Ruffin/Roussel, ou quand la gauche part en saucisse

samedi 28 septembre 2024.
 

Je sais bien qu’il faut pas taper sur les camarades, mais quand ces « camarades » passent leurs vies à marquer des penalty contre leur camp en l’absence du gardien, je me dois de réagir. Car moi, le gauchiste-RSA urbain ayant grandi en HLM de campagne, j’en ai gros.

https://blogs.mediapart.fr/macko-dr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20240919-192940&M_BT=1489664863989

J’entends bien qu’aujourd’hui, tandis que Manu-le-Grand essuie son auguste fessier avec nos votes en nous foutant Barnier à Matignon et qu’il est avéré que l’extrême-droite dirige d’ores et déjà ce pays -« Macron, qui a commencé au centre, défend aujourd’hui des idées [...] qu’on ne retrouve que dans les programmes des partis d’extrême droite en Allemagne », dixit Die Zeit, quotidien modéré allemand-, il y a plus urgent que de s’en prendre à des camarades s’essayant à une stratégie pour contrecarrer l’offensive fasciste.

Néanmoins, cependant, toutefois, et cætera, quand la stratégie en question est à ce point éclatée au sol, comme on dit, qu’elle donne en fait des point au camp d’en face et régale quotidiennement Pascal Praud et toute la bande des petits agitateurs réac’, il faut le dire, et mettre les point sur les i (plutôt que de se les mettre sur la gueule), ainsi que l’ami (ou plutôt ex) François l’a titré dans une note de blog emplie d’auto-satisfecit, de reproches sortis de nulle part -ou d’une besace CNews- et de mauvaise foi forts irritants, tout autant du reste que le nom donné à son dernier livre, Ma France (Ma France ? Avec, plus loin dans son texte, majuscule à « ma » ? sérieux ? Il s’est pris pour Sardou ?) entière et pas à moitié, tout un programme (électoral).

Donc : à ma droite, François Joseph Marcel Bernard Ruffin, fils de cadre ayant fait quasi toute sa scolarité dans un établissement privé catholique tenu par les jésuites, passé par la même école de journalisme que David Pujadas et PPDA, et qui n’a rien trouvé de mieux dernièrement que d’offrir un film publicitaire à la polémiste fasciste bolloréenne Sarah Saldmann, celle-là même qui trouve que les morts de Gaza sont « légitimes » a déclaré « je me fous de l’écologie » ou encore « on n’est pas riche à 7 000 euros par mois » et décrit la jeunesse comme « une bande de gamins en sarouel semi-bobo ». A ma droite aussi, mais plus, Fabien Roussel, enfant chéri du PCF, journaliste chargé de production dans la boite de papa avant de devenir conseiller ministériel à 28 ans, début d’une vie intégralement financée par le parti.

Et voilà que ces deux braves gens pas vraiment issus du ghetto -en vrai on s’en fout, mais encore faut-il le reconnaître et pas faire semblant-, au nom d’une « vraie gauche » à l’ancienne bien comme on l’aime, se sont auto-déclarés experts ès prolétaritude, et porte-parole d’une France-ouvrière-blanche-périphérique qu’ils disent connaître sur le bout des doigts. Et cette France rurale, nous disent-ils, elle n’aime pas la « gauche RSA » (Roussel), elle veut qu’on réhabilite la « valeur travail » (Ruffin), elle aime la viande et le tuning, elle aime pas Mélenchon et Guillaume Meurice, et de manière générale elle n’est pas trop férue de tous ces bidules et ces machins modernes là, genre la lutte contre les violences policière, l’antiracisme et les LGBT-tout-ça. Et donc, il ne faut pas leur parler de ça, les pauvres, si on veut qu’ils arrêtent de voter facho.

Rien ne va là dedans. Rien du tout. Et cette strat’ a tout pour faire le bonheur du macrono-lepénisme, et mettre la gauche dans le mur. En tant que gauchiste-RSA, prolo urbain né dans des HLM de l’arrière-pays varois, donc en plein territoire raciste -mais pas que, évidemment, je vais y revenir-, qu’on me permette de détailler pourquoi.

Premièrement, cette façon d’idéaliser la « ruralité », comme si elle était d’un bloc, et qui plus est de le faire en pensant qu’elle serait naturellement blanche et peu perméable aux idées progressistes, relève autant du délire que du mépris de classe.

Je passerai rapidement sur le fait que la part de Français résidant en milieu rural n’a cessé de baisser, passant de 22 % en 2006 à 18,5 % en 2021 -81,5 % environ des Français vivant dans des villes en 2022-, et que donc ce fameux « réservoir de voix » relève plus de l’étang que de la méga-bassine, car l’idée n’est pas de limiter les gens aux votes qu’ils représentent *.

« Les gens n’attendent pas un catalogue de mesures mais, pour le dire simplement, ils veulent être aimés, représentés, incarnés, nous dit Ruffin. Qu’on prononce leur prénom, leur métier, leur localité même, soyons fou. » Cette condescendance me fume. Prend-il vraiment, sincèrement, à ce point les « gens des campagnes » pour des débiles en manque d’amour, qui préféreraient qu’on cite avec tendresse le nom de leur patelin plutôt que des propositions pour, au hasard, sortir de leur isolement et avoir plus de services publics ?

Prenons mon département de naissance, le Var. Les problématiques liées à l’isolement sont ici nombreuses. Pas de trains, pas de bus, pas de médecins, pas de services de santé, pas assez d’enseignants… Une des conséquences de tout ceci : une forte implantation du Rassemblement National, qui capitalise sur cet abandon. Donc, oui : un « catalogue de mesure » de gauche, je pense que « les gens » seront preneurs.

Et il y a, aussi, cette réalité : dans ces endroits, des gens, beaucoup, le mou bourré par Bolloré-TV, votent RN par pur racisme, et trouvent, comme les bourgeois, que « Mélenchon parle trop fort ». Comme les bourgeois également, ils veulent de l’ordre. Mais comme l’a écrit le journaliste Rob Grams, de Frustration, « politiser ce désir d’ordre, vouloir "apaiser" cette peur qui se dirige vers moins favorisés que soi plutôt que vers les vrais responsables, c’est aller vers des solutions conservatrices, voire franchement réactionnaires ».

En outre, au-delà du fait que la strat’ visant à persuader des gens parfois fondamentalement xénophobes de voter à gauche sans passer par la case d’éduc’ pop basique de type « le racisme vous savez c’est pas ouf » me laisse perplexe, il y a aussi cet aspect qui échappe à nos Machiavel des plateaux télé : des LGBTQIA+, des personnes racisées, des victimes de violence policière, des féministes, dans les campagnes, eh bien il y en a. Il faut vraiment n’avoir jamais foutu un pied dans « la ruralité », ou que pour les élections, et ne pas y avoir grandi, pour l’imaginer comme une masse uniforme de blancs un peu réacs qu’il ne faudrait pas froisser avec du « wokisme » intempestif. La sociologie des « campagnes », comme celle de partout, est complexe, protéiforme, et on y trouve, comme partout, des riches, des pauvres, des immigrés, des là-depuis-vingt-générations, des beaufs, des « bobos », des hippies, des punks, des paysans de la FNSEA ou de la Conf’, des voiles, des salopettes, des djellaba, des boubous, des jogging, des claquettes-chaussettes… tous ayant des intérêts spécifiques, et parfois divergents. Comme partout.

Deuxièmement, ce qui est pour moi, comme pour beaucoup, le plus problématique, le procès en « communautarisme » que les deux compères ont dressé contre une partie de la gauche (le France Insoumise étant nommément prise à partie), accusation reprenant le lexique de l’extrême-droite et donc forcément relayée avec enthousiasme par celle-ci, le brumeux Franz-Olivier Giesbert ayant ainsi déclaré : « Ce que fait Mélenchon aujourd’hui c’est du communautarisme. Il a remplacé l’ouvrier par l’immigré, par le jeune ».

Problème : comme l’a notamment souligné Julien Ballaire, « l’ouvrier peut être immigré, peut être jeune. D’ailleurs il l’est souvent ». A nouveau, il faut vraiment ne rien connaître ni des banlieues, ni des campagnes, pour penser qu’elles seraient composées, les unes de racisés aux minimas sociaux ou chez Uber, les autres d’ouvriers blancs vivant dans leur pavillon. Car, spoilert alert, le visage de la classe ouvrière a pas mal changé depuis, genre, la fin de la Seconde guerre mondiale, et il serait peut-être temps de s’en rendre compte.

Il faut tout de même avoir bien conscience de l’impensé raciste que tout ceci véhicule. Car cela revient à affirmer qu’il y aurait des entités mystérieuses nommées « personnes racisées », généralement situées dans les « tours » - « La France des bourgs, la France des tours », tout ça-, qui ne s’intéresseraient qu’à certains sujets que ce vil démagogue obscurantiste de Mélenchon porterait rien que pour leur faire plaisir. Et là dessus, j’ai envie de dire que de une, voter pour ses intérêts est normalement un tout petit peu la base d’un comportement électoral non faussé, et de deux, que si ces personnes votent Méluche (« quoi qu’on pense du personnage », est-on aujourd’hui toujours obligé de préciser, tant le boug est devenu un pestiféré), c’est par exemple, je ne sais pas… parce qu’il est l’un des seuls à assumer de parler de racisme systémique, d’islamophobie -quand certains « ont foot »-, de violences policières ?

« Les conditions matérielles d’existence des gens sont aussi déterminées par des oppressions spécifiques : racisme, patriarcat, LGBTphobies [...] Ce sont des questions sociales légitimes, comme l’oppression de classe », nous dit encore Julien Ballaire. C’est ça, véritablement « parler à tout le monde ». Embrasser toutes ces spécificités, les porter, partout, tout le temps, sans se prétendre « antiraciste de terrain » au prétexte qu’on a défendu des femmes de ménages dont la plupart se trouvaient être Noires et qu’on pense que c’est important de « protéger les racisés » (oui, Ruffin a réellement dit ça, condescendance hello again).

Ça, s’est du paternalisme. En 2024, ce n’est pas voué -heureusement- à faire recette. Car de nouveaux outils de lutte pour l’émancipation sont apparus, depuis quelques temps déjà, et notamment rassemblés sous ce vocable : « intersectionnalité ». Avec cette idée incroyable : dire tout simplement que les problèmes liés aux dominations sociales, racistes, sexistes, économiques, géographiques, validistes, concernent tout le monde -du moins toutes les personnes dominées-, et qu’aucun front n’est secondaire. A la ville comme aux champs.

Troisièmement et dernièrement, et en tant qu’anarchiste c’est bien sûr un aspect qui m’agace particulièrement : le surinvestissement dans le processus électoral comme remède à tous nos maux, avec cette corollaire évidente, à savoir que des « grandes figures », même pas prolos, s’imaginent encore et toujours tout savoir pour nous et mieux que nous. « La lutte antiraciste, a écrit Mathieu Dejean, que je salue, dans un article de Mediapart prenant la défense du soldat Ruffin, mérite mieux que ces excommunications stériles qui ne galvanisent que le public de la Fête de l’Huma [...] Le peuple de gauche n’a plus qu’à ronger son frein à nouveau, jusqu’au prochain "sursaut" au sommet. Pourvu qu’il ne se lasse pas ».

Mais de quel « sommet » parle-t-on ? Et pourquoi devrait-on attendre que celui-ci « sursaute » ? « Jean-Luc », « François », « Fabien »… Oui, nous sommes déjà, nous sommes depuis longtemps, lassés de ce « sommet » bien blanc. Qui, en plus, se permet désormais de sélectionner pour nous, en notre nom et place de personnes concernées, quelles seraient les luttes « légitimes », et celles qu’il vaudrait mieux foutre sous le tapis.

Il va falloir nous anarchiser, nom de dieu. D’autant que, lors des dernières législatives, c’est surtout à la base, loin des appareils, que s’est véritablement mené le front populaire, hors de toutes les querelles égotiques du « sommet ».

Ruffin nous dit qu’il faut « insister sur le commun » plutôt que « sur ce qui divise ». Là pour moi réside son erreur. Car nous devons « diviser ». La gauche doit déplaire : aux grands patrons, aux libéraux, aux fachos, aux réacs, aux éditorialistes à la con. En courant après tout ceux-là, on se rendra peut-être sympathiques à leurs yeux, et cela permettra tout plein d’invitations à la télé, mais, soyez-en sûr, ils ne voteront pas, ils ne voteront jamais à gauche, même pour un candidat se faisant complaisamment le relais de toutes leurs obsessions morbides. L’échec lamentable de la « méthode Roussel » en témoigne, quand la France Insoumise (« quoiqu’on en pense », etc.), sans renier aucune lutte, a indubitablement élargi le bloc électoral de la gauche. Malgré l’hostilité politico-médiatique, cette ligne intersectionnelle porte ses fruits, et doit être tenue, et amplifiée, et non pas remisée au bénéfice d’un électoralisme démago à court terme.

La grande anarchiste Emma Goldman le disait déjà il y a bien longtemps : « Tout mouvement qui vise la destruction d’institutions existantes et leurs remplacements par un système plus progressiste et plus achevé contient des membres qui ont des idées radicales, mais qui, en pratique, se comportent tous les jours comme des Philistins feignant la respectabilité et veillant à l’approbation de leurs opposants ».

Mačko Dràgàn

Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...


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