Le texte ci-dessous a été publié parmi les blogs de Mediapart. Il se conclut par une argumentation en faveur d’un vote anonyme de militants insoumis dans la cadre de cette prétendue primaire populaire afin qu’elle élise Jean-Luc Mélenchon. Sur ce point, nous ne pouvons être d’accord comme le précisait le communiqué de Manuel Bompard.
La France Insoumise demande à ne pas être impliquée par la prétendue « primaire populaire »
L’intégrité des personnes signalées parmi ses soutiens ne pose pas problème. Par contre, vu de loin, nous pouvons avoir des doutes sur l’objectif et les méthodes des gens qui gèrent cette opération
Allons ! Dans deux semaines aura lieu le vote de la Primaire populaire : on en aura fini d’un mauvais feuilleton qui parasite la campagne « à gauche » depuis plus d’un an. Le projet fut, n’en doutons pas, pavé de bonnes intentions : on n’ira pas soupçonner l’intégrité de ses soutiens parmi lesquels Jean Gadrey, Stéphane Beaud, Barbara Cassin, Cédric Herrou, Laurence de Cock ou encore Robert Guédiguian. On se demande pourtant ce qu’ils pensent de ce qu’il est devenu.
L’idée était frappée au coin du bon sens : promouvoir une candidature unique à gauche. Pour donner un contenu à ce terme vidé de son sens par le quinquennat Hollande, la Primaire populaire posait un « socle commun » de dix mesures de rupture. Mais, première contradiction interne à l’entreprise : ce socle commun semble n’avoir aucune fonction opératoire. S’il en avait une, la Primaire populaire ne devrait soumettre au vote que les candidats qui l’acceptent.
Or qui des sept candidats retenus s’est engagé à les mettre en œuvre ? Anne Hidalgo ne parle pas de réduire les inégalités salariales (sans parler des inégalités de revenus qui sont autrement importantes). Yannick Jadot et Anne Hidalgo n’évoquent nullement la « convention citoyenne » censée permettre un renouveau démocratique. Je n’ai entendu ni l’une, ni l’autre, s’engager à abroger la loi sécurité globale, ni à restaurer et moderniser l’ISF pour qu’il génère 10 à 20 milliards d’euros par an (soit 3 à 6 fois plus qu’avant la réforme Macron). Rien entendu non plus sur la restauration de la hiérarchie des normes, c’est-à-dire la primauté de la loi sur les accords d’entreprise et de branche. Quant à savoir si Christiane Taubira admet le socle commun, c’est impossible puisque nul ne sait rien de son programme hormis la hausse du SMIC et le revenu étudiants, devenus des tartes à la crème de qui veut tendre à gauche.
En ne faisant pas de son socle commun une condition de sélection des candidats, la Primaire populaire a fini par retomber dans le flou sémantique : « gauche » désigne quiconque se définit comme tel, par opportunisme ou par habitude. Escamotant les différences entre les candidats, la Primaire populaire ignore corrélativement celles qui séparent les électorats et continue de fantasmer un « peuple de gauche » dont les votes se rassembleraient automatiquement s’il n’en restait qu’un.
Voilà donc la Primaire populaire réduite à un processus de sélection entre candidats d’un mythique « peuple de gauche ». Mais l’intervention de Christiane Taubira au 7/9 de France Inter ce matin a ruiné jusqu’à cette fonction de sélection : la seule candidate à proclamer qu’elle reconnaît la légitimité de la Primaire populaire – c’est d’ailleurs la seule chose qui distingue sa candidature de celles de ses rivaux – a pourtant refusé de s’engager à en respecter le résultat, c’est-à-dire à retirer sa candidature si elle ne l’emportait pas. Le vote qui aura lieu dans trois semaines n’aura donc aucune conséquence quelle qu’elle soit.
Que conclure de cela ? Les partisans de la Primaire populaire, qui sont intimement persuadé que l’égoïsme et le carriérisme des candidats est la seule cause de la désunion, ne peuvent que conclure que Christiane Taubira, dont ils espéraient le salut, est tout aussi égoïste et carriériste que les autres. Ceux qui n’ont jamais cru à ce processus verront confirmation de leur propre analyse : si l’union ne se fait pas, c’est qu’on ne peut marier la carpe et le lapin. On peut d’ailleurs se demander si Taubira aurait annoncé son intention de se retirer sauf le risque d’avoir à se ranger derrière Jean-Luc Mélenchon.
Car c’est là la malédiction de la Primaire populaire : malgré toutes les manœuvres, malgré l’intention annoncée d’attaquer sur les réseaux sociaux ceux qui refusent de s’y soumettre et même de bloquer leur accès aux parrainages, les sondages laissent à penser que le mieux placé pour l’emporter est celui-là même qui l’a toujours le plus fermement refusée : Mélenchon.
Mélenchon est évidemment le candidat que Jadot, Hidalgo, Taubira ne soutiendront à aucun prix - lui qui a construit la seule force vivante à la gauche du paysage électoral actuel et qu’accusent pourtant ceux qui, par conformisme idéologique, par courte-vue électoraliste, par lâcheté politique, ont mené leurs propres familles politiques à la ruine. Le paradoxe suprême de la Primaire populaire est d’ailleurs que de tous les candidats à l’élection présidentielle, le seul dont le programme inclut ses dix « ruptures » est celui contre lequel elle se concentre aujourd’hui. Si vraiment la Primaire populaire avait pour vocation de promouvoir son socle commun, il est le seul candidat qu’elle devrait reconnaître.
Les contradictions de la Primaire populaire, couronnées par les ambiguïtés de celle qui en est devenue la seule championne, ne sont pas passées inaperçues. Peut-être le combat cessera-t-il tout simplement faute de combattants : les organisateurs admettent eux-mêmes que si le vainqueur récolte moins que les 150 000 parrainages sollicités avec succès par Mélenchon, sa légitimité sera bien faible. Peut-être tournera-t-il au mieux car si Mélenchon remporte la Primaire populaire, on ne voit plus bien sur quelle base ses adversaires pourraient encore contester sa légitimité.
De nombreux insoumis se sont sans doute dit ce que la France insoumise ne peut pas déclarer officiellement : inscrivons-nous, gagnons ce machin et passons enfin à autre chose. Faisons campagne, enfin, pour un programme et non pour des chimères, et pour le candidat qui, quoiqu’on en dise, a mis quatorze ans à construire ce que d’autres voudraient bricoler en trois mois.
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