Non au délit de blasphème, défendons la laïcité !

vendredi 23 décembre 2011.
 

Mercredi, en séance du Conseil de Paris, il y a eu un échange important entre Yves Pozzo di Borgo, Président du Groupe Nouveau Centre et Indépendants, et moi-même. Pozzo di Borgo est un homme sympathique, patelin, plein de rondeur et d’expérience acquise au Sénat où il siège depuis plusieurs mandats. Politiquement, c’est un centriste, donc pour moi un homme de droite, mais il apprécie le débat. C’est souvent avec le sourire que nous rompons des lances dans l’hémicycle parisien. Pour ma part, je le respecte. Il me voit généralement comme un extra terrestre de la vie politique parisienne par le caractère décomplexé des positions de gauche que nous défendons avec mes camarades.

A priori donc, Yves Pozzo di Borgo n’est pas ce que l’on nomme communément « la droite dure ». Il ne partage pas toutes les positions de la Droite populaire, ce collectif de 45 députés UMP qui soutient les intégristes qui veulent censurer des artistes au nom d’un « délit de blasphème » new look qu’ils veulent réhabiliter, ce qui est absurde et impossible dans une République laïque. Du moins, je le croyais, car je dois avouer que j’ai été sidéré de découvrir un amendement qu’il avait déposé, au nom de son Groupe, à propos des subventions municipales perçues par le théâtre du Rond-Point. Il demandait que la subvention du théâtre soit réduite de 28 125 euros car, je cite son vœu : « Considérant que l’Archevêché de Paris s’est ému du caractère visiblement anti-chrétien de la pièce de théâtre « Golgota Picnic » joué au théâtre du Rond Point » !

Pour lui répondre, mercredi matin, au nom du Groupe Communiste et élus du Parti de Gauche, j’ai fait l’intervention suivante :

« Où réside donc l’erreur de la demande faite au Conseil de Paris par Yves Pozzo di Borgo du Groupe Nouveau Centre ?

Je crois dans la confusion entre le respect de la liberté de croire et le respect des croyances.

Le premier respect n’implique nullement le second. Lui seul a force de loi, et il s’assortit d’ailleurs du respect de la liberté de ne pas croire.

Le second respect, lui, n’a pas à être requis par la loi. Les croyances, comme toutes les convictions, sont susceptibles de critiques, comme d’ailleurs d’éloges. La liberté inclut en effet la liberté de critique, de satire, d’ironie, autant que celle de louange et d’approbation. Tout récemment un film a fait l’éloge de religieux (Les Dieux et les hommes). Les multiples concours financiers dont il a disposé ont-ils été mis en cause ? Les religieux intégristes acceptent les éloges de leurs convictions, mais pas les critiques… Or aucune œuvre n’a à être autorisée ou entravée sur un tel critère, qui n’est pas d’ordre public et dépend strictement de l’opinion de chacun.

Souvenons-nous à cet égard de ce qui se passe quand la liberté de la culture n’est pas reconnue ni assurée. Vatican II a supprimé en 1962 l’Index librorum prohibitorum (la liste des livres interdits) où figuraient les œuvres qui n’avaient pas l’heur de plaire à l’autorité religieuse. Veut-on rétablir la censure et priver l’art des aides publiques qui lui reviennent ? Un archevêque s’émeut d’une pièce de théâtre ? Où est le problème ? Faudra-t-il qu’il puisse écrire « nihil obstat » (rien ne s’oppose) sur les livres et les scénarios de théâtre qu’il veut bien tolérer, comme au temps de l’ordre clérical de l’Ancien Régime ? Généralisons. Si un citoyen peut exiger des entraves pour les productions culturelles qui le dérangent, que va-t-il rester de la liberté d’expression et de création ?

Voulons-nous donc revenir au temps de l’obscurantisme et de la censure des arts ? Victor Hugo, pourtant croyant, disait que le parti clérical n’a cessé de « mettre un bâillon à l’esprit humain ». Lui-même fut censuré sous la Monarchie Restaurée pour une pièce de théâtre (« Marion Delorme ») jugée trop critique à l’égard du roi. Il y a des siècles, l’Eglise interdisait à Galilée d’affirmer le mouvement de la terre que sa raison avait démontré, dans le sillage de Copernic. L’œuvre de Diderot La Religieuse fut censurée et mise à l’index. Certaines peintures de la Renaissance, hymnes artistiques à la beauté du corps nu, étaient retouchées sur ordre de l’Eglise par des « bragettone », peintres appointés pour peindre des voiles sur les parties dont Tartuffe dit : « Cachez ce sein que je ne saurais voir : par de pareils objets la vue est offensée ! » Voulons-nous revenir à de tels errements ? Cela n’est pas possible. La culture doit rester libre, et bénéficier du soutien de la puissance publique

La culture est en effet ce qui fonde la liberté de l’homme. Elle émancipe son jugement de toute soumission à une tradition. Non pour nier celle-ci, mais pour réfléchir sur elle et statuer en connaissance de cause. C’est pourquoi étant de portée universelle, elle doit être promue par la puissance publique. Et promue dans sa stricte liberté. Deux principes sont donc menacés par la demande en cause. Le premier est la nécessité de promouvoir la culture, conforme à l’idéal des Lumières.Le second est la nécessaire liberté de la culture. Rappelons qu’en démocratie ces deux principes ne sont pas négociables ni modulables. Ils vont de pair avec l’émancipation laïque de l’Etat, qui étant séparé de tout lobby religieux ou athée ne doit se mêler en aucun cas de faire la police des œuvres ou des pensées. Aujourd’hui les collectivités publiques financent la culture pour qu’elle soit pleinement libre, ce qui nécessite qu’elle ne dépende plus des intérêts privés.

Le temps n’est plus où des mécènes finançaient les artistes, mais à la condition que leurs œuvres les flattent ou soient politiquement et moralement correctes.

Voilà pourquoi je demande solennellement au président du Groupe Nouveau centre de retirer son vœu. »

Au terme de cet échange, dans lequel Sylvain Garel pour le Groupe Les Verts- Europe Ecologie et Christophe Girard, Adjoint au Maire de Paris, se sont retrouvés à mes côtés, Yves Pozzo di Borgo a fait le choix de retirer son vœu. Tant mieux. Mais cette initiative du Nouveau Centre démontre la puissance de certains lobbys d’ultras religieux sur des élus de droite. La défense de la laïcité reste donc un combat permanent. Et cet exemple démontre qu’elle peut être agressé pour des groupes issus de toutes les religions. Cela reste un rapport de force. Il n’y a pas de laïcité apaisée.

Les républicains et les laïques doivent donc rester vigilants.


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