La gauche se projette dans l’hypothèse complexe de l’exercice du pouvoir

samedi 13 juillet 2024.
 

Sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire est contraint d’imaginer des scénarios pour pouvoir gouverner sans renier son programme, et sans tomber dans l’écueil du passage en force.

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EtEt maintenant ? Vingt-quatre heures après la victoire surprise du Nouveau Front populaire (NFP), la gauche pénètre en terre inconnue. Alors qu’Emmanuel Macron a refusé la démission de son premier ministre, entretenant le flou sur le timing de la passation de pouvoir, la gauche a décidé de se mettre le plus rapidement possible en ordre de marche, pour forcer le chef de l’État à une cohabitation.

« Il faut qu’on présente vite un nom pour Matignon et un potentiel gouvernement, pour contrer une possible alliance entre les macronistes et le groupe Les Républicains (LR) », glisse l’écologiste Sandrine Rousseau, alors que plusieurs députés LR et Renaissance montrent ces dernières heures des signes de bonne entente.

Dans la nuit de dimanche à lundi, une première réunion des chef·fes de parti du NFP a eu lieu, en présence notamment d’Olivier Faure et de Johanna Rolland pour le Parti socialistes (PS), de Mathilde Panot et de Manuel Bompard pour La France insoumise (LFI), de Fabien Roussel pour le Parti communiste français (PCF), de Yannick Jadot et de Marine Tondelier pour Les Écologistes, dans une atmosphère « assez sympathique », voire « détendue », selon les dires des participant·es.

Il faut dire que les élu·es du NFP ne sont pas entré·es d’emblée dans le dur des négociations – le nom d’un potentiel premier ministre –, préférant dans un premier temps accorder leurs violons pour les médias. Mardi, deux réunions supplémentaires sont prévues, l’une l’après-midi, l’autre dans la nuit, entre les quatre grands partis de la coalition – PS, LFI, PCF, Les Écologistes.

Objectif : être la première force parlementaire à proposer un débouché gouvernemental au scrutin de dimanche. La réunion du soir a néanmoins été annulée, « car tout le monde a besoin de temps et que les mêmes questions traversent tous les partis », indique-t-on au PS.

« Le NFP est soudé, donc c’est déjà bien. Ça avance tranquillement et sereinement », confie entre deux réunions Sandrine Rousseau, se disant confiante quant à la survie de la coalition. Si certains Insoumis redoutent que le PS soit tenté par une alliance avec les macronistes, l’hypothèse est balayée par un proche d’Olivier Faure, qui assure que le « bloc de 195 députés » du NFP restera uni jusqu’au bout. Et qu’importent les assauts de certains membres de l’ex-majorité pour décrocher certains socialistes, dans l’optique de faire capoter l’alliance avec le parti de Jean-Luc Mélenchon.

Passage en force…

Il n’en demeure pas moins un problème de taille : avec moins de 200 député·es, il manque à la gauche la bagatelle d’une centaine de sièges pour obtenir une majorité absolue, nécessaire à l’application de son programme. Aussitôt les résultats des urnes confirmés, les interrogations sur la manière dont une majorité relative, plus relative encore que la précédente, pourrait exercer un pouvoir sans compromis sur le fond se sont donc multipliées.

À trois ans d’une présidentielle qui s’annonce d’ores et déjà à haut risque, la gauche a une réelle obligation de réussite. « Si on ne met pas en place une vraie politique de rupture, dans trois ans, l’extrême droite arrivera au pouvoir, souligne ainsi le député écologiste, réélu dans l’Isère, Jérémie Iordanoff. Il ne faut pas trahir nos engagements, tenir bon sur les lignes de force de notre programme, à savoir la justice sociale, la démocratie et les questions environnementales. »

Mais comment faire dans ce contexte institutionnel pour éviter des 49-3 en pagaille – un outil constitutionnel vilipendé par la gauche sous le mandat d’Élisabeth Borne ? Un tel usage l’exposerait par ailleurs à une motion de censure immédiate susceptible de le renverser.

Dès dimanche soir, Place Stalingrad, prévenant qu’il ne jouerait pas le jeu d’une grande coalition avec le centre ou la droite, Jean-Luc Mélenchon a pris soin de marteler que pour « respecter la voix du peuple », « aucun subterfuge ou arrangement ne s[er]ont acceptables » : « Le Nouveau Front populaire appliquera son programme », a-t-il promis. Avant de proposer de faire passer « dès cet été » par décret, et donc sans vote au Parlement, l’abrogation de la réforme des retraites. Une forme de passage en force auquel a semblé donner quitus le premier secrétaire du PS Olivier Faure, qui a estimé sur France Info que « ce qui s’est fait par 49-3 peut se défaire par 49-3 ».

… ou élargissement de la majorité ?

Sauf que tout le monde ne partage pas cet avis. « Il y a des choses sur lesquelles on doit agir vite, des décisions purement d’ordre réglementaire, comme l’abrogation du choc des savoirs, qui peuvent être prises sans faire insulte à la démocratie. Mais l’objectif reste que le NFP gouverne. Et on doit avoir les moyens de mettre en place les mesures essentielles de notre programme », indique la députée Génération·s Sophie Taillé-Polian.

« Le résultat correspond à une partition du paysage politique qui n’est plus binaire, on est très loin des majorités absolues, observe Jérémie Iordanoff. Il faut donc sortir du confort intellectuel français qui reste rivé à la logique du fait majoritaire et construire une coalition plus large que le NFP. Et pour cela, il faut qu’une partie des députés du bloc Ensemble soit en capacité de travailler “en mode coalition”. »

De là à imaginer une « grande coalition » majoritaire à l’italienne ou à l’allemande ? Sur le papier, un certain nombre de député·es de ladite « aile gauche » de Renaissance, en rupture de banc avec la Macronie, pourraient être tenté·es de s’associer au NFP. À l’instar de l’ancien socialiste Sacha Houlié, réélu à Poitiers, qui a annoncé vouloir constituer un groupe « social-démocrate » à l’Assemblée, ou de certain·es élu·es du MoDem qui poussent depuis deux ans pour taxer les superprofits. « Ils ont le numéro de Boris Vallaud, mais ils ne s’en sont pas encore servis », glisse toutefois un proche du président de groupe PS.

D’autres vont encore plus loin, à l’instar de Philippe Brun, réélu dans sa circonscription de l’Eure face à une extrême droite très forte, qui propose une alliance de circonstance avec une partie du groupe LR, à commencer par les héritiers du gaullisme social comme Aurélien Pradié ou Olivier Marleix, plus « séguinistes » que libéraux.

« On ne peut pas gouverner avec une majorité relative, car on va se prendre motion de censure sur motion de censure, ne serait-ce que pour le vote du budget cet automne, plaide Brun, ancien proche d’Arnaud Montebourg. Si on ne veut pas laisser la main à Macron et Gérald Darmanin, cela suppose donc de se mettre d’accord avec des adversaires politiques sur des questions comme le pouvoir d’achat et les retraites. Or il va y avoir dans l’hémicycle 30 LR qui n’ont pas voulu voter la réforme des retraites. »

La seule option viable pour Philippe Brun, qui rappelle que « si on ne règle pas les problèmes des Français, y compris de droite, qui ont voté pour nous, et qu’on se contente de faire des selfies dans l’opposition », le front républicain sera emporté par le souffle lepéniste en 2027.

« Il est hors de question d’aller constituer une coalition de je ne sais quoi avec Laurent Wauquiez », a déjà rétorqué son collègue Arthur Delaporte. « Ce sont des gens qui ont pavé le chemin au RN », justifie-t-il, excluant également une coalition « sur la base de la reconduction des politiques des gouvernements Borne et Attal » : « Si les macronistes pensent qu’on va les aider à s’en sortir, ils s’illusionnent. Le président de la République doit acter qu’on a remporté les élections. »

Les différents points de vue seront, à n’en pas douter, à l’ordre du jour de la réunion du groupe des député·es, mardi matin. Membre du Parti communiste, la députée Elsa Faucillon tente, elle, de régler la quadrature du cercle en faisant peser la responsabilité de la gouvernabilité du pays sur l’Élysée. « Emmanuel Macron a la responsabilité de permettre à un gouvernement de gauche de travailler. Si on reste en majorité relative, mais qu’on a l’engagement du président de la République qu’on n’aura pas de motion de censure si on fait passer nos principales mesures, cela nous permettra de rester cohérent. »

Ce qui revient à miser sur la volonté de stabilité d’un président imprévisible, qui a choisi de dissoudre l’Assemblée en pleine dynamique du Rassemblement national, en comptant sur les divisions de la gauche pour s’en sortir.

Pas gagné.

Mathieu Dejean et Pauline Graulle


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