Jaurès : ce que le socialisme doit à Luther

lundi 25 août 2014.
 

« Bien que Luther n’ait pas embrassé la question sociale dans toute son intégralité, il n’en a pas moins posé les bases du socialisme. Avec une admirable perspicacité, il a vu la puissance reproductive de l’Argent, abandonnée à elle-même, amenant successivement à la pauvreté la plupart des gens aisés ou riches, aggravant même la pauvreté des indigents et des plus faibles. La grande industrie rejette les petits patrons dans le salariat, afflige les ouvriers eux-mêmes d’une existence plus pénible, plus inquiète. Luther, bien avant le développement de l’industrie, a prévu la fatalité qui pousserait les hommes, si la conscience humaine ne se mettait pas en travers, sous la domination économique d’un petit nombre de privilégiés. Le premier, Luther a formulé toutes les réponses aux objections faites au socialisme.

Le socialisme enchaînera-t-il la liberté humaine ? Mais la véritable liberté ne consiste pas en une hardiesse désordonnée, dans un dérèglement dénaturé, mais dans la communion fraternelle des hommes. Est-il illicite et injuste que la loi intervienne dans « les contrats passés entre les hommes libres » ? Mais celui qui est plus pauvre n’est pas libre : son premier tyran est la faim ; les conditions de prêt ou de travail qui lui not été indiquées, il les supporte plus qu’il ne les fait, il les subit plus qu’il ne les accepte, les voulant à la fois et ne les voulant pas. Celui qui procure de l’argent ou du travail et prélève ensuite un intérêt ou une part du travail accompli, comble –t-il de bienfaits son prochain ? Bienfaits bien futiles et biens trompeurs. Le service est nul et contraire à la fois à la vérité, au christianisme et à l’humanité, puisque malgré les plus rudes travaux, le pauvre reste pauvre et rempli d’amertume, puisque malgré une honteuse oisiveté, le riche devient plus riche et plus arrogant. »

Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, Chapitre premier « Luther », pp. 33 sq ., traduction Adrien Veber, éditions Librairie Ombres blanche, Toulouse, 2010


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