Mai à juillet 1917 La grève des midinettes déclenche une mobilisation ouvrière

vendredi 2 juin 2023.
 

Cette grève des salariées des maisons de la couture présente une grande importance dans l’histoire du mouvement ouvrier français :

- > par son ampleur en pleine guerre qui symbolise la remontée de la combativité ouvrière (17 grèves en France en 1914, une centaine en 1915, 300 en 1916). En 1917 (700 conflits, 300 000 grévistes, 565 succès ou accords collectifs) et 1918, le nombre de grèves dépasse celui de 1906 et de 1910.

Quelques jours plus tôt, l’armée française a été lancée sans succès sur les tranchées allemandes au mépris des pertes (180000 morts en cinq jours).

16 au 21 avril 1917, Bataille du Chemin des dames

Les poilus râlent de plus en plus ; certains se mutinent.

La chanson des midinettes fait alors écho à la Chanson de Craonne

« On s’en fout,

On aura la semaine anglaise

On s’en fout,

On aura les vingt sous... »

« OUI, MONSIEUR, C’EST UNE GRÈVE ! »

Bientôt, les mutineries de Coeuvres vont arborer le drapeau rouge (2 et 3 juin 1917)

- > par son caractère féminin massif et déterminé. Vu la mobilisation des hommes dans les régiments, la féminisation du travail connaît une envolée pendant la guerre. Les conditions de travail sont fréquemment insupportables, le patronat arguant des nécessités de guerre. Les salariées des maisons de couture s’échinent ainsi dix heures par jour penchées sur les belles robes qu’elles confectionnent pour les dames des beaux quartiers ; leur un salaire reste très bas. En quelques jours, la grève partie des Champs Elysées, se généralise dans les maisons de couture avant de s’étendre dans les usines d’armement et les établissements bancaires

La syndicalisation féminine était restée très faible jusqu’alors, en partie due au poids social reléguant les femmes hors du domaine public, en partie aussi au machisme ambiant. Au début de la grève, les syndicats sont totalement absents. Bientôt, les grévistes se réunissent à la Bourse du travail et des délégués syndicaux négocient.

Les effectifs féminins de la CGT connaissent une flambée après cette grève des midinettes. Ainsi, en fin d’année 1917, la fédération des Métaux CGT compte 37,5 % de femmes syndiquées dans ses rangs.

- > par ses revendications défensives (refus de perdre une demi-journée de travail) et offensives (week-end payé d’une journée et demi ; indemnité de vie chère de 1 franc pour les ouvrières et de 0,50 franc pour les apprenties.)

- > par ses manifestations régulières qui gagnent un écho public, cassant la censure habituelle concernant les conflits du travail.

- > par sa victoire. En effet, le patronat du secteur lâche l’indemnité de vie chère et s’engage, en attendant le vote d’une loi, à faire un « essai loyal » de semaine anglaise.

- > par son rôle de détonateur des luttes ouvrières féminines en 1917 : Les unes après les autres, toutes les professions féminines de Paris reprennent les revendications des midinettes : les confectionneuses, les caoutchoutières, les brodeuses, les lingères, les ouvrières de l’usine de lampes Iris, à Issy-les-Moulineaux, les fleuristes-plumassières, puis les employées des Établissements militaires, les employées des banques, notamment celles de la Société générale, les confectionneuses de la Belle jardinière. La province est également touchée avec environ 11 000 grévistes dont les 2 500 ouvrières de la poudrerie à Saint-Médard, en Gironde.

- > sur le fond, la grève des midinettes a touché à deux points décisifs dans l’histoire des revendications ouvrières : celui du repos en week-end, celui des accords de branche qui plus tard donneront les conventions collectives

L’hiver 1916-1917 a été rude. La guerre continue à faucher les soldats au front. L’économie sombre. Le rationnement sévit. Les prix s’envolent. Dès 1915, au sein de la CGT, un comité s’est formé pour défendre la cause des femmes exploitées. Ce qui n’empêche pas, dans la même organisation, certains dérapages dénonçant le danger que représentent ces femmes pour la classe ouvrière, tant on les juge incapables de revendiquer.

C’est donc seules que les couturières, les midinettes, de chez Jenny, une grande maison des Champs-Élysées, vont déclencher le vendredi 11 mai 1917 leur première grève.

Au prétexte que le travail se fait rare, on leur annonce qu’elles ne travailleront pas le samedi après-midi et perdront cette demi-journée de salaire. Du chômage technique en somme. D’autant plus révoltant que leurs collègues britanniques, elles, pratiquent déjà la « semaine anglaise » : ne pas travailler le samedi après-midi, tout en étant payées. Une espèce de RTT avant la lettre…

Le nom de midinettes leur vient du dîner pris rapidement à midi car elles logent trop loin pour revenir chez elles et ne sont pas suffisamment fortunées pour se payer un repas au restaurant. De plus, elles disposent de peu de temps pour le repas entre leurs dix heures de travail.

D’abord accueillie avec des sourires un peu patelins, la grève est décidée. On ne veut voir que de jolies filles qui rient, sautent et chantent dans les rues de Paris et qui ne savent pas bien ce qu’elles espèrent obtenir. Erreur ! Car déterminées, elles le sont. Et le patronat ne va pas tarder à s’en apercevoir. L’une après l’autre, les maisons de couture s’engagent dans le mouvement au cri de « Nos 20 sous ! ».

- le lundi 14 mai, les 250 grévistes de chez Jenny sont rejointes par les cinq cents ouvrières de la maison Cheruit, place Vendôme

- le mardi 15 mai, la grève se généralise comme un feu de paille dans les maisons de couture. Deux mille s’élancent en manifestation sur les grands boulevards, en pleine guerre. Le journal L’Humanité en rend compte ainsi « Sur les Grands Boulevards, un long cortège s’avance. Ce sont les midinettes parisiennes aux corsages fleuris de lilas et de muguet ; elles courent, elles sautent, elles chantent, elles rient et pourtant ce n’est ni la sainte-Catherine, ni la mi-Carême. C’est la grève. »

- le mercredi 16, elles se comptent trois mille

Lorsque les usines d’armement et les établissements bancaires sont à leur tour touchés, les patrons sourient déjà beaucoup moins.

Aux alentours du 20 mai, ce sont bien dix mille travailleuses grévistes qui manifestent pour leurs salaires, certes, mais bientôt aussi contre la guerre. Ce n’est plus « Nos 20 sous ! » qu’on entend dans les rues, mais : « Plus d’obus ! ». Car les grévistes n’oublient pas leurs fiancés, leurs pères, leurs frères, sacrifiés sur le front à une logique de guerre qui n’épargne que ses profits. La « grève joyeuse des midinettes », comme l’avaient surnommée les journaux, devient exemplaire, par l’élan qu’elle a suscité.

Même si le patronat, largement secondé par tous les pouvoirs, a toujours tenté d’escamoter les conquêtes sociales, les solidarités, il reste que les syndicats sont sortis renforcés de la guerre. Grâce aussi à une « grève joyeuse », la grève des midinettes.


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