État français.

Si ces entreprises, qui souvent ont des niveaux de rémunération élevés, ont débauché et que l’emploi global a augmenté, c’est donc inévitablement parce qu’il y a eu un recours massif à l’externalisation. Logiquement, les salaires des emplois créés sont alors plus faibles. La crise actuelle du pouvoir d’achat traduit aussi ce fait.

Pire même, la politique de sauvegarde du statu quo économique appliqué pendant la pandémie a pris la forme d’une redistribution à l’envers puisque les actionnaires, eux, ont raflé la mise. L’ODM rappelle ainsi qu’en dividendes, la famille Arnault a touché pas moins de 2,4 milliards d’euros, loin devant les 1,5 milliard d’euros de l’État français, qui aura bien du mal avec cela à compenser les 240 milliards d’euros d’aides versées à l’économie. Le gestionnaire d’actifs BlackRock a aussi récupéré 2 milliards d’euros en 2021.

La famille Bettencourt aura glané 750 millions d’euros et la famille Pinault près de 600 millions. En passant, on voit ici les effets directs des chiffres de l’évaluation des fortunes de ces oligarques français qui, souvent, sont critiqués comme n’étant que des valorisations boursières. Mais derrière ces valorisations, il y a bien de l’argent sonnant et trébuchant.

La solidarité nationale a été mise au service des actionnaires et des patrons du CAC 40 sans contreparties.

À cela s’ajoutent les sommes versées aux fonctions dirigeantes, celles qui mettent en musique cette politique en faveur des actionnaires. Là aussi, les chiffres donnent le tournis. Pas moins de 236,8 millions d’euros ont été versés aux patrons du CAC 40 au titre de leur rémunération en 2021, pour une moyenne de 5,9 millions d’euros. La hausse de cette moyenne est de plus d’un million d’euros sur un an, soit 23 %.

Mais certains tirent mieux leur épingle du jeu. Bernard Charlès, PDG de Dassault Systèmes, a gagné à lui seul 44,1 millions d’euros, soit 18,6 % du total. C’est aussi plus du double de ses suivants, le PDG de Teleperformance (une entreprise de centrales d’appels cultivant les bas salaires) Daniel Julien et celui de Stellantis (champion des suppressions d’emplois, donc), Carlos Tavares. Ces deux patrons n’ont obtenu « que » 19,5 et 19,1 millions d’euros de rémunération annuelle. À cette aune, Bernard Arnault, avec ses 7,9 millions d’euros, paraît très « raisonnable », mais, on l’a vu, il se console avec les dividendes.

Finalement, l’ODM considère que « la solidarité nationale a été mise au service des actionnaires et des patrons du CAC 40 sans contreparties ». Une remarque qui, de plus, met à mal le récit sur la politique de l’offre du gouvernement et l’idée que la logique économique dominante serait modifiée. En effet, ces évolutions montrent que, malgré la crise de 2008 et celle de 2020, la financiarisation des grands groupes reste d’actualité. La logique de la « valeur actionnariale » continue de dominer la gestion de ces multinationales et, partant, laisse les sociétés sans défense lorsque les conséquences de cette logique les frappent de plein fouet.

Pendant des années, ces groupes ont préféré investir dans les rentes et rémunérer le capital, réduisant le poids du travail dans la valeur ajoutée et les investissements productifs. Ils n’ont par conséquent rien fait de concret pour se prémunir contre toute dislocation de la mondialisation. Bien au contraire, ils ont continué à chercher la réduction des coûts en étirant les chaînes de valeur et ont remis à plus tard toute forme de sobriété énergétique.

Lorsque ces chaînes de valeur se disloquent et que les tensions géopolitiques pèsent sur les matières premières, ces multinationales sont incapables de réagir. Le fait que l’on ait versé autant aux actionnaires en 2021 montre bien cette inconscience. Pour préserver la valeur actionnariale, il ne reste alors plus d’autre solution que de chercher à faire payer cette inflation par les consommateurs et les salariés. C’est la situation dans laquelle nous sommes. Et il est inquiétant que l’État se contente d’accompagner et d’appuyer ce mouvement qui prouve, par les faits, l’inefficacité de la coordination néolibérale.

Romaric Godin


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