Charles Delescluze (1809-1871) "Place au peuple ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné"

dimanche 3 juillet 2011.
 

« Voilà donc un homme qui, même mort, fait encore peur  ! » s’exclame Gambetta. Le délégué civil à la Guerre de la Commune de Paris, l’homme qui avait appelé à une « guerre des quartiers » à l’entrée des versaillais dans Paris, a bien été tué le 25 mai sur une barricade au Château-d’Eau, ne voulant en aucune manière « servir de victime ou de jouet à la réaction victorieuse ». Mais le pouvoir de Thiers veut déconsidérer sa figure et le déclare en fuite. Bien que le grand conseil de guerre ait dû reconnaître que « sa mort est de notoriété publique », il condamne encore Charles Delescluze à mort par contumace en 1874  ! Mais qui est donc ce cadavre qui fait si grand bruit  ?

Gambetta avait déjà jugé l’homme en 1870 : « Si Delescluze est l’incarnation de toutes les vertus jacobines – intransigeance, honnêteté, esprit d’autorité, républicanisme social –, il a su s’ouvrir même aux idées de Proudhon, cet ancien adversaire. Et cet esprit centralisateur ne s’est pas davantage opposé au développement des libertés communales.  » Il est au fond une résurgence de l’élan de 1793 dans les vastes contrées de l’affairisme d’empire, celles qui peuplent la plaine Monceau de folies et de palais.

Né à Dreux en 1809, c’est vers le droit et le métier de clerc d’avoué que s’oriente brièvement Charles Delescluze. Mais, très vite, la routine des constats s’évanouit devant la passion du journalisme, le goût de ferrailler et de s’engager qui marque la presse française à ses débuts. Il joue un rôle éminent lors des Trois Glorieuses, en juillet 1830, et membre de la Charbonnerie et de plusieurs sociétés secrètes républicaines, il complote contre Louis-Philippe. Poursuivi, il gagne la Belgique où il anime la vie politique et intellectuelle des républicains exilés et se forge une plume au Journal de Charleroi. De retour en France quatre ans plus tard, il fonde à Valenciennes l’Imparfait du Nord, un journal républicain qui provoque l’ire des autorités. Le voilà une première fois condamné à la prison (un mois ferme) et à une lourde amende.

Lorsque éclate la révolution de 1848, il proclame la République à Valenciennes en la peuplant des idéaux de la Commune insurrectionnelle de Paris de 1792 et de la Constitution de 1793. Le voilà nommé par le gouvernement provisoire, et pour peu de temps, commissaire de la République pour le département du Nord. Il lance ensuite un nouveau journal, la Révolution démocratique et sociale, et une association qui regroupe républicains de gauche, radicaux et socialistes, « pour une opposition unitaire aux ennemis de la révolution ». En mars1849, il est de nouveau condamné à la prison et à une forte amende pour avoir dénoncé dans ses articles le général Cavaignac comme le responsable des massacres de juin1848. Il avait, écrit-il, laissé grandir l’insurrection, « pour se donner le plaisir de l’étouffer sous des monceaux de cadavres ». Longue litanie des geôles (Mazas, Sainte-Pélagie, Corte, Belle-Île…) et des jugements. Il est même déporté à Cayenne, à la sinistre île au Diable où les condamnés politiques sont l’objet de toutes les brimades. Il ne plie ni ne rompt, gagnant par son courage romain le surnom de Barre de fer.

Quand enfin une amnistie le libère, en 1860, c’est un homme usé physiquement qui regagne Paris, mais un militant qui s’est constitué un arsenal de pensée redoutable, puisé à la source Robespierre et qui, à nouveau, crée un journal, le Réveil, qui dispense les principes de l’Association internationale des travailleurs, l’Internationale… L’empereur Napoléon III le fait interdire en 1870. Il reparaît  ; Delescluze est trois fois condamné  ; il se réfugie en Belgique, revient, réimprime son journal… La charge subversive de la presse écrite que tant de pouvoirs s’acharnent à museler.

Il cultive la mémoire des héros de la Grande Révolution, mais aussi de ceux de ce XIXe siècle français qui donnent le tournis à l’Europe. Il lance ainsi une souscription pour ériger une statue à Alphonse Baudin, député de Nantua tombé sous la mitraille sur une barricade érigée le 3 décembre 1851 contre le coup d’État de Napoléon le Petit. « Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs  ! » avait lancé le parlementaire en faisant allusion à son indemnité journalière. Lui aussi proscrit, Victor Hugo, qui avait relaté ces derniers instants, avait versé son obole. La statue dressée à l’angle du faubourg Saint-Antoine et de la rue Crozatier a été mise à bas par Pétain. La municipalité d’aujourd’hui s’honorerait de la reconstruire.

Ses articles stigmatisent le libéralisme économique de Thiers et la mollesse de la gauche parlementaire. Il pose dans son journal, à l’aube de 1870, la question « qu’est-ce que le socialisme  ? », qu’il définit comme un « ensemble de recherches préparant l’émancipation intégrale des travailleurs ». Et il dessine un avenir du capitalisme qui rejoint l’analyse de Marx  : « Encore quelques années (…), il n’y aura plus qu’un petit nombre de fortunes monstrueuses exploitant une nation de prolétaires. »

C’est sur les ruines de l’empire et de son armée en déroute que Charles Delescluze tient un rôle de premier plan. Lui, qui s’était d’abord dressé contre la guerre, appelle dans la défaite à « la lutte armée contre les capitulards » du gouvernement de la Défense nationale, et élu maire du19e arrondissement le 5 novembre 1870, il démissionne de sa fonction le 6 janvier suivant, se fait élire à l’Assemblée nationale où, avec les accents du comité de Salut public, il demande la mise en accusation des ministres. Porté au Conseil de la Commune par les 11e et 19e arrondissements, il en devient un des principaux animateurs.

Celui qui avait été élu quasiment à l’unanimité comme délégué civil à la Guerre avait bien tenté de négocier pour arrêter l’effusion de sang. Mais le 24 mai, quand les versaillais entrent dans Paris, il lance aux Parisiens cet appel  : « Place au peuple, aux combattants aux bras nus  ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes, mais quand il a un fusil à la main, un pavé sous les pieds, il ne craint pas les stratèges de l’école monarchiste. Aux armes, citoyens, aux armes  !… la Commune compte sur vous. Comptez sur la Commune  ! »

Lui préfère chercher la mort sur une barricade. « Je ne me sens pas le courage de subir une nouvelle défaite après tant d’autres », écrit-il dans une dernière lettre à sa sœur.

Journaliste français, devenu délégué civil à la Guerre de la Commune de Paris, Charles Delescluze mènera le combat pour la République jusqu’à la mort sur une barricade.

Patrick Apel-Muller


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