Au Mur des Fédérés pour la mémoire vivante de la Commune

vendredi 13 février 2015.
 

Le 30 mai, à l’appel de l’association des Amies et des Amis de la Commune de Paris 1871, on montera au mur des Fédérés. Comme cela se fait depuis 1880… L’histoire en a voulu ainsi.

D’autres lieux de commémoration eussent été possibles, mais c’est le symbole du martyre communard qui s’imposa à ses héritiers.

Il y eut jadis de très grands rendez-vous, rassemblant des centaines de milliers de personnes, comme en 1936 ou en 1945. Il y en eut de plus modestes. Mais chaque fois, on a défilé, fait des discours (depuis 1882), brandi des drapeaux (depuis 1885), chanté l’Internationale et le Temps des cerises. Parfois, les défilés ont été très unitaires, d’autres fois moins. Normal  : bien de tous et propriété de personne, la Commune n’est pas un objet froid, mais un souvenir vivant, un repère de valeurs.

Comment alors éviter, surtout quand les temps sont difficiles, que l’on discute pour savoir quelle est la meilleure façon d’être fidèle à ces valeurs  ? Rien n’est plus contraire à l’esprit de la Commune que le monolithisme et le consensus stérile. La controverse ne saurait effrayer. Dès l’instant toutefois où l’on n’oublie pas, surtout quand chacun est au pied du Mur, que la filiation assumée de la Commune exprime à la fois l’exigence d’une rupture et le désir d’être ensemble pour la conduire à son terme.

Qu’on le veuille ou non, la Commune est encore un événement méconnu. On n’en parle guère et, quand on le fait, trop souvent, on en revient aux médiocres raccourcis versaillais d’hier, à l’image stéréotypée du chaos et des incendies, des «  pétroleuses  » et des quelques dizaines d’otages exécutés. Impossible bien sûr d’ignorer l’autre risque, celui de la récupération consensuelle, comme Nicolas Sarkozy s’y essaya, il y a quelques années. On a toujours voulu exorciser la Commune en l’effaçant de la mémoire ou, au contraire, la noyer dans un prêchi-prêcha républicain plus ou moins assuré. Mais le risque principal, aujourd’hui, est moins dans cette récupération que dans le déni et dans l’oubli. En 1880, la République triomphante amnistia les communards. Elle ne les a jamais réhabilités, elle ne les a jamais 
intégrés visiblement dans l’imaginaire national reconnu, comme elle 
l’a fait pour le Front populaire et pour la Résistance. Le temps est venu, et de la visibilité et de la réhabilitation.

L’époque, d’ailleurs, l’exige plus que jamais. Voilà plusieurs décennies que l’on nous explique qu’il n’y a pas d’autre choix possible que celui de la concurrence et de la gouvernance, du pouvoir des marchés et de celui des technostructures. Résultat  : nos sociétés se déchirent, la démocratie s’étiole, le peuple est aux abonnés absents. Or que fut d’abord la Commune  ? L’irruption, inattendue, intempestive, impertinente du peuple sur le devant de la scène publique.

Rebelle, la Commune l’est jusqu’à décourager toutes les simplifications. Plurielle par essence, elle ne s’enferme dans aucun modèle, quel qu’il soit. Elle est d’un autre temps, donc inimitable. D’un côté, elle clôt le cycle des grandes insurrections plébéiennes de l’Europe occidentale et, d’un autre côté, elle ouvre sur la modernité du capitalisme industriel et sur le combat prolétarien. À bien des égards, on ne recommencera pas la Commune, pas même en essayant, comme le firent tant de révolutionnaires après elle, de corriger ses supposés «  défauts  » ou «  limites  ». Pourtant la Commune de Paris continue de nous dire quelques vérités indémodables, qui font d’elle une pépite de mémoire, un véritable patrimoine commun de l’humanité.

Elle nous rappelle que, quand une société va mal et quand une nation hésite, l’impulsion populaire, et non la vertu des «  sommets  », est la seule voie possible pour innover et relancer les dynamiques enfouies. Elle nous dit que la démocratie vacille ou balbutie, quand elle est niée par l’autoritarisme (ce fut le cas du régime impérial de 1852 à 1870) ou anémiée par la délégation de pouvoir (c’est le modèle par excellence des démocraties dites «  bourgeoises  »). Elle nous suggère encore que cette démocratie ne peut prospérer que sur la base d’une citoyenneté intégrale, sans barrière de quelque nature que ce soit, classe, genre ou nationalité, une citoyenneté dont le seul ressort ne peut être que la souveraineté pleine et entière du peuple concret et non du peuple théorique des Constitutions. Elle nous crie enfin qu’il n’est pas de possibilité pour vivre harmonieusement ensemble, si l’égalité et 
la solidarité ne sont pas les pivots de tout équilibre et de toute créativité.

Pourquoi se le cacher  ? La Commune fut une révolution. Elle le fut à la manière dont on vivait les révolutions, en Europe occidentale, depuis la Révolution anglaise du XVIIe siècle et surtout depuis 1789. Elle constitua ainsi, à l’ouest du continent tout au moins, la dernière des grandes insurrections armées et de classe. Mais, au-delà de la forme prise alors, il n’en reste pas moins que le parti pris de la rupture est plus moderne que jamais. Quand un système repose fondamentalement sur l’aliénation des individus, quoi de plus réaliste que de rompre avec lui, dans le sens de l’émancipation  ? Telle fut l’essence de la Commune  : refuser radicalement l’aliénation des classes subalternes et des individus  ; vouloir passionnément l’émancipation, collective et individuelle.

À partir de là, s’étonnera-t-on de ce que la parole officielle continue d’ignorer ou de minorer la Commune  ? Au peuple, donc, de rappeler qu’il ne peut en être ainsi. En marchant, une fois de plus, vers le mur des Fédérés.

Roger Martelli


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