Fondamentalement, le socialisme est indissociable de la deuxième révolution industrielle et de la formation du mouvement ouvrier au 19ème siècle. Toute pensée construite étant fondée sur des concepts précis, mieux vaut ne pas sortir de ce repère chronologique habituel et cohérent. Nous avons déjà mis en ligne plusieurs articles sur le sujet.
Plusieurs raisons justifient cependant de ne pas négliger les temps plus anciens pour comprendre la façon concrète dont le socialisme est né puis s’est développé :
1a) La naissance du socialisme dans chaque pays ne peut être isolée de son environnement
* On ne peut comprendre la façon dont le socialisme naît en France indépendamment du long affrontement entre Eglise et intellectuels, indépendamment de la Révolution française. On ne peut comprendre la façon dont le socialisme se développe en Amérique latine, indépendamment de traditions culturelles anciennes et des révolutions bolivariennes. On ne peut comprendre la façon dont le socialisme se développe en Chine ou au Vietnam indépendamment de leurs traditions culturelles millénaires.
1b) Les idées portées par le socialisme naissant ne peuvent être isolées de leurs origines souvent lointaines
Ces idées sont-elles apparues dans l’histoire avec la naissance des socialismes dans les années 1830 à 1850 ?
Bien sûr que non !
Chacune de ces notions prise isolément n’est pas caractéristique du socialisme ; toutes ont déjà fleuri à un moment ou un autre, de façon individuelle ou collective dans les sociétés qui ont précédé l’apparition puis le développement du socialisme :
Partage égalitaire des biens, maîtrise collective de l’avenir, volonté de connaissance scientifique, perspective d’accession au bonheur sur terre
Refus des injustices, refus de l’insécurité alimentaire, sociale et professionnelle, refus des vies gâchées.
Rôle des exploités et des mouvements sociaux, du collectif, de l’action politique...
Volonté de protéger l’environnement et les biens communs de l’humanité, de faire vivre des services publics assurant l’égalité des citoyens sur un territoire
Aspiration à un droit protecteur, à la connaissance, à un travail libérateur, à un Etat fondé sur l’intérêt public, à la fin des oppressions, à la paix, à la fraternité universelle, au bonheur, à une société idéale...
Objectif d’émancipation intellectuelle, éthique, culturelle, juridique, d’émancipation des femmes, des peuples colonisés puis exploités, des travailleurs, des jeunes...
1c) Dans Socialism From The Root Up, William Morris (socialiste anglais du 19ème siècle), donne un autre argument
"Dans le commencement de cette série sur le Socialisme, nous pensons nécessaire pour le prélude de nous intéresser à l’histoire du passé". Nos adversaires présentent le capitalisme comme le résultat final de toute l’histoire ; pour nous, les changements qui ont donné naissance au capitalisme sont un encouragement pour changer le capitalisme. "L’État moderne a été développé par l’antagonisme entre des intérêts individuels et sociaux", des premiers groupes humains aux tribus, des tribus aux peuples, des fédérations de peuples aux monarchies, des monarchies aux nations, du nomadisme à la ville et à la cité...
1d) Le socialisme n’est pas seulement la théorie politique de l’émancipation des travailleurs
Il est aussi pour nous :
* une compréhension de l’histoire du monde qui fait appel à l’économie, aux sciences, aux techniques, à la philosophie, à la sociologie, à la littérature, aux religions, à l’histoire...
* une conception du monde, du rapport entre individuel et collectif, entre morale et besoins individuels, entre présent et avenir...
2a) L’Histoire mondiale des socialismes de Jean Elleinstein (éditeur Armand Colin), en six volumes,
Ce monument d’informations débute par un chapitre sur "Les racines lointaines profondes et diverses du socialisme"
Relevons cette remarque " Lorsque le socialisme surgit, il ne campe pas sur une table rase. Il transcende un héritage lourd de pensées, d’actions, d’émotions et aussi d’organisations... Le socialisme se nourrit de ses prédécesseurs. La sève vient de loin qui irrigue et son tronc et ses branches. Il y a certes des ruptures de continuité, des changements de direction... Mais l’héritage n’est jamais totalement dissipé, même quand les héritiers n’ont pas conscience de leur dette."
2b) L’Histoire générale du socialisme de Jacques Droz (éditeur Quadrige PUF) , en quatre volumes
Les titres des premières parties de cet ouvrage suffisent à comprendre l’importance qu’il accorde aux anétécdents du socialisme :
* Chapitre premier : Les traditions égalitaires et utopiques en Orient (par Jean Chesneaux)
* Chapitre II : Les origines antiques du socialisme (par Claude Mossé)
* Chapitre III : Les utopies socialistes à l’aube des temps modernes (par Jacques Droz)
Chapitre IV : Lumières, critique sociale et utopie pendant le XVIIIème siècle français (par Albert Soboul)
Les références aux civilisations, aux luttes, aux philosophes du passé sont fréquentes chez les auteurs progressistes, républicains puis socialistes.
Le lien entre espérances pour l’avenir et utilité des expériences passées fleurit déjà avant la naissance du socialisme chez Condorcet « Nos espérances sur l’état à venir de l’espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations ; les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme. (...) Nous retrouverons dans l’expérience du passé (...) les motifs les plus forts de croire que la nature n’a mis aucun terme à nos espérances."
Jean Jaurès donne plusieurs raisons à cela "La vérité, c’est que les modes de l’existence humaine ne sont pas innombrables et qu’il est impossible aux hommes, si hardi que soit leur effort, si audacieuse que soit leur intervention sociale, de ne pas ranimer en un dessin nouveau quelque trait effacé des civilisations antérieures. Il est impossible d’appeler vers l’avenir sans éveiller derrière soi les échos profonds du passé. » (Jean Jaurès Socialisme et Liberté 1898)
Karl Marx a souvent été moqué par les conservateurs pour avoir souhaité que le communisme moderne retrouve certaines des qualités du « communisme primitif » laminé par le développement de la propriété privée, des classes possédantes et de l’Etat. Jaurès précise ce point dans le texte cité plus haut « La Révolution, inspirée de Jean-Jacques, prêchait sans cesse “ le retour à la nature ”. Et en fait, quand Rousseau … précise sa pensée, il démontre fortement que la civilisation doit restituer aux hommes, dans des conditions nouvelles de sécurité, de bien-être et de paix, la liberté de mouvement, l’égalité, le contact familier avec la nature qui firent le charme de la vie sauvage, d’ailleurs si grossière et si déprimée. »
Il ne s’agit pas d’une confiance absolue dans le progrès. Daniel Bensaïd voyait chez Marx « une contradiction non résolue entre l’influence d’un modèle scientifique naturaliste (« l’inéluctabilité d’un phénomène naturel ») et la logique dialectique d’une histoire ouverte. » Ainsi, lorsque l’auteur du Capital écrit que la colonisation de l’Inde par le Royaume-Uni constitue une calamité humaine mais permet de faire entrer ce sous-continent dans le monde moderne, nous trouvons cette phrase un peu plus loin « Aux Indes Orientales, la suppression de la propriété commune du sol n’était qu’un acte de vandalisme anglais, poussant le peuple non en avant, mais en arrière… »
Parmi les bilans qui peuvent être tirés d’une étude historique approfondie, il en est un avancé par les socialismes mais souvent critiqué par ses opposants : le rôle des luttes sociales dans le progrès humain. Il s’agit là pourtant d’une évidence. La démocratie des cités grecques antiques doit beaucoup aux luttes sociales du siècle précédent. Les institutions de la république romaine sont le fruit d’un long combat des plébéiens. Les chartes communales du Moyen Age, si importantes dans le processus historique, ont été imposées aux féodaux. Par les révolutions anglaises et hollandaises, si importantes également, la bourgeoisie a elle aussi imposé ses intérêts par la lutte. Quant aux droits sociaux du salariat moderne, ils ont tous été imposés par la lutte.
Egypte antique : Révolution sociale au 3ème millénaire avant notre ère
29 décembre 1167 avant notre ère en Egypte : première grève connue de l’histoire
La Grèce antique, des révolutions sociales à la Cité des citoyens libres
Retour sur les origines de la démocratie, Athènes
La civilisation romaine antique, ses révoltes sociales et politiques
15 juin 1381 : Wat Tyler est assassiné. La révolution populaire de Londres échoue
L’épopée des Hussites et des Taborites
La guerre des paysans en Allemagne
Jean Petit et les Croquants de Villefranche
Révolution anglaise et niveleurs
Le socialisme n’est pas la première pensée à vouloir comprendre le monde ; il a été précédé par exemple par Aristote, Spinoza et Hegel. Toutes les grandes religions représentent des conceptions du monde ayant influencé les cultures suivantes.
Le socialisme n’est pas la première pensée porteuse d’une utopie comme perspective historique. Le messianisme juif l’était déjà, à sa façon, les Evangiles de même, à leur façon. Plus près de nous, Campanella comme Thomas More et d’autres ont vivifié l’espérance utopique.
Le socialisme n’est pas la première pensée politique progressiste construite. On peut par exemple rappeler l’empereur chinois Wang Mang.
Le socialisme ne peut évidemment se penser comme ayant fait table rase de tout cela à sa naissance comme ensuite.
Nous pouvons donc réfléchir sur les aspects pré-socialistes de précurseurs et de philosophies de référence
La Chine, civilisation antique des penseurs politiques
Des messianismes juifs aux Esséniens
Le christianisme des premiers siècles dont le pélagisme.
Thomas More : L’Utopie (un texte magnifique et précurseur au début du 16ème siècle)
L’importance historique de Rousseau
Quelques liens vers des articles concernant des civilisations dont l’expérience est intéressante pour le socialisme
Chine antique, émancipation collective et individuelle
Expériences égalitaires et communautaires dans la Perse antique, le mazdakisme
Retour sur les origines de la démocratie, Athènes (par Pierre Khalfa)
Etat dirigiste et communautés paysannes chez les Incas
L’extraordinaire Italie de la Renaissance
Luthériens, calvinistes et anabaptistes
Jaurès : ce que le socialisme doit à Luther (Jaurès)
Chez Luther, la communauté est ce à travers quoi l’homme peut gagner son salut
Les origines du socialisme allemand (Luther, Kant, Fichte, Hegel)
Le Vietnam du confucianisme au communisme
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