A) L’Angleterre du 14ème siècle
B) Wyclif. Le millénarisme anglais au 14ème siècle
C) 15 juin 1381 : Wat Tyler est assassiné. La révolution populaire de Londres échoue
D) Les Lollards
Moyen Age : De 1378 à 1385, une période de luttes, révoltes et soulèvements
« Quand Adam bêchait et Eve filait
Qui était le gentilhomme ? » ?
John Ball
A) L’Angleterre du 14ème siècle
Depuis 1337, la "Guerre de Cent Ans" oppose le roi d’Angleterre au roi de France. Après une période faste pour les troupes anglaises entre 1346 (bataille de Crécy) et 1356 (bataille de Poitiers), les armées royales françaises de Charles V et Du Guesclin chassent leurs ennemis de tout le territoire continental sauf quelques ports (Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux).
Guerre de Cent Ans entre France et Angleterre : deux nations face à face ?
S’appuyant sur un royaume trois fois moins peuplé que la France, le roi d’Angleterre fait payer la guerre à ses sujets par de lourds impôts, particulièrement aux dépens des paysans, artisans, employés ( le Statut des travailleurs de 1351 bloque les salaires).
Les combats pour la Succession royale de Castille et en Aquitaine de 1369 à 1375 coûtent particulièrement cher. En 1376, les Communes (représentantes d’un essor urbain déjà significatif) mettent en cause les choix militaires du souverain ainsi que les privilèges du clergé ; ils déclenchent ainsi une crise politique. Cependant, les tensions sociales sont encore plus fortes dans les milieux populaires confrontés aux mauvaises récoltes et une forte hausse des prix.
B) Wyclif. Le millénarisme anglais au 14ème siècle
John Wyclif (v. 1331-1384), religieux anglais, rejette la hiérarchie du clergé, demande l’élection du pape par tirage au sort parmi les religieux, considère nécessaire de redistribuer les richesses de l’Église, ne reconnaît pas l’autorité de fait (par la naissance en particulier) mais seulement celle de la sainteté personnelle, rejette toute la Tradition théologique lorsqu’elle ne correspond pas au texte biblique.
Dans la société médiévale, tout détenteur d’un pouvoir (temporel ou spirituel) l’a reçu de Dieu ; il a le droit et le devoir légitimes de l’exercer, du simple fait qu’il le possède. Pour Wycliff, seul un homme en état de sainteté (respectant les enseignements des Evangiles) peut légitimement exercer une autorité. En conséquence, ni évêques, ni papes de son époque ne lui paraissent aptes à prendre en charge des pouvoirs spirituels et temporels.
Wycliff milite pour un retour à la pauvreté évangélique, c’est-à-dire à vivre la vie des Apôtres, à rejeter les biens de l’Église et à s’unir librement à la libre pauvreté du Christ. Il reproche tout d’abord aux religieux d’avoir dévoyé l’idéal de leurs fondateurs, mais après 1380 il prononce un anathème général contre toutes les manières de "religion privée" qui ne figurent pas explicitement dans la Sainte Écriture : le monachisme, les biens temporels de l’Église, le statut particulier du clergé, son exemption des juridictions séculières et toute forme de piété individuelle (culte des images, pardons, pèlerinages, indulgences, prières pour les défunts...).
Wycliff apporte une cohérence philosophique dans la critique de l’idéologie dominante "catholique" médiévale.
Le 22 mai 1377, le pape Grégoire XI condamne les idées défendues par Wycliff dans la lettre Super periculosis. A partir de 1380, Wyclif envoie ses disciples, appelés les pauvres prêcheurs ("the poor priests"), dans les campagnes pour qu’ils fassent connaître ses thèses religieuses égalitaristes. Celles-ci vont probablement jouer un rôle dans le soulèvement populaire de 1381.
C) La révolution populaire anglaise de 1381
En 1380, le Parlement vote la levée d’une poll tax sur tous les hommes de 15 ans et plus (4 livres pour les plus riches, 4 pences pour les pauvres). Cela accroît la charge fiscale de 65% par rapport à 1376.
La révolte explose en mai 1381 dans l’Essex (Est de Londres) et le Kent (Sud de Londres). Elle se répand assez rapidement dans 16 comtés sur 37, particulièrement le Norfolk et Suffolk (Nord de Londres), de même que les Midlands (Birmingham). La capitale connaît un paroxysme du mouvement vers la mi-juin.
Les historiens sont d’accord sur la base sociale essentiellement pauvre sinon misérable de ce soulèvement : serfs, petits artisans, tenanciers, travailleurs. Les chefs les plus connus sont eux-mêmes issus de ces milieux (Wat Tyler, Jack Straw, Geoffrey Lister...).
Sheriffs, percepteurs, abbayes, châteaux et parfois maisons de riches bourgeois détestés font les frais de la jacquerie des croquants. Parmi les revendications, notons le refus de la poll tax et l’exigence de chartes d’affranchissement pour les serfs.
Le 11 juin 1381, 60000 rebelles (peut-être 100000) parviennent à Londres en provenance de l’Essex et du Kent. Le 12, ils campent sur la colline de Blackheath. Le 13, des bandes parcourent la capitale, pillant des palais et établissements religieux, ralliant à eux les milieux populaires urbains.
Le 14, le Roi négocie et feint de négocier « la servitude, le service féodal, les monopoles du marché et les restrictions sur les achats et les ventes » . Qui conduit la délégation des insurgés ? Wat Tyler. C’est un ancien valet d’armes qui a combattu en France avant de revenir comme paysan. Un jour, un percepteur se présente chez lui et entreprend de violer sa fille de 15 ans. Tyler le tue à coups de marteau mais devient inévitablement un hors la loi. Au printemps 1381, les paysans du Kent l’élisent à leur tête.
Le 15, Tyler doit avoir une nouvelle entrevue avec le Roi mais il est rapidement assassiné par l’escorte de celui-ci (dont le maire de Londres). La délégation royale berne alors le reste de la délégation sur les raisons de la mort de leur chef et sur le fait que les promesses (dont l’affranchissement) seront tenues. Les insurgés acceptent de quitter Londres. En fait, l’armée levée par Robert Knowles les attend à la sortie de la ville. Beaucoup sont exterminés sur place.
Clergé, noblesse, bourgeoisie urbaine, grands propriétaires ruraux sont ragaillardis par ce carnage et passent à la contre-offensive.
Les différents soulèvements locaux sont alors écrasés et les promesses comme l’abolition du servage oubliées.
Des milliers de paysans sont encore massacrés et brûlés vifs.
D) John Ball et Les Lollards
John Ball est le disciple le plus connu de Wycliff. Il est même plus radical dans la demande d’un retour aux valeurs d’origine du christianisme. Dans un de ses sermons prononcé à Blackheath (Londres), il posa une question devenue célèbre en Angleterre : « Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ? ».
Il est fréquemment caractérisé comme le seul vrai révolutionnaire du Moyen Age européen :
« De quel droit ceux qui s’appellent seigneurs, dominent-ils sur nous ? À quel titre ont-ils mérité cette position ? Pourquoi nous traitent-ils comme des serfs ? Puisque nous descendons des mêmes parents, Adam et Ève, comment peuvent-ils prouver qu’ils valent mieux que nous, si ce n’est qu’en exploitant nos labeurs, ils peuvent satisfaire leur luxe orgueilleux ? »
Emprisonné pour de tels prêches contre les classes dominantes, il fut libéré par la révolte de 1381. Aussitôt celle-ci écrasée, John Ball est pendu et écartelé.
Cependant, de telles idées germèrent et fructifièrent par les Lollards. En 1401, un décret papal De haeretico comburendo condamne tout Lollard pris au bûcher. Le mouvement continue cependant à progresser dans des milieux intellectuels, de marchands et artisans. En 1414, un soulèvement initié par les Lollards est écrasé par le roi par Henri V.
Cependant, le levain des Lollards contribuera à plusieurs grands mouvements millénaristes égalitaires comme celui des Hussites tchèques.
Jacques Serieys
Bibliographie :
Date | Nom | Message |