Toujours avec les sans papiers et en hommage à Daniel Bensaïd

jeudi 21 janvier 2010.
 

Glacials ces derniers jours. Et pas seulement lorsque l’on sort dans les rues de la capitale ou dans l’ensemble des villes de France. Glaciales et bouleversantes ces images de la catastrophe qui frappe Haïti, un des pays les plus pauvres au monde, aujourd’hui dans un état de chaos.

Glacials. Mardi 12 janvier, avec Danielle Simonnet, ma complice et fidèle amie Conseillère de Paris du PG, nous étions aux cotés des travailleurs dits « sans-papiers » qui luttent depuis plusieurs mois pour avoir droit à une existence digne. Le PG et ses militants sont avec eux. Ce matin là, sur la place du Panthéon, à quelques mètres du lycée Louis Legrand où se tenait un débat sur « L’identité nationale » avec M. Eric Besson, nous étions quelques centaines pour dire que ces hommes et ces femmes qui vivent sur le territoire national depuis de nombreuses années, qui participent au bon fonctionnement de l’économie nationale, qui aiment notre pays (qui est désormais « leur » pays), doivent obtenir des papiers en bonne et due forme pour vivre et travailler sans l’angoisse d’une arrestation et d’une expulsion. Sur cette place, avec nous, fidèle à ce combat, Pierre Laurent, Coordinateur national du PCF, qui sera notre tête de liste pour les élections régionales dans le cadre du regroupement « Ensemble pour des régions solidaires… ».

Glacial le gouvernement de notre pays qui refuse d’entendre la revendication légitime, républicaine, et de bon sens de régularisation de tous ces travailleurs. L’instrumentalisation de la misère et de la peur de ces gens, de ces parents d’enfants scolarisés dans les écoles de la République, sur fond de débat idéologique rance est insupportable, d’autant qu’elle s’accompagne de la construction médiatique d’un paysage politique bidon visant à mettre en confrontation le gouvernement UMP avec M. Eric Besson contre Marine Le Pen, tel que le proposait hier soir France 2 (une honte pour le service public).

Glaciale aussi l’annonce de la mort, mardi 12 janvier, de Daniel Bensaïd. Moi, elle m’a fait beaucoup de peine, sur le plan personnel et politique. Plus que je ne l’aurai cru, je l’avoue. Avec lui disparaît une des grandes figures de la gauche française, un révolutionnaire pour le socialisme, un dirigeant trotskyste de premier plan.

Fondateur historique de la LCR, il a incarné physiquement et intellectuellement cette organisation et ce courant politique pendant près de 35 ans. Pour des milliers de militants, la « Ligue » des années 70, c’était d’abord le trio de direction Alain Krivine, Henri Weber et Daniel Bensaïd. La force de cet homme, l’exemplarité de sa vie militante, est qu’il a mêlé toujours l’action militante et la réflexion théorique. Homme d’action il l’était, militant infatigable de terrain, dirigeant politique et constructeur d’organisation, et il était aussi un puissant intellectuel, d’une culture immense, un universitaire, un « savant du marxisme » d’une portée internationale. Bensaïd a ainsi rédigé plus d’une quarantaine d’ouvrages, dont des ouvrages fondamentaux sur l’actualité du marxisme. Pour l’essentiel, chacun reste un outil utile dans la lutte contre les méfaits du système capitaliste et pour bâtir une société socialiste.

Internationaliste, Daniel Bensaïd a apporté un soutien actif à de nombreuses organisations révolutionnaires d’Amérique latine, notamment en Argentine, particulièrement les militants du PRT, où au Brésil avec les militants du courant Démocratie socialiste du PT au Brésil. Il connaissait bien ce continent, son histoire politique et celle de la gauche révolutionnaire. Beaucoup de camarades argentins, chiliens, boliviens, uruguayens, mexicains… qu’il avait connu étaient ensuite tombés au combat, assassinés. En rappelant leurs mémoires, il disait de façon émouvante : « Tous ces vaincus auxquels une dette nous lie. » Cette formule m’avait marqué, car moi aussi, plus modestement, aux contacts de beaucoup de militants, eux encore vivants, qui avaient connus, dans leurs chairs, les années de plombs des dictatures militaires, j’avais ressentis la même chose. Et, pour beaucoup, depuis 10 ans, (je pense notamment à nos camarades de Bolivie et d’Uruguay) ils ne sont plus des vaincus. Mais, peut être que Bensaïd n’aurait pas été d’accord avec ce dernier commentaire.

Il ne vivait pas seulement dans le ciel des idées et des concepts. Dans la polémique, à l’image des différentes organisations trotskystes, Bensaïd savait aussi être rude. Dans les années 70 et 80, il fut souvent longtemps l’auteur de textes de confrontations rugueuses avec les autres organisations se réclamant de la IVe internationale (LO, OCI..) qui n’étaient pas tendres non plus. Pour moi, qui ai commencé mon engagement politique au sein du « lambertisme », les travaux de Bensaïd étaient généralement présentés comme des textes impies. Longtemps, durant ma formation de jeune militant, je les ai volontairement ignorés. Et pourtant, au début des années 90, c’est en lisant un d’entre eux, écrit en 1979 à l’occasion de la révolution au Nicaragua, que j’ai finalement (après quelques mésaventures) décidé de rejoindre la LCR avec une poignée de camarades dont certains sont aujourd’hui au PG (je pense à mon ami Nicolas Voisin). Ce texte avait pour titre « Vous vous unifiez sur la bas de la négation d’une révolution en cours » (Pas très digeste comme titre, soit). Il reprochait au courant lambertiste (qui s’unifiait alors avec un autre courant trotskyste, les« morenistes ») de critiquer la révolution sandiniste de manière intellectuelle sans chercher à l’aider concrètement pour qu’elle réussisse. Une scission venait d’avoir lieu au sein de la LCR à ce sujet. Moi, je prenais la discussion avec près de 15 ans de retard, mais la méthode critique utilisée par Bensaïd m’avait positivement impressionné.

Tout cela est une histoire qui peut à présent apparaître ancienne, mais je sais que ce texte, que je ne retrouve plus d’ailleurs, m’a marqué. Je ne sais si ce serait encore le cas aujourd’hui. Peut être pas. Mais, j’ai eu envie, moi aussi, de me lier à des processus politiques réels, vivants, ayant une influence de masse, et non de les commenter de loin, en « petit professeur rouge », donneurs de leçons, bien ennuyeux et inutile. Daniel Bensaïd par ce texte m’a aidé indirectement à cela.

Mais aussi il était rude, intraitable, je l’ai dit. Une petite anecdote personnelle me revient en mémoire. Sollicité comme membre du Comité Central de la LCR au sujet de mon adhésion (et de celles de mes camarades) il s’y était montré défavorable en déclarant : « Lambertiste un jour, lambertiste toujours ». Que voulait-il dire exactement par cette sentence sans appel ? Rien de très positifs dans tous les cas, et c’était me prêter des défauts (et des qualités) que je ne possèdais pas. Mon engagement passé, me rendait encore suspect à ses yeux. A présent, cela m’amuse, et la formule m’est restée.

Par la suite, lors des congrès de la LCR, je n’étais pas souvent sur ses positions, car je le trouvais fermé aux processus et aux contradictions politiques qui se déroulaient au sein des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. A mes yeux il gardait, avec la vieille garde fondatrice de la LCR, la marque des erreurs de la Ligue des années 70, le « substitutisme ». A l’entendre, le PS, le PCF, ou les grandes confédérations n’exerçaient plus de réelle influence, ou du moins elles pouvaient être contournée facilement. La bataille pour l’unité de la gauche pour accéder au pouvoir devenait une question secondaire, suspecte même, un prétexte aux futures capitulations. Je considère que l’on retrouve dans ces débats anciens, les désaccords actuels qui empêchent nos camarades du NPA de rejoindre le Front de Gauche et les listes « Ensemble pour des régions solidaires… ». Malgré ces désaccords, j’aimais l’écouter intervenir de sa belle voix claire aux accents toulousains. Il faisait partie de ceux qui élevaient toujours le niveau.

Puis, j’ai quitté la LCR et continué ailleurs mon combat politique en rejoignant d’abord le PS pour renforcer la Gauche socialiste animée par Jean-Luc Mélenchon. Mais, les ouvrages de Bensaïd ont continué à m’intéresser. L’un d’eux « Une lente impatience » (Editions stock), à vocation biographique, m’a particulièrement touché. J’invite chacun à lire ce livre drôle, riche et émouvant sur la vie de ce militant révolutionnaire. Il conclut ainsi ses près de 500 pages : « Pour que l’autre monde nécessaire devienne effectivement possible, une autre gauche aussi est nécessaire. Pas une gauche light (…) mais une gauche de combat, à la mesure d’une droite de combat. On ne peut plus se contenter en effet d’une gauche résignée au rôle subalterne d’opposition de la bourgeoisie républicaine ou libérale. Il faudra bien briser ce cercle vicieux de la subordination. Ce sera le rôle des nouvelles têtes qui affleurent à peine. »

En écrivant cela, il pensait au NPA. Mais, le PG fait aussi partie de ces nouvelles têtes qui affleurent. Il se nourrit de toutes les histoires de la gauche française et Daniel Bensaïd en était une de ses grandes personnalités. Pour toute « l’autre gauche » sa mort est une grande perte.


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