L’homme oiseau de l’Ile de Pâques

jeudi 3 septembre 2009.
 

Avez-vous entendu parler de « l’homme oiseau » ? Non, sans doute. Moi, il y a encore quelques jours, je l’ignorais également. Je l’ai découvert sur l’île de Pâques, Rapa nui, déjà évoqué lors d’un billet précédent, où je viens de passer une courte semaine.

Je précise donc à mes lecteurs qui voudraient des nouvelles récentes de la présidentielle chilienne, que j’en parlerai peu dans les lignes qui suivent. Ils sont invités à consulter mes billets précédents. D’autres suivront. Quelques éléments toutefois, à Santiago, la campagne se voit de plus en plus, et les affiches favorables à Jorge Arrate fleurissent de plus en plus sur les murs du centre ville. C’est bon signe. La tradition politique chilienne est aussi marqué par les « murales » qui sont de grandes fresques peintes sur les murs, et souvent réalisées par des artistes talentueux, ou encore les bandeaux de papiers collés sur les murs par la brigade Chacon, un groupe politico culturel de militants de gauche qui affiche des slogans généralement humoristique ridiculisant la droite ou dénonçant ses projets. La campagne avance à un rythme encore tranquille, chacun se réserve pour la deuxième étape qui commencera mi septembre. Quatre candidats sont maintenant assurés de se présenter officiellement : Frei, Pinera, Enriquez-Ominami et Arrate. Pour les autres, c’est peu sûr. Enriquez-Ominami assure avoir réuni les 35 000 signatures de soutient nécessaire, ce qui me semble authentique. On parle du futur débat télévisés prévu le 25 septembre, des chiens des candidats, de leurs épouses, de leur poids et régime éventuel et de leurs soutiens financiers (c’est déjà plus intéressant). Bref, ça ronronne.

De retour à Santiago après ces journées au milieu du Pacifique, surfant sur internet pour prendre des nouvelles de la « mère patrie », je constate que le PS y est bousculé par le débat sur les primaires. Je trouve curieux qu’aucun de ses promoteurs ne cite un pays où ce meccano aurait produit une dynamique positive pour la gauche. On connait le désastre italien, mais le Chili est aussi un bel exemple sur lequel il serait intéressant que les socialistes français se prononcent. Car la Concertation chilienne, c’est une sorte de primaire institutionnalisée entre le PS et la Démocratie Chrétienne contre la droite « dure ». Et, cette fois ci, c’est Eduardo Frei, le Démocrate Chrétien qui a cautionné le coup d’état de 1973 qui est le candidat de cette coalition ! En 2006, lors de l’élection de Michelle Bachelet comme Présidente de la République, les socialistes français n’avaient cessé de citer ce modèle chilien d’alliance avec le centre comme un exemple dont il fallait s’inspirer. Et bien, au terme de 4 années de présidence socialiste, le bilan (et je n’évoque pas ici le fait que les inégalités sociales si criantes ne se sont pas réduites) est que le PS chilien disparaît de l’élection présidentielle suivante, y soutient un homme de droite, et les petits barons locaux se consacrent essentiellement à la cuisine des accords pour les élections législatives (accords d’ailleurs « à la carte », assez peu cohérents selon les régions). Sidérant. Tout cela laisse le champ libre à l’apparition « d’ovni politique » type Marco Enriquez-Ominami, dont j’ai déjà largement parlé dans ce blog. Bien entendu, pour l’heure, c’est la droite ultra libérale qui fait jeu en tête.

Bon je reviens à l’île de Pâques et l’homme oiseau. Sur l’île, pas une affiche, ni tracts, ni aucune trace de la vie politique qui secoue le Chili « conti » (c’est ainsi que l’on appelle dans l’île le reste du pays et ses habitants qui se trouvent sur le continent). Toutefois, les mobilisations sociales ne sont jamais loin, et quelques jours avant notre venue, l’aéroport était bloqué en raison d’une grève. De plus en plus de pascuans sont mécontent pour des raisons sociales ou professionnelles. Ils reprochent une évolution de l’île qui ne leur convient pas. Ils contestent que de plus en plus de « conti » viennent travailler dans l’île à la place des natifs. Ils regrettent également que le tourisme qui se développe va de pair avec l’accroissement dans la jeunesse de problèmes de délinquances, de drogues dures, mais aussi d’inégalités, car le tourisme enrichit certains et d’autres non, de pollution et toute autre conséquences de l’introduction des valeurs « triomphantes » de nos sociétés capitalistes dans la structure sociale pascuane. Le soir de notre arrivée, une grande assemblée générale rassemble la plupart des responsables de famille et une représentante du gouvernement (la sous-secrétaire d’état de l’intérieur) pour trouver des solutions à ces problèmes. J’ignore encore comment cela va évoluer dans le détail, mais le gouvernement semble concéder aux représentants de l’île une forme de contrôle migratoire et d’entrée.

Le guide qui nous accompagne durant quelques promenades, lui-même non pascuan mais vivant dans l’île depuis 9 ans, nous dira qu’il considère que même si les leaders de ces mobilisations sont extrémistes (c’est lui qui parle, moi ce terme m’a toujours amusé) et quasi indépendantistes, leurs revendications sont légitimes et soutenues par la majorité de la population autochtone. J’avoue que l’universaliste que je suis, attaché aux valeurs des lumières et aux principes de la République, a parfois du mal à se situer dans ce type de problématique. D’instinct, je vomis toute forme de « préférence ethnique ». Mais, l’île à une histoire particulière qu’il ne faut pas perdre de vue.

Si aujourd’hui elle vit essentiellement du tourisme, longtemps Rapa nui a subi une exploitation et une colonisation de la part de ses différents « propriétaires » qui se sont succédé. En 1722, l’occident par un bateau hollandais « découvre » pour la première fois cette île, le jour de Pâques (d’où son nom). En 1770, le vice-roi du Pérou prend possession de cette île au nom du roi d’Espagne. En 1863, six bateaux péruviens viennent ici pour rafler la quasi-totalité des hommes valides afin d’en faire des esclaves pour les mines de guano au Pérou. Ainsi, un millier de personnes sont faites prisonniers. Les autres sont souvent massacrés. L’Eglise catholique proteste contre ces actes barbares, à tel point qu’au bout d’un an, les autorités péruviennes relâchent les prisonniers, qui sous l’effet du traitement subit ne sont plus que quelques dizaines à avoir survécu. A leur retour, alors que l’île comptait 5 000 habitants avant le raid péruviens, ils ne sont que quelques centaines à vivre encore à Rapa nui. En 1888, c’est le Chili qui prend officiellement possession de l’île. Entre temps, en 1870, un français aventurier qui passait par là, du nom de Dutrou-Bornier, s’était fait sacré roi de l’île ! Mais, finalement excédés par le bonhomme, les pascuans l’avaient purement et simplement assassiné au bout de quelques mois.

Les autorités chiliennes pendant longtemps vont avoir le plus grand mépris pour les habitants. Ainsi, au début du XXe siècle, la plupart des terres ont même été cédés à un propriétaire britannique qui y élèvera des moutons de façons extensives, en dressant des barbelés sur la quasi-totalité des terres et en empêchant aux habitants de circuler. Finalement, il faudra attendre les années 60 pour que le Chili accorde de l’attention à ce lieu et à ses habitants, et 1966 pour que les pascuans aient le droit de vote !

Mais, la décadence de la culture pascuane était déjà largement engagé avant cette période récente. Cette société a connu son apogée essentiellement entre le Ve et le XVIIe. On estime que le dernier Moai a été dressé en 1680. Chaque Moai représente des personnages distincts, sans doute ayant joué un rôle important, bien sûr roi mais pas seulement. Il y en a près de 800 encore visibles sur l’île. Mais, tous ont été effondrés volontairement par les pascuans qui voulaient sans doute rompre avec ce qu’ils symbolisaient. Ceux que l’on peut voir dressé aujourd’hui, ont été remis debout récemment.

Le culte de « l’homme oiseau », rompant avec celui rendu au Moai, apparait dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Chaque année, au mois de juillet, les seigneurs et leurs familles se réunissaient au sud de l’île et organiser une compétition dont le but était de ramener d’un îlot au large un œuf de manutara. Chaque chef désignait un serviteur qui devait faire la traverser à la nage, dans des eaux souvent infestées de requins ! Celui qui l’emportait devenait pendant un an « l’homme oiseau », désormais interlocuteur entre les hommes et dieux. Durant une année, cette nouvelle fonction l’obligeait à des règles très strictes : vivre seul, ne pas se couper les ongles et les cheveux, n’avoir aucun contact physique avec d’autres personnes.

Plonger d’une falaise, nager au milieu des requins, ramener un œuf accroché sur son front, puis devenir ainsi pendant un an une autorité spirituelle et politique… voilà une autre méthode qui pourrait régler le problème du leadership au PS à la recherche de son Homme oiseau. Non ?

Encore un mot. Ce billet est peut-être le dernier que je poste directement du Chili. Lundi 31 août je serai de retour en France. Toutefois, il n’est pas le dernier sur la situation politique chilienne. Je rappelle que je prépare un dossier qui sera publié dans l’Humanité. De plus, Raquel Garrido, secrétaire nationale du PG chargée des relations internationales, reste pour des raisons professionnelles encore quelques mois ici. Grâce à elle, nous pourrons continuer d’observer de près cette campagne électorale. Merci donc à tous les lecteurs qui sont venus sur ce blog. Restez lui fidèle si le sujet vous intéresse. D’autres billets vont suivre, et trés bientôt.

Je réagis aussi à un premier message amicalement laissé après ce billet. A l’heure où j’écris ces lignes, plusieurs centaines de militants du PG se réunissent à Clermont-Ferrand, pour un Remue-méninges de l’organisation. Je ne serai pas à leurs cotés, mais je pense à eux. Bon travaux les amis !


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