28 mai 1871, Eugène Varlin, l’honneur du prolétariat, battu, éborgné, fusillé, crie sous les balles "Vive la république ! Vive la Commune !"

mercredi 7 juin 2023.
 

L’héroïque Eugène Varlin, " l’honneur du prolétariat ", s’impose parmi les plus importantes figures de la Commune et du mouvement ouvrier français.

Le 27 mai 1871, les dirigeants de droite et généraux à leur service, s’activent à une tâche aussi indigne que leur saloperie crasse habituelle : fusiller sans relâche les Parisiens qui ont eu l’audace de faire vivre la Commune durant deux mois.

Une seule barricade résiste encore, rue Fontaine-au-Roi, pour l’honneur du peuple ; sous un grand drapeau rouge planté comme un défi, voici Varlin, Ferré, JB Clément et quelques autres.

Le 28 mai 1871, les canons de l’armée explosent cette insolite barricade. Varlin, élu de la Commune de Paris, est exécuté contre un mur, à l’angle de la rue de la Bonne et de la rue du Chevalier-de-la-Barre, et laissé sur place pendant des heures.

Jacques Serieys

" Aucune figure de communard n’attire peut-être davantage la sympathie que celle de Varlin. Non seulement par les qualités de l’homme : la foi révolutionnaire, l’intelligence, le dévouement inlassable allant jusqu’à l’héroïsme, l’intransigeante probité. Mais aussi parce que la vie de Varlin se confond avec les efforts et les combats de la classe ouvrière de son époque. C’est à des hommes comme Varlin que le mouvement ouvrier français doit de s’être engagé sur la voie de la lutte de classes, sur la voie révolutionnaire et internationaliste ", écrit Germaine Willard en conclusion de son article de mars 1971, dans Cahiers du communisme, numéro consacré au centenaire de l’épopée. Eugène Varlin ? Une remarquable figure du mouvement ouvrier, un militant actif de la Première Internationale, un combattant de la Commune.

Une formation

Eugène Varlin naît le 5 octobre 1839 près de Clayes-Souilly (Seine-et-Marne) dans une famille pauvre. Le père, journalier agricole, cultive, à son compte, quelques lopins de terre. 1839, Alphonse de Lamartine, le 10 janvier, prononce un discours sur l’adresse au roi (Louis-Philippe) : " La France est une nation qui s’ennuie. Vous avez laissé le pays manquer d’action. " Le 12 mai, Barbès et Blanqui, avec quelques centaines de partisans, tentent de s’emparer de l’Hôtel de Ville de Paris et de la préfecture de police. Stendhal publie la Chartreuse de Parme, Victor Schoelcher, Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés (l’esclavage est aboli en 1848 mais l’est-il, réellement, en 2003 ?), Agricol Perdiguier, le Livre du compagnonnage. Parution du premier numéro, en décembre, de la Ruche populaire fondée par des ouvriers saint-simoniens (la feuille dure une décennie).

Eugène, à l’école, apprend à lire, écrire, compter. Son grand-père maternel, François-Antoine Duru, l’entretient de la Grande Révolution. En 1848, le vieil homme devient membre du conseil municipal. Après le coup d’État de Napoléon le Petit, il en est chassé. 1848, les espérances brisées, noyées dans le sang. Le 13 septembre, Alphonse Thiers, le massacreur de la rue Transnonein (14 avril 1834, il est ministre de l’Intérieur dans un gouvernement Soult), observe : " L’ouvrier est aujourd’hui plus riche qu’il ne l’a jamais été. " Le vertueux Montalembert relève dans le Moniteur : " Quel est le problème aujourd’hui ? C’est d’inspirer le respect de la propriété à ceux qui ne sont pas propriétaires. Or je ne connais qu’une recette pour inspirer ce respect, pour faire croire à la propriété ceux qui ne sont pas propriétaires, c’est de leur faire croire en Dieu, au Dieu du catéchisme, au Dieu qui a dicté le Décalogue et qui punit éternellement les voleurs. "

Référence, icône, modèle du libéralisme " made in France ", auteur de l’Ancien régime et la Révolution et De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville dans ses Souvenirs évoque à sa manière, partisane, les événements de juin : " Telles furent les journées de juin, journées nécessaires et funestes. Elles n’éteignirent pas en France le feu révolutionnaire mais elles mirent fin, du moins pour un temps, à ce qu’on peut appeler le travail propre de la révolution en février. Elles délivrèrent la nation de l’oppression des ouvriers de Paris et la remirent en possession d’elle-même. Les théories socialistes continuèrent à pénétrer dans l’esprit du peuple sous la forme de passions cupides et envieuses et à y déposer la semence de révolutions futures, mais le Parti socialiste lui-même demeure vaincu et impuissant. "

Thiers, Montalembert, Tocqueville n’ont-ils pas de glorieux descendants avec Sarkozy, Fillon, Parisot ? Le vocabulaire change. L’esprit demeure. Envoyé en apprentissage à Paris, en 1852, il apprend à la perfection. Il se heurte à son oncle qui lui reproche, avec aigreur, de lire les ouvrages qui lui sont confiés. Un comble ! Il prend une chambre en ville, travaille chez plusieurs patrons, consacre tous ses instants de liberté à la découverte d’oeuvres littéraires, politiques, économiques. Il accumule les connaissances. À dix-huit ans, il rencontre Alphonse Delacour, relieur, natif de Seine-et-Marne, qui l’invite à entrer dans la Société civile des relieurs, société de secours mutuel qui réunit patrons et ouvriers.

Quelques années plus tard, un de ses biographes rapporte : " Il avait vingt-deux ans, il en paraissait trente. Déjà sa taille élevée se courbait par l’habitude de la méditation. Sa chevelure abondante rejetée en arrière dégageait un front admirable. Ses yeux noirs et vifs exprimaient la mansuétude et l’énergie. Qui l’avait vu une fois ne l’oubliait jamais. Il s’était accoutumé à n’exprimer son opinion qu’après avoir écouté celle d’autrui. Modeste jusqu’à la timidité, bienveillant toujours, il trouvait des qualités à tous et ne voyait de défauts à personne. " Il suit les cours du soir de l’Association philotechnique, obtient deux seconds prix (français et comptabilité), une mention en géométrie. Il se met au latin avec un jeune frère qu’il héberge, se plonge dans la réforme du langage, s’intéresse aux arts, chante dans une chorale.

Une action

En 1864, il connaît sa première grève. Il est, déjà, repéré par les policiers de l’Empire. L’un d’eux, au terme d’une réunion, s’est précipité sur lui en gueulant : " Monsieur le commissaire, je vous le signale particulièrement ; c’est l’un des plus dangereux ! " Que demandent, en cet été 1864, les relieurs ? L’abaissement de la journée de travail de douze heures à dix heures, une augmentation de salaire. En septembre, une majorité de patrons acceptent. Eugène qui s’est montré actif et imaginatif reçoit une montre en argent de ses camarades. Très vite, le patronat revient sur ses engagements. Nouvelle grève, échec. Varlin rédige, pour le 1er mai 1866, les statuts de la Société civile d’épargne et de crédit mutuel des ouvriers relieurs de Paris, qui va devenir la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris.

À l’automne 1864, le 28 septembre, à Londres, événement fondamental dans l’histoire du monde, avec la naissance de l’Association internationale des travailleurs (la Première Internationale). Karl Marx rédige l’Adresse inaugurale.

Début 1865, l’Internationale commence à s’organiser à Paris. Zéphirin Camelinat, en 1922, précise : " Varlin n’est venu à nous qu’en 1865. Au début, nous nous rencontrions rue des Gravailliers avec Tolain, Fribourg, Malon, Perrachon, Guyard, Cultin, Bourdon, Combault, Héligon et quelques autres. Varlin avait pour ami un relieur de la rue des Rosiers, Adolphe Clémence, qui avait donné son adhésion dès le début, parmi la première centaine d’inscriptions. On n’était admis que sur présentation de deux parrains ; nous disions deux " garanties ". Nous n’acceptions d’abord que des adhésions individuelles, à l’exclusion de celles des groupements. Je remettais à chaque nouveau venu une carte numérotée qui nous venait d’Angleterre et nous coûtait un franc vingt-cinq centimes. Les sections imposaient à leurs membres quelques décimes supplémentaires. Un soir de l’hiver 1865, je ne sais plus exactement quel mois, Clémence venu à la réunion hebdomadaire de la commission nous parla de Varlin en termes chaleureux et nous demanda s’il pouvait l’amener pour causer. Le lundi suivant, Varlin se présente avec Clémence. Beaucoup parmi nous le connaissaient et l’estimaient. Son adhésion fut donc acceptée sur le champ. "

Varlin joue, rapidement, un rôle important, collabore à l’hebdomadaire de l’AIT, la Tribune ouvrière, participe à la réunion de Londres (25 au 25 septembre), obtient l’inscription, avec les autres délégués parisiens, pour le congrès de Genève (3-8 septembre 1866), des questions de l’influence des idées religieuses et de l’organisation des secours mutuels. À Londres, Eugène fait la connaissance de Marx. À Genève, Varlin, avec Antoine Bourdon, s’oppose à la majorité imprégnée de certaines idées malfaisantes de Proudhon, notamment à propos du travail des femmes. Ils estiment qu’il faut chercher à l’améliorer et non à le supprimer. La majorité juge qu’elles doivent rester à la maison... Secrétaire, correspondant du bureau parisien de la Première Internationale, Varlin est au cour de nombreux mouvements sociaux. Il se bat par la parole et par l’écrit. Pas de vaine véhémence mais des faits, des objectifs précis avec toujours le souci de rassembler ce qui demeure épars. Il obtient des syndicats britanniques des fonds pour soutenir la grève des ouvriers bronziers. Avec Alphonse Delacour et Nathalie Le Mel, il crée, dans le 5e arrondissement, un restaurant coopératif, la Marmite.

Les procès

Inquiet, soucieux de rassurer les " honnêtes gens ", Napoléon le Petit fait multiplier les procès contre l’Internationale. Les condamnations, amendes et prisons pleuvent. Varlin s’exprimant au nom de ses camarades brosse, implacable et précis, l’état des lieux : " Un vent de liberté absolue peut seul épurer cette atmosphère chargée d’iniquité et si grosses d’orages pour l’avenir. Au lieu de comprimer, puisque les compressions ne font qu’éclater, plutôt laissez ceux qui ont foi dans l’avenir établir l’équité sociale, la confiance renaîtra, et nous verrons disparaître ces symptômes de décadence qui attristent les observateurs. " L’Empire se fissure, les soldats tirent (assassinent) sur les grévistes. Victor Hugo, de son exil, rappelle dans son poème Misère :

" Partout la force, au lieu de droit. L’écrasement

Du problème, c’est là l’unique dénouement.

Partout la faim. Roubaix, Aubin, Ricamarie,

la France est d’indigence et de honte maigrie

Si quelque humble ouvrier réclame un sort meilleur,

Le canon sort de l’ombre et parle au travailleur.

On met sous son talon l’émeute des misères. "

L’auteur des Misérables (Varlin n’apprécie pas ce livre) n’oublie pas sa visite dans les caves de Lille, il écrit, le 12 août 1869, Aubin, terrible évocation de la mine et de ses esclaves.

Pour les élections de mai et juin 1869, dix-neuf membres de l’AIT lancent un programme qui annonce celui de la Commune : suppression des armées permanentes, du budget des cultes, séparation des églises et de l’État, instruction laïque intégrale obligatoire pour tous à la charge de l’État.

Varlin continue à semer la bonne parole, crée des sections de l’Internationale (au Creusot sur les terres de Schneider, féroce exploiteur, à Lille). Condamné une fois de plus, il séjourne en prison puis, pour échapper à de nouvelles poursuites, il gagne, à la demande pressante de ses camarades, Anvers, en Belgique. Il revient d’exil (comme Victor Hugo) à la proclamation de la République. Il fonde le comité de vigilance du 6e arrondissement, participe à la création du Comité central républicain des vingt arrondissements, devient chef du 193e bataillon de la Garde nationale. Benoît Malon, adjoint au maire du 17e, le charge du ravitaillement dans une ville où bientôt le moindre rat se négocie au prix du meilleur bifteck. Eugène imagine la caisse des subsistances du 17e, lutte contre les capitulards, participe à une manifestation contre les négociations, le 22 janvier 1871. Les mobiles bretons (et d’autres) ouvrent le feu : morts et blessés. Battu aux élections par refus de compromissions, Varlin veut relancer l’Internationale, s’intéresse à la Garde nationale qui peut jouer un rôle politique appréciable. Il s’active pour éviter que la bourgeoisie ne s’installe définitivement aux commandes de la jeune République.

Un combattant

Le 18 mars, Paris se redresse, refuse que les troupes de Thiers, le vieillard capitulard, s’emparent des canons payés par les sacrifices et les économies du peuple. Louise Michel, à Montmartre, secoue les énergies, décourage les soldats de Versailles. Avec François Jourde, il est nommé à la commission des Finances et s’installe au ministère. Pas question de forcer les coffres où sont entassés 4 600 000 francs. Les clés sont à Versailles, où Thiers le fuyard s’est installé avec son gouvernement, où siège une assemblée de ruraux réactionnaires et de propriétaires fonciers, de Bonapartistes déjà nostalgiques et de royalistes, commençant à intriguer pour mettre sur le trône le comte de Chambord.

Rothschild avait un demi-million. La Banque de France multiplie les obstacles pour verser des sommes sur les comptes dont Paris est créditeur. Les gardes nationaux touchent leur solde. Élu membre de la Commune, Varlin, que ce soit aux Finances, aux Subsistances, à la Manutention, est sur tous les fronts. Strict, il refuse les privilèges, ignore les passe-droit. Il s’exprime sans emphase alors que presque tous ses collègues usent et abusent du verbe. Il n’oublie jamais les travailleurs, veille à l’amélioration de leur sort.

Le 21 mai, trahison, l’armée de Thiers entre dans la Ville. Tout au long de la semaine sanglante, Eugène Varlin va de barricade en barricade, organise la lutte contre les soudards déchaînés commandés par des officiers, des généraux, un maréchal qui ont conquis galons et étoiles sous la monarchie de Juillet et le Second Empire. Pour eux, les ouvriers, le peuple, ils l’ont prouvé avec force et vigueur dans les répressions ici et ailleurs, ne sont que chair à canon. Feu ! Feu ! Feu sur la canaille ! est leur mot d’ordre.

L’état-major ridiculisé pendant la guerre contre la Prusse prend sa revanche. Bismarck n’a-t-il pas favorisé son complice Thiers le monstrueux en libérant des prisonniers ? Varlin va du 5e au 6e au 11e. Il s’oppose en vain, le 26, à l’exécution de cinq dizaines de gendarmes et d’ecclésiastiques. Les ultimes batailles font rage. Il sait que les Versaillais assassinent ceux qui sont pris les armes à la main, dénoncés, soupçonnés. Le sang ruisselle. Les charniers fleurissent.

Le samedi 27, il confie à Jules Vallès : " Oui, nous serons dépecés vivants. Morts, nous serons traînés dans la boue. On a tué les combattants. On tuera les prisonniers, on achèvera les blessés. Ceux qu’on épargnera, s’il en reste, iront mourir au bagne. Mais l’histoire finira par voir clair et dire que nous avons sauvé la République. " Le dimanche 28, le matin, Eugène est sur un des derniers lieux de résistance. L’après-midi, épuisé, assis sur un banc près de la rue Cadet, il est reconnu par un prêtre en civil décoré de la légion d’Honneur, qui court le dénoncer au lieutenant Sicre. Celui-ci rameute des Lignards pendant que la populace crache, insulte et tente de frapper Varlin. Sicre et ses soldats le conduisent rue des Rosiers, à Montmartre, pour le présenter au général Laveaucoupet. Il confirme son identité, puis se tait. En une poignée de secondes, il est condamné à mort.

Maxime Vuillaume, précieux historien de l’épopée, dans ses Cahiers rouges, rapporte le récit d’un témoin : " Comme à la station précédente, le condamné se tenait très droit. Toute son attitude était celle d’un homme brave. Les soldats, pressés par la foule, ne sont qu’à trois ou quatre pas de Varlin. Ils tirent. Les deux fusils ratent. Ils rechargent leurs armes et tirent une deuxième fois. Varlin fléchit et tombe. Quand il fut à terre, la foule battit des mains. Les soldats dispersèrent avec le canon du fusil cette tourbe humaine. Il ne resta plus, au pied du mur, que le mort couché sur le côté. "

" Vive la république ! Vive la Commune ! " sont ses derniers mots. Sicre, le salopard, s’empare de la montre autrefois offerte à Varlin par ses compagnons. Il l’exhibe, avec morgue, dans ses dîners en ville. À l’aube des nouveaux temps du capitalisme industriel, Eugène Varlin, avec une rare intelligence, voit l’urgence, l’ardente obligation d’éduquer les travailleurs, l’importance de les rassembler dans des syndicats puissants, capables de s’opposer aux férocités patronales. La lutte des classes se modifie, au fil des siècles. Elle n’est pas achevée malgré les affirmations bavardes des opportunistes et des réformistes. Les prolétaires de tous les pays ne sont pas encore unis. Eugène Varlin ? Son ouvre n’est pas achevée.

Pierre Ysmal

Source : Journal l’Humanité


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