Jacques Tardi : «  La Commune, l’espoir d’inventer un nouveau monde  »

lundi 15 mars 2021.
 

Il y a vingt ans, Tardi a consacré à la Commune une adaptation du roman de Jean Vautrin Le Cri du peuple. Rééditée dans un nouveau format, elle restitue avec empathie une insurrection populaire qui a inspiré tant de conquêtes sociales.

Jacques Tardi nous a reçus chez lui, sur les hauteurs du XXe arrondissement, à deux pas du Père-Lachaise et du mur des Fédérés, là où la réaction versaillaise (secondée par les Prussiens) fusilla froidement, sans procès ni pitié, plusieurs dizaines de milliers d’ouvrier·es et de militant·es parisien·nes, leurs conjoint·es, leurs enfants. Sur les murs, nombre de dessins tirés de ses œuvres  : sur la Commune, la vie des poilus dans les tranchées de 1914-1918, les stalags en Allemagne, où son père fut retenu cinq ans durant (1)… Et de larges bibliothèques, pleines de livres, d’albums ou de romans dessinés. On ne trouvera en revanche nul signe honorifique ni distinction dorée chez celui qui a refusé «  avec un immense plaisir  » la Légion d’honneur, «  ce truc rouge à la boutonnière  ».

Éternel libertaire, Tardi, sollicité par la municipalité, a refusé ces derniers mois toute exposition de ses planches sur la Commune dans un quelconque cadre institutionnel. Quand bien même elles auraient constitué une belle réponse aux attaques de la droite parisienne ou de la Macronie (jusqu’à l’historien Pierre Nora, que l’on a connu plus rigoureux dans sa -discipline) dénigrant l’héritage de cette expérience de 72 jours qui annonçait toutes les avancées sociales et les libertés publiques promues peu à peu par la IIIe République. Car les Communes de 1871 (2) constituent bien un événement majeur, gestation collective des grands principes républicains français à venir, affirmant le dépassement et la fin des privilèges dont jouissaient jusqu’alors les élites nationales.

Le Cri du peuple, du nom de l’un des principaux journaux populaires de l’époque, c’est d’abord un roman que Jean Vautrin a mis trois ans à écrire (3), et Tardi plus de quatre ans à transposer en dessins. Des années de recherches minutieuses, qui sont aussi une marque de l’artiste, pour illustrer jusque dans les moindres détails les fines baïonnettes des soldats assiégés de la Garde nationale ou les objets des fourneaux de Louise Michel, cuisinant dans son petit appartement de la butte Montmartre… Une plongée dans la vie quotidienne des prolétaires et des foyers -populaires parisiens, au moment de -l’invasion des Prussiens. Et le récit d’une révolution qu’Adolphe Thiers, à la remorque de la bourgeoisie et des casques à pointe de Bismarck, a noyée dans le sang, mais sans empêcher l’espoir révolutionnaire de survivre, comme le suggère la dernière image de l’album. Un optimisme comme remède non seulement au capitalisme, mais aussi à la noirceur qui, souvent, pénètre les individus, en l’occurrence les personnages. Car, si Tardi donne à voir et à sentir la Commune, il livre d’abord un digne récit d’époque  : une histoire d’enquête policière et de meurtres non résolus, d’amours passionnels et de vengeance froide, de médiocrités et de petite grandeur des miséreux.

Si nous avions une préférence pour la première édition en quatre volumes, en format à l’italienne (plus large que haut) et à la narration feuilletonnée plus dynamique, cette réédition a le mérite de livrer aux célébrations de la Commune une œuvre majeure d’un immense auteur de bande dessinée. Et aussi de mettre en valeur, par un effet d’agrandissement minutieux, certaines planches, monuments du neuvième art.

Pourquoi le choix de ce nouveau format, qui transforme, un peu, la nature du livre  ? En effet, l’édition précédente magnifiait le côté feuilleton du roman de Vautrin. Avez-vous beaucoup retouché votre œuvre originale  ?

Jacques Tardi :Casterman avait programmé cette réédition à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la Commune. La première publication, divisée en quatre volumes, remonte à 2001. Et il paraît que le format à l’italienne n’est pas toujours facile à lire, en tout cas en France. On a donc engagé un travail de repagination, et j’ai dû retravailler certaines cases, voire des planches. C’est vrai, ça change. Mais ces nouvelles contraintes permettent aussi des innovations, des mises en page plus valorisantes pour certains dessins. Surtout, cela m’a permis de redécouvrir un travail vieux de vingt ans  ! Et le plaisir de retrouver la truculence de Vautrin, sa langue argotique d’une richesse exceptionnelle qui n’appartient qu’à lui mais qui habille tout un peuple  ! Et ces noms de personnages  : Marbuche, Tarpagnan…

Que retenez-vous de la Commune  ?

C’est d’abord une expérience de démocratie directe. C’est cela, la véritable démocratie  : convoquer les gens pour savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils souhaitent. Plutôt que de déléguer, car c’est ça qui ne va pas  ! Soit dit en passant, c’était certainement invivable, puisque cela signifie des réunions à n’en plus finir, qui doivent statuer sur le ramassage des poubelles, ou n’importe… Au bout d’un moment, cela devient une véritable contrainte. D’une certaine façon, aussi, cela a entraîné des légèretés qui peuvent paraître impardonnables. Ainsi, le général polonais Dombrowski, qui commandait une partie de l’armée dans le XIIIe arrondissement, n’a jamais été vraiment aidé alors que Thiers donnait l’assaut. Dans les tout derniers comptes rendus de la Commune, on voit même qu’on débat du prix des places de théâtre, ou du fait de savoir si un membre de la Commune peut porter son sabre dans certaines cérémonies...


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