Tourisme politique au Chili : Valparaiso et Allende

lundi 17 août 2009.
 

Cette semaine, j’ai fait du tourisme et visité le pays. Notamment Valparaiso, cette ville magnifique que tout le monde devrait avoir vu au moins une fois dans sa vie. Ville envoutante et magique, première ville fondée par les espagnols en 1535, par Diego de Almagro et Juan de Saavedra, compagnons de Francisco Pizarro, partit de Cuzco au Pérou, pour une mission de reconnaissance vers le sud.

Pendant des siècles, Valparaiso a été une ville d’aventuriers. C’était la principale étape des navigateurs qui passaient le Cap Horn. Elle est depuis restée une ville particulièrement turbulente. Le 11 septembre 1973, Valparaiso allait aussi être le premier théâtre du coup d’état. La veille, la marine chilienne gagna le large pour des exercices annuels avec la flotte américaine. Le lendemain, à l’aube, sa présence dans la baie marquait la début du coup d’Etat militaire. En moins d’une heure, des soldats de l’infanterie de marine avaient envahi le port, mais les portenos (habitants de Valparaiso), réfugiés dans les collines, leur opposèrent plusieurs jours de résistance acharnée. La ville porte encore la trace de certains de ces affrontements.

Cette ville est unique. Elle est depuis peu classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Comme un grand amphithéâtre composé de maisons de tôles et de planches aux mille couleurs, ses collines dominent le port où l’activité ne cesse jamais. Pour monter et descendre, des ascenseurs d’un autre âge vous emportent dans des craquements inquiétants. Dans les rues, dans chiens vagabondent. Sur les murs de la ville, des artistes anonymes illustrent une résistance qui ne s’est jamais éteinte.

Si Valparaiso fut la ville de naissance du sinistre Augusto Pinochet, c’est aussi là que le grand Salvador Allende a fait ses études, puis qu’il travailla comme médecin à l’Hôpital Van Buren.

Salvador Allende, sa marque immense est encore présente dans la ville. Certaines phrases de son émouvant et dernier discours dans la Moneda en flamme s’accrochent à la pierre des « cerros » : "Pagaré con mi vida, la lealtad del pueblo" (Je payerai de ma vie la loyauté du peuple). Salvador Allende, homme magnifique, que des « salauds » insultent encore. Je pense en écrivant ces lignes à un dénommé Victor Farias, petit universitaire chilien et pseudo psychanalyste de bazar, qui sur la base de deux lignes tronquées, écrites par Allende lorsqu’il était étudiant, voudrait le faire passer pour un antisémite, alors que cet homme a toute sa vie défendu des valeurs humanistes. Cet ignoble procédé visant à salir en déformant les mots est encore utilisé contre le Président Hugo Chavez du vénézuela.

Dans cette ville, je pense donc à Salvador Allende, à son courage personnel et à ce qu’il a représenté dans les années 70 pour la gauche mondiale et particulièrement française.

Pour son premier voyage à étranger comme Premier secrétaire en novembre 1971, François Mitterrand fera le choix hautement symbolique du Chili, pour rencontrer Salvador Allende gouvernant son pays à la tête d’un gouvernement d’Unité populaire qui rassemble six partis de gauche dont quatre ministres communistes. Les réformes de l’UP seront dominées par une réelle volonté de rupture avec l’ordre capitaliste, particulièrement avec la nationalisation du cuivre première richesse naturelle du Chili.

Durant ce voyage, où il croise Fidel Castro lui aussi en visite, la presse locale baptisera Mitterrand le « Allende français ». Pour la gauche, et même l’extrême gauche qui s’identifiait au MIR dans son soutein critique, ce fut un premier signe fort : l’unité de la gauche est possible, elle existe et est majoritaire ailleurs. François Mitterrand ne cachera pas l’objectif de ce voyage :« Le Chili, dira-t-il, est une synthèse intéressante et originale. En France, pays industriel avancé dans la zone d’influence occidentale, il est peu probable que puisse se développer une action violente sans qu’elle soit réprimée par les forces de la grande bourgeoisie. Le mouvement populaire peut, en revanche, légitimement penser l’emporter par la voir légale : grâce au suffrage universel et aux pressions des travailleurs dans les secteurs en crise. Il s’agit de démontrer aux Français que cette voie est possible. La preuve ? Le Chili est en train de l’apporter ».

Sans doute que François Mitterrand, naïvement, avait sous-estimé le poids des Etats-Unis et leur brutalité, qui au travers des agents de la CIA si présents dans le pays, provoquera largement le chaos durant la UP, financera des grèves et organisera le coup d’état militaire qui fera échouer cette expérience unique. Pour Henry Kissinger, plus tard honteusement décoré par le prix Nobel de la paix, mais maître d’oeuvre des différents coups d’Etats qui ensanglanteront le continent, le chili n’était plus "qu’un couteau planté dans le dos de l’Amérique latine". Le Président Nixon parlait en s’excitant de "son of the bitch" (fils de pute) quand il évoquait Allende. Les choses ne se sont donc pas ainsi que la gauche le souhaitait. Le Président chilien mourra sous les bombes et le bilan de Mitterrand, une fois élu, ne peut pas être comparé à celui d’Allende. Il n’empêche, une part de l’analyse était juste, nous devons apprendre du Chili de la UP. Et, dans les rues de Valparaiso, je me dis qu’au Chili comme en France, il nous manque une nouvelle Unité Populaire et il faut un « nouvel Allende ».

Mais je ne désespère pas, loin de là, car en France le "Front de gauche" que nous construisons s’inscrit dans la continuité de l’histoire de la UP.


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