A propos du départ du gouvernement de Christiane Taubira

lundi 8 février 2016.
 

Afin de commenter le départ de Christiane Taubira du gouvernement, je publie ici une interview réalisée hier...

Question : Dans votre dernier tweet, vous déclarez : « sans influence sur la politique du gouvernement, Christiane Taubira n’était plus qu’un symbole pour une partie de la gauche. Sa démission est tout un symbole ». Mais un symbole de quoi ?

Sa démission est le symbole d’un degré d’isolement encore supplémentaire de François Hollande. Cette quasi solitude politique du Président de la République est une des marques de son échec. On le sait, Christiane Taubira n’avait aucune influence réelle dans les choix économiques et sociaux de ce gouvernement. Je constate d’ailleurs qu’elle ne les a jamais contesté. Mais la loi sur le Mariage pour tous qu’elle a porté restait le dernier argument des gens de gauche mal à l’aise qui cherchaient encore à défendre ce gouvernement. Son maintien au gouvernement symbolisait cette unique promesse de campagne respectée. C’était l’arbuste qui cachait la forêt des reniements. Il n’y avait plus que ça. Pour certaines personnes, cette présence servait à maintenir un lien, extrêmement tenu, avec les « grandes valeurs de gauche » comme dirait M. Valls avec une pointe de mépris. Par ce départ, ce lien même uniquement symbolique, est désormais rompu.

Et, logiquement, François Hollande ne peut plus que puiser que dans le petit carré des proches de Manuel Valls – le choix de Jean-Jacques Urvoas – pour la remplacer.

Q. Quel est le sens politique de son remplacement par Jean-Jacques Urvoas ?

Monsieur Urvoas est un homme qui constitue l’aile droite de la mouvance socialiste, que j’appellerai même solférinienne tellement on est loin de l’idéal socialiste. Un temps proche de Dominique Strauss-Kahn, qu’il avait même comparé sur son blog en 2011, lors des sordides frasques du Sofitel de New York, en un héros de Bible injustement persécuté. Dernièrement, il a même dit des députés PS frondeurs qu’ils étaient « dans une logique de djihadistes ». C’est dire le degré d’aveuglement sectaire du personnage. Globalement, il dédaigne les questions sociales et s’est spécialisé dans les problématiques sécuritaires. Il est désormais logiquement un partisan de Manuel Valls. C’est cette sensibilité et cette adhésion idéologique à ce « social-libéralisme sécuritaire », qui fait sans doute de lui un des seuls à être en capacité à rejoindre le gouvernement dans de telles conditions.

Je profite de l’occasion pour dire combien était absurde le procès en « laxisme » qui était fait à Mme Taubira par une certaine presse de droite extrême et ses représentants politiques. Face aux attentats les faiblesses de la justice tiennent à une absence de moyens financiers dont la Garde des sceaux ne porte pas seule la responsabilité. Soyons concret, il n’y a jamais eu autant de gens en prison. Et je remarque sur un sujet qui nous tient à cœur qu’il n’y a pas eu d’amnistie sociale pour les syndicalistes condamnés sous Nicolas Sarkozy, malgré des promesses verbales de Hollande. Pire encore, l’histoire retiendra que c’est sous l’autorité de Christiane Taubira qu’un Procureur, c’est à dire le représentant du Ministère public, a poursuivi les salariés de Goodyear alors que l’entreprise et les deux cadres retenus quelques heures avaient retiré leurs plaintes. 9 mois de prison ferme leur ont été infligés alors qu’ils ne faisaient que défendre leurs emplois. C’est honteux et à mes yeux dans ce cas, je n’accepte pas la fable de l’indépendance de la justice pour justifier le silence de Mme Taubira devant cette décision inique. Si la justice a été laxiste c’est avec les patrons voyous qui licencient pour augmenter leur bénéfice. Mais, qui sait ? La liberté retrouvée de l’ancienne ministre de la Justice lui permettra peut être de signer demain la pétition en défense de ses salariés.

Mais, sur ce point, je pense qu’il faut craindre que M. Urvoas marchera bien plus vite et beaucoup plus loin, dans les pas de celle qu’il remplace. Il faut craindre pour demain une justice de classe, complaisante avec les puissants, mais qui frappe rudement les salariés en colère afin de leur faire peur et qu’ils baissent la tête devant les injustices.

Q. S’agit-il d’un simple remaniement ou une crise politique profonde ?

Le départ de Christiane Taubira exprime une crise profonde. Je l’ai déjà dit, le gouvernement de François Hollande ressemble à un petit club de gens, certes disposant des apparats du pouvoir, mais dont l’orientation politique est totalement isolée par rapport au sentiment général et aux attentes sociales du peuple de gauche, et même du peuple en général. Chaque élection en témoigne et je dis cela bien au-delà de la question de la déchéance de nationalité. La première préoccupation de nos concitoyens reste le chômage et les inégalités sociales.

Christiane Taubira part en claquant la porte avec fracas. Elle a même utilisé le verbe « résister » dans son tweet de rupture. C’est très fort. Normalement on résiste à un envahisseur, à un oppresseur. Elle considère qu’elle était en situation de résistance dans ce gouvernement ? Elle en dit trop ou pas assez. Mais surtout, cela infirme alors définitivement l’idée qu’on pouvait l’influencer de l’intérieur. Les critiques que nous avions faites avec Jean-Luc Mélenchon, concernant les choix gouvernementaux depuis 2012, étaient donc tout à fait pertinentes. Ce départ tonitruant en apporte une nouvelle confirmation. C’est nous qui avions raison, sur le fond comme sur la forme. Sur ce dernier point, je m’amuse de voir certains commentateurs applaudir le style de rupture de Mme Taubira qui dit quand même qu’elle part pour des raisons "éthiques", et en citant le grand poète Aimé Césaire que ce gouvernement « livre le monde aux assassins de l’aube ». Les mêmes critiquaient Jean Luc Mélenchon pour beaucoup moins. Qu’importe.

Tout cela est une nouvelle illustration de la décomposition de la Ve république. Nous avons un président qui concentre sur lui beaucoup de pouvoirs, qui décide tout seul – par exemple sur la déchéance de la nationalité sur laquelle il n’a jamais été élu et sur laquelle il n’a quasiment pas de majorité dans son propre camp. Cet exercice solitaire du pouvoir, c’est avec cela qu’il faut rompre. Il est par nature antidémocratique. Il faut tourner la page de ces institutions antidémocratiques qui sont une sorte de monarchie élective. Pendant cinq ans, le Président élu peut mener une politique en contradiction avec ce pour quoi le peuple souverain l’a élu. Nous sommes un grand peuple et une grande puissance économique. Nous avons droit à des institutions démocratiques. C’est ce combat qu’il faut mener. Fondamentalement, notre Peuple a moins besoin du départ fracassant de tel ou tel Ministre, même si je salue le geste de Mme Taubira, que d’un gouvernement qui respecte sa volonté et qui défends ses intérêts.


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