L’histoire chilienne du Français Emile Dubois en guise de cadeau de nouvel an

vendredi 1er janvier 2010.
 

L’année 2009 se termine. Je ne parlerai pas de politique dans ce billet. Du Chili, et particulièrement de Valparaiso, j’entends quelques nouvelles de France sur les difficultés (que nous surmonterons, je l’espère) de la construction du Front de Gauche lors des élections régionales. Moi, momentanément loin des polémiques et de ces mesquineries, je ... vais vous raconter une petite histoire, qui nous fera tous méditer sur les raisons insondables de l’immortalité que procure la gloire.

Une histoire, quasi inconnue en France, sur l’un des grands mystères qui déchaîna les passions de Valparaiso. Je m’y intéresse, depuis que j’ai découvert, emmené malicieusement par un "tio" à l’esprit vif, cette tombe recouverte du drapeau tricolore, car mon affaire concerne un petit français, comme moi, égaré dans ces terres lointaines, venu sans doute par amour des lieux et des habitants.

Mon histoire se passe à la fin du XIXème siècle et au début du XXe et concerne el frances Emile Dubois. Voilà un nom banalement hexagonal, j’en conviens, au point qu’une rue du 14e arrondissement de Paris se nomme ainsi sans aucun rapport avec le personnage de mon histoire (Dans la capitale, ce nom de rue honore un homme politique de la IVe République). Mais, ici au Chili, et à Valparaiso particulièrement, ce nom raisonne comme celui d’un saint, aujourd’hui encore vénéré par une partie du peuple porteños (c’est ainsi que s’appelle les habitants du port), qui entretient à son sujet un culte, lui offrant des milliers d’ex-voto, alors qu’il fut condamné à mort en 1907.

Mais, commençons par le commencement. Né le 19 avril 1867 à Etaples (Pas-de-Calais), sous le nom de Louis Amédée Brihier, il commence assez jeune à travailler dans la forge de son père. Puis, il devient mineur à Courrières pendant 2 ans. Pour des raisons obscures, peut-être s’est-il battu avec le père d’une jeune fille dont il était amoureux, et qui était policier, il quitte sa région pour partir vers l’Amérique du Sud après quelques errances à Barcelone dans une troupe de théâtre. Il a 20 ans et débarque à Bolivar au Venezuela. Il circule à travers le continent, travaille dans les mines d’El Callao, va au Pérou, au Panama et en Colombie. Pour vivre, peut-être fut il professeur de littérature française, vétérinaire et comédien. On dit qu’au Venezuela, il est un temps ouvrier dans les mines de Maracaibo et même qu’il anima un mouvement de grève. On affirme aussi que dans ce dernier pays, il participe aux évènements politiques, s’engage dans l’armée et devient capitaine ou colonel d’un comité révolutionnaire du général Uribe (un militaire plutôt libéral, qui s’oppose au Parti conservateur pendant la « guerre des milles jours » de 1899 à 1902). Notre homme est un aventurier, assurément courageux et intelligent.

Mais, il a aussi une belle faculté à enjoliver la réalité le concernant. Lorsqu’il se rend à Guayaquil, en Equateur, il se présente alors comme Ingénieur des Mines. Dans ses voyages il rencontre deux femmes, Ursula et Catalina, qui l’accompagnent désormais.

En 1903, il est à Iquique dans le nord du Chili, où il travaille un temps dans les célèbres Mines. Cette fois ci, avec des papiers délivrés par le gouvernement colombien, il a pris le nom d’Emile Dubois. Pourquoi ? Mes lectures ne me donnent pas de réponse. Là, il rencontre un ingénieur péruvien qui part se marier avec ses économies. L’homme est retrouvé poignardé, allégé de son argent. Dubois est-il le coupable ? Un temps soupçonné, il n’est finalement pas inquiété. Ses déplacements continuent, il se rend à Antofagasta, où un autre français fortuné qu’il a rencontré, Ernest Lafontaine, est retrouvé poignardé et volé dans les mêmes conditions que le riche péruvien. Notre héros est à nouveau soupçonné, d’autant que l’on a retrouvé du sang sur ses vêtements et ses chaussures. Mais, Dubois répond qu’il s’agit simplement de celui d’un poulet qu’il a tué la veille pour manger. Manifestement convaincant, à une époque où la police scientifique n’existe pas, il est relâché, mais quitte la région.

Désormais, Emile Dubois vit à Valparaiso, où il mène grand train. Il est beau, cultivé et fin d’esprit. Il fréquente la société bourgeoise de la ville. Il fait la rencontre d’un Allemand qui possède une mine et… ce dernier meurt poignardé ! Mais, Dubois n’est pas interrogé. Par contre, quelques semaines plus tard, c’est un dentiste d’origine américaine qui est agressé dans son domicile place Anibal Pinto, mais il n’est qu’assommé momentanément, s’échappe de son agresseur et reconnait formellement Emile Dubois. Nous sommes en 1906. Son procès va commencer, sa légende aussi.

Quelques heures après son arrestation, on va lui attribuer quatre assassinats car on trouvera sur lui des preuves prétendument accablantes : une montre volée, et un carnet contenant une liste de noms de ses victimes passées et à venir… Cette dernière trouvaille enflamma la bourgeoisie du port qui était visée, et réjouit une partie du peuple qui aller donner une lecture politique à ce fait divers. Les plus pauvres virent dans ce que l’on reprocher à cet homme, des actes de vengeance sociale. C’était sans doute aller un peu loin, mais après tout pourquoi pas ? Et, il est vrai que l’histoire est plus belle ainsi.

Émile Dubois lui, cria son innocence avec aplomb sans taire son mépris pour l’institution judiciaire. Ce sont les journaux de l’époque qui vont (involontairement) en faire un héros urbain. Pour eux, ce meurtrier cultivé qui s’en prenait aux notables, c’était une aubaine. Son procès eut un tel retentissement, « médiatique » dirait-on aujourd’hui, que, depuis sa cellule, Émile Dubois demanda aux directeurs des différents journaux qu’on lui fît parvenir des notes de frais pour toute l’encre qu’il leur permettait d’écouler.

Arrêté en avril 1906, son procès dura jusqu’au mois de janvier 1907. Dubois y montra des talents d’orateur. Il congédia son avocat qui plaidait la démence, et assuma seul sa défense en fustigeant les riches et les puissants. Dans les rues le peuple adorait. On se déchirait sur son cas. Coupable… innocent…toute la ville prennait position. Pour les riches, il était coupable et dangereux. Et même odieusement cynique selon eux, puisque, avant d’être arrêté, il avait envoyé des lettres de condoléances aux familles des victimes et même participé à leurs obsèques. Pour le peuple, il était innocent. Une preuve supplémentaire ? Le 16 août 1906, une chose incroyable se produisit à Valparaiso : un tremblement de terre. Les murs de la prison sont détruits. Des prisonniers qui ont pris fait et cause pour lui, veulent l’aider à s’enfuir, mais il aurait refusé pour laver son honneur et gagner loyalement son procès. Autre version (sans doute plus véridique), il profite de l’aubaine et essaye effectivement de s’enfuir, mais cela échoue.

Condamné à mort le 4 janvier 1907, il envoya promener le curé qui venait le voir par ces mots : « Je me confesserai à Dieu, pas à ses représentants ! ». Il avait l’art de la formule, et de plus j’aime à penser que début 1907 (un an après décembre 1905, date de la séparation de l’Eglise et de l’Etat), un français qui envoie balader un prêtre, est potentiellement un anti clérical ou un libre penseur. En même temps, sa volonté de bavarder directement avec le Grand Créateur ne laisse pas exactement entendre cela. Tant pis pour moi.

Face au peloton d’exécution le 26 mars 1907, il interrompit ainsi la lecture de la sentence : « Veuillez abréger, messieurs, et passer à la conclusion. » Enfin, avant que les coups de feu n’éclatent, il s’exclama : « Pour vous je suis un assassin, mais pour le peuple je serai un saint ! Le peuple ne m’oubliera pas. » Pas mal, non ? Quand je vous dit qu’il avait l’art de la formule. La phrase est depuis écrite sur les murs du cimetière de Playa Ancha à Valparaiso.

C’est une fois mort, que le « salaud présumé » devint vraiment lumineux. Pour quelles raisons exactes ? Comment le culte est né ? Difficile de répondre. Après une soirée de discussions un brin arrosée et pas toujours bien renseignée, avec de la famille et des amis porteños, quelques hypothèses peuvent être avancées. J’en vois trois. Premièrement, l’explication « religieuse », qui affirme qu’une personne ayant fait tellement de mal dans sa vie terrestre ne peut faire que beaucoup de biens dans sa vie céleste. Mouais. Cela se tient. Deuxièmement, l’explication « héroïque » qui veut que le peuple latino américain aime les héros qui savent bien mourir. Guevara, Allende et quelques autres en savent quelques choses. Chers vivants, c’est en réussissant votre mort, que vous deviendrez immortel ! Celui qui m’a fait penser à cette explication, continuait à défendre un siècle plus tard l’innocence de Dubois en m’affirmant qu’un coupable ne serait pas mort en prononçant les phrases magnifiques de « Santo Emilio ».

Enfin, dernière explication, la « politique », celle que je préfère. L’affaire se déroule en 1907, et la plupart des victimes (supposées) de Dubois sont des personnes propriétaires de mines. Dubois est mort depuis le mois d’avril, et le 21 décembre 1907, une grande manifestation des Mineurs de Iquique est rudement réprimée par le sang. Il y aura 3000 morts. Ce massacre d’ouvriers pacifiques et leurs familles marquera la conscience populaire du pays et aura une importance considérable dans le développement du mouvement ouvrier chilien. Avec cet évènement tragique pour toile de fond qui éclatera un an après l’exécution de Dubois, il est possible que certains, rétrospectivement, aient vu dans les actes de cet homme qui avait tué des « patrons de Mines », un vengeur ou mieux un justicier.

Voilà, à chacun son explication, et sans doute que la vérité sur l’origine de la popularité de Santo Emilio repose sur le mélange de toutes ces versions possibles. Dubois était-il coupable ou innocent ? Je l’ignore. Moi, je le rêve innocent. Mais, qui sait ? Il n’était peut être qu’un escroc assassin. Et qu’importe à présent.

Le mythe lui, est encore bien vivace, et c’est assez sidérant. Par les hasards du temps, sa tombe fut détruite, ses ossements éparpillés, mais le culte populaire qui se répandait était tel que la direction du cimetière reconstitua dans un coin, au fond, un lieu de recueillement (sans le corps de Dubois, perdu dans une fosse commune) où l’on peut trouver encore aujourd’hui, sous les couleurs bleu-blanc-rouge du drapeau français, des poèmes, des graffitis et des centaines de plaques de familles remerciant Emile « Emilio » Dubois pour les services qu’il leur aurait rendu depuis l’au-delà.

L’immortalité n’est peut être finalement qu’une banale affaire de hasards et de circonstances.

Salut Emilio ! Coupable ou innocent, j’ai aimé découvrir (et faire partager) ton existence peu commune.

Et bonne année 2010 à tous !


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