L’armée d’invasion israélienne multiplie ses bombardements au Liban. Au total, le pays compte un demi-million de déplacés, la plupart fuyant le sud pour espérer trouver un refuge dans la capitale. Depuis ce lundi, 558 Libanais ont été tués par Tsahal. Parmi eux, 50 enfants et 94 femmes. Les écoles et les universités du pays vont rester fermées jusqu’à la fin de la semaine. « Le Liban est au bord du gouffre », alerte le Secrétaire général de l’ONU.
Pour discuter de la situation du Liban et de l’état d’esprit de ses habitants, Informations Ouvrières et L’insoumission.fr ont interviewé Charbel Chayaa, élève-avocat à Beyrouth. Il est membre de l’association Mada, regroupant des jeunes Libanais de toutes communautés et confessions dans des « clubs laïques » au sein des universités. Interview.
« Les Libanais ont peur, ils fuient massivement leurs maisons, parce qu’ils savent très bien que l’occupation israélienne ne fait pas de différence entre les gens » L’insoumission.fr / Informations Ouvrières : Après l’opération des bipeurs, et les attaques israéliennes incessantes, avec les répliques du Hezbollah, comment vivent les Libanais aujourd’hui ?
Dans le sud, les Libanais ont peur, ils fuient massivement leurs maisons, parce qu’ils savent très bien que l’occupation israélienne ne fait pas de différence entre les gens. Ils ont peur d’une extension régionale. Dans leur majorité, les Libanais veulent un cessez-le-feu, que la guerre se termine. L’État israélien est sorti du cadre de son conflit avec le sud, qu’il considère comme une zone de danger et qu’il convoite.
Il y a eu des bombardements à Beyrouth, dans la Bekaa, dans le Mont Liban, dans des zones où le Hezbollah n’est pas organisé. Tout cela se déroule dans un contexte économique très difficile. Il y a beaucoup de pauvreté, la classe ouvrière est de plus en plus démunie et les gens ne savent pas où aller.
Pour aller plus loin : Israël bombarde le Liban, ses habitants fuient le sud pour trouver refuge à Beyrouth
L’insoumission.fr / Informations Ouvrières : On entend, en occident, qu’il y a de la division, de la colère contre le Hezbollah. Quel est l’état d’esprit réel des Libanais ?
Il y a une division qui existe au Liban, dans toute la société et au sein même des communautés, y compris chez les Chiites. La division n’est certainement pas liée à un quelconque soutien à Israël. Personne, aucun citoyen ne rejette le Hezbollah en raison d’un soutien à Israël. Hezbollah fait partie du système politique libanais et les désaccords sont anciens. Il a joué un rôle négatif en 2019 pendant le mouvement révolutionnaire au Liban où les jeunes rejetaient le système confessionnel.
Mais les débats tiennent aussi de sa réaction après le 7 octobre en s’inscrivant dans l’axe de la résistance contre Israël. Le débat existe à propos du Hezbollah, en tant qu’organisation armée, qui joue un rôle important dans la politique du pays. Tout cela a engendré des divisions que l’on ne peut nier, qui parfois sont légitimes, mais qui doivent être discutées entre les Libanais. Mais tout cela se passe dans un contexte où il n’y a pas d’État en capacité de défendre les Libanais. En l’absence d’un État capable de défendre les Libanais, de protéger la souveraineté du sud, il y a une division.
Mais aujourd’hui, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’après tous les massacres, les Libanais sont très unis, très solidaires. Depuis mardi, surtout depuis l’attaque des bipers, des milliers de Libanais ont donné leur sang, tous se sont déclarés prêts à accueillir des réfugiés chez eux. C’est un sentiment très fort de solidarité.
L’insoumission.fr / Informations Ouvrières : Des dirigeants israéliens disent qu’il faudrait faire au Liban ce qui est fait à Gaza, et aucun dirigeant des « grandes puissances » ne trouve quelque chose à redire. Quel est ton point de vue sur des tels propos ?
Il est clair que Netanyahu veut attaquer. On a aujourd’hui plus de 500 victimes, des civils, dont des femmes, des enfants. C’est clair pour nous que Netanyahu veut faire la même chose au sud Liban que ce qu’il fait à Gaza. Il se moque des civils, et il utilise le Hezbollah comme prétexte. Il veut conquérir le sud Liban jusqu’au fleuve Litanie parce qu’il considère que c’est un besoin économique et vital pour son pays.
Il veut une guerre régionale, parce qu’il a aussi un problème interne dans son pays. Il sait que si la guerre se termine, il sera condamné, tenu responsable de ce qui s’est passé le 7 octobre et avec sa gestion du dossier des otages, il a besoin d’une victoire pour rayonner dans son pays, pour la vendre à sa population.
Aujourd’hui, on a 500 morts, et le nombre s’accroît. Les grandes puissances sont complices de ce qu’il se passe aujourd’hui. Durant la guerre de 2006, il y avait déjà eu plus de 1000 morts en un mois. Les grandes puissances, la France, les États-Unis, l’Allemagne, et l’occident en général sont complices du massacre. Elles ne se sont pas prononcées sur Gaza et sont dans le silence pour le sud Liban, ce qui ne peut qu’entrainer plus de guerres, plus de victimes.
Il faut que les mouvements démocratiques dans le monde se mobilisent pour exiger un cessez-le-feu, cesser d’envoyer des armes à Israël, dont le seul objectif est de conquérir des territoires, ce qui revient à massacrer des populations entières. Rien ne peut justifier cela.
La division existe également au sein des partis de gauche et même s’ils restent très solidaires avec la population du sud, certains considèrent que le rôle du Hezbollah depuis le 8 octobre est plutôt négatif et que la défense et la protection du système confessionnel, qui est un système lié au libéralisme, ne peut pas faire partie de la solution. Cela fait partie des débats dans les organisations du pays.
Au-delà de cet aspect, nous considérons qu’il est essentiel aujourd’hui de mettre les divisions de côté et de mettre tous nos efforts dans la construction du mouvement syndical, dans la solidarité, dans l’entraide qui ne fait pas de différence entre les confessions et communautés. Aujourd’hui, le sang coule au Liban, il n’y a pas d’État, il n’y a pas de système qui fonctionne, alors on a besoin d’un mouvement solidaire, qui puisse créer des alliances populaires, des comités dans les villages, dans les villes, qui aident les gens à s’organiser. Tout en disant qu’Israël utilise le Hezbollah comme prétexte.
Il faut bien voir que même dans les villages que l’on dit dominés par le Hezbollah, il y a des civils, des gens qui ne sont pas d’accord, il y a une diversité et quoi qu’il en soit, rien ne peut justifier les massacres commis par les Israéliens. Mettre en avant une responsabilité du Hezbollah, en faire un prétexte, cela revient à légitimer l’agression, les massacres contre les civils. Le plus important aujourd’hui c’est affronter tous les discours qui légitiment l’agression israélienne et défendre l’objectif du cessez-le-feu. La guerre ne résoudra rien, le problème est politique.
Le problème est celui de la colonisation de la Palestine, du sionisme, de l’impérialisme qui soutient un État, celui d’Israël qu’il utilise pour dominer la région, même si c‘est au détriment du sang palestinien, du sang libanais. Le problème est politique et pour y répondre au Liban, on a besoin d’unité, d’un État qui fonctionne, face à Israël qui cherche à conquérir une partie du Liban, et qui nous menace depuis plus de 75 ans.
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Aujourd’hui, après tous les massacres, les Libanais sont très unis, très solidaires. Les grandes puissances, la France, les États-Unis, l’Allemagne, et l’occident en général sont complices du massacre. Elles ne se sont pas prononcées sur Gaza et sont dans le silence pour le sud Liban. « En ce moment, le Liban est bombardé. À Gaza, un génocide est en cours depuis bientôt un an. Pendant ce temps, le monde entier regarde ailleurs. Ne faisons pas comme si le silence nous émancipait de nos responsabilités », a déclaré hier Jean-Luc Mélenchon.
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