Fini de gloser sur les chiffres : face aux accusations de « laxisme », la gauche et les écologistes ont décidé de changer de discours, et se mettent à dénoncer l’inefficacité de la doctrine sécuritaire en vigueur depuis trente ans.
Comment ne pas tomber, une nouvelle fois, dans le « piège sécuritaire » ? C’est par ces mots que Lionel Jospin expliquait il y a quelques années le désastre de 2002. Une campagne présidentielle durant laquelle le candidat socialiste avait tenté de muscler son jeu sur les questions de sécurité face aux accusations de « laxisme », mais en vain : l’affaire « Papy Voise », du nom de ce septuagénaire agressé deux jours avant le 21 avril, et dont la droite et l’extrême droite firent leurs choux gras, avait, logiquement, fini par avantager les plus va-t-en-guerre. Avec le résultat que l’on sait.
À un an et demi de la présidentielle, et alors que le gouvernement a opportunément remis sur le devant de la scène la question sécuritaire, l’histoire semble bégayer. Sauf que cette fois, les gauches ont décidé de passer à l’offensive : pas question de se rouler en boule en attendant que le train passe, ou de prêter le flanc aux accusations d’« angélisme » serinées par la droite.
« La gauche en général, et les écolos en particulier, ont longtemps intériorisé une prétendue faiblesse ou infériorité sur les doctrines de maintien de l’ordre, de politique pénale ou de sécurité. Nous avons abandonné la bataille idéologique. Maintenant, je ne veux pas donner de ligne à suivre, mais je pense qu’il faut arrêter d’avoir des complexes, et reprendre la bataille culturelle sur ce sujet-là aussi », enjoint l’eurodéputé Europe Écologie-Les Verts (EELV) David Cormand.
« On doit se réapproprier les sujets de sécurité, en faire un thème central, discutable », lançait également le député insoumis Ugo Bernalicis, lors d’un colloque au titre évocateur – « Sécurité, violences, délinquance : retour à la raison » – organisé par le mouvement lundi 14 septembre, à Paris. « Face à l’ampleur prise par le trafic de drogue, on ne peut plus tenir les mêmes discours qu’il y a vingt ans, estime de son côté le patron du PCF, Fabien Roussel. Au lieu de déconstruire les discours sécuritaires, on doit se saisir de ce sujet qui nous a d’ailleurs souvent mis en difficulté dans les villes qu’on gérait et qu’on a perdues. »
Exemple à Saint-Denis (93), où la question de la sécurité des habitants, au cœur de la campagne, a conduit à l’élection du socialiste Mathieu Hanotin.
ne prise de conscience, de bonnes résolutions. Mais reste un problème de taille : comment développer un discours ne niant pas le problème de l’insécurité sans tomber dans la surenchère sécuritaire qui finit, immanquablement, par faire le jeu de la droite ? La question sera sans doute au menu des prochains mois, les partis lançant cet automne des refontes globales de leur programme en vue de 2022. Et il y a fort à parier qu’au PS – sur lequel plane encore l’ombre de Manuel Valls –, comme chez les Verts – où la doctrine de sécurité des maires fraîchement élus embrasse un nuancier relativement large –, les débats iront bon train.
En attendant, et poussé par les récentes sorties de Gérald Darmanin sur « l’ensauvagement » prétendu de la société française, un nouveau discours est peu à peu en train de faire son apparition à gauche. « Nous avons décidé de prendre le problème par un autre bout, de changer notre méthode de combat », confirme ainsi Jean-Luc Mélenchon, probable futur candidat à la présidentielle.
Une nouvelle « méthode » qui consiste non plus à discuter la pertinence du sentiment d’insécurité (nonobstant ce qu’en disent les chiffres qui montrent une baisse globale et continue de la violence) ou à alerter sur la réduction (pourtant réelle) des libertés publiques depuis trente ans. Mais qui revient au contraire à tirer à boulets rouges sur l’incapacité supposée de la droite à produire une politique « efficace » en matière de sécurité.
Lundi soir, en clôture du colloque organisé par La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon n’y est pas allé par quatre chemins : « J’ai vu passer, au cours des trente dernières années, 16 lois antiterroristes, 21 lois sur l’immigration, et 31 lois de lutte contre la délinquance, […], jusqu’à cette folie de la transposition de l’état d’urgence dans la loi ordinaire. Pour quel résultat ? Nous concluons à l’inefficacité absolue et à l’inutilité totale des lois mises en œuvre », a-t-il clamé, remémorant les épisodes peu « glorieux » de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, ou du ramdam déclenché par la vidéo de jeunes armés à Grenoble… qui tournaient en réalité un clip de rap.
Puis, s’adressant aux gouvernements actuel et précédents, le leader insoumis s’est employé à inverser la charge de la preuve : « La position forte, c’est la nôtre, pendant des années, vous nous avez traités d’angéliques, là c’est nous qui vous traitons d’inefficaces ! » Même topo de David Cormand chez les Verts : « L’approche de Darmanin, qui consiste à serrer les mâchoires pour effrayer les bandits, est puérile. Surjouer l’autoritarisme montre en réalité la faiblesse de l’action menée. Nous, nous pouvons être tranquilles : nous sommes légitimes, nous avons des propositions, et nous devons les assumer frontalement. »
« Les questions régaliennes seront au cœur de la campagne de 2022, abonde la députée écologiste Delphine Batho. Il faut qu’on construise notre crédibilité, et qu’on avance unis, ce qui sera plus simple sur les questions de sécurité que de République… Mais dans tous les cas, on a du boulot. » Car si les gauches ont décidé de changer de discours, pour l’instant, rien de très nouveau sous le soleil.
Du PS à La France insoumise en passant par les Verts, la recette est quasiment la même : « prévention, répression, réparation » pour LFI ; « prévention, répression, réinsertion » chez les Verts, « prévention, sanction, réparation et réinsertion » au PS. Partout, on parle recrutement de policiers nationaux, de rapports plus « humains » avec les forces de l’ordre, d’accélération des procédures judiciaires…
Chez les Verts comme à La France insoumise, on continue de prôner, comme en 2017, la légalisation du cannabis pour lutter contre le trafic de drogue. « Enfermer les dealers, ça fait de bons chiffres pour la police, mais vu qu’un dealer qui tombe est immédiatement remplacé par un autre dealer, autant vider la mer à la petite cuillère », souligne le maire EELV de Grenoble (Isère) Éric Piolle, qui cite l’ancien ministre socialiste Daniel Vaillant ou les rapports de l’ONU pour donner du crédit à sa proposition de légaliser des drogues « douces ».
Du côté du Parti socialiste, on reste divisé sur la légalisation. Et on se méfie aussi des beaux discours : « La différence avec La France insoumise ou les Verts, c’est qu’on a été au pouvoir, on ne voit pas tout à fait les choses de la même manière », souligne David Habib, secrétaire national à la sécurité, qui prévoit de remettre en route un grand chantier à l’automne pour renouveler l’appréhension du parti sur le sujet de la sécurité. « L’idée n’est pas d’établir une doctrine qui serait “de droite” ou “de gauche”, explique le député des Pyrénées-Atlantiques, qui fut aussi un proche de Manuel Valls, mais de voir comment nous pouvons être plus efficaces, notamment sur le volet justice, qui a trait avec l’application des peines, qui est celui qui dysfonctionne le plus. »
Au PCF aussi, Fabien Roussel imagine remettre son parti au travail lors d’une conférence interne d’ici la fin de l’année : « Il faut que la République – et pas uniquement la police – revienne dans les quartiers populaires. Les gens ont droit à la sécurité et à la tranquillité, mais il faut dire aussi que les immigrés, dont beaucoup habitent dans les quartiers les plus sensibles, sont les premiers concernés », ajoute-t-il, citant en exemple la maire communiste de Vénissieux (Rhône) qui a armé ses policiers municipaux de tasers et multiplié les caméras de surveillance dans sa ville. « Ça a donné de bons résultats », assure le premier secrétaire du PCF.
Pour l’heure, c’est La France insoumise qui semble toutefois la plus avancée en matière de propositions concrètes. Ugo Bernalicis, le « Monsieur police-justice » de LFI, dont les « maîtres à penser » vont de Pierre Joxe à Jean-Pierre Chevènement, en passant par Laurent Mucchielli et Virginie Malochet, a en magasin une batterie de mesures pour « revoir de fond en comble » le fonctionnement de la police.
À savoir : le démantèlement de l’IGPN (remplacé, comme en Angleterre, par un collectif indépendant, ouvert aux citoyens et aux chercheurs en sciences humaines), la dissolution de la BAC et le renforcement des effectifs de police judiciaire, l’intégration des policiers municipaux à la police nationale (sous réserve d’un allongement de la formation et de la réouverture des écoles de police fermées), mais aussi la réforme de la déontologie, la révision de la doctrine du maintien de l’ordre dans une logique de désescalade, la multiplication des peines alternatives à la prison…
Autant de mesures qu’il entend décliner en propositions de lois. Afin de montrer que « les lois sont prêtes dans les cartons quand on arrivera au pouvoir ».
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