29 septembre 2022 Mobilisation pour les salaires : pas de déferlante mais « un premier avertissement »

vendredi 14 octobre 2022.
 

À l’appel de trois organisations syndicales, plusieurs manifestations ont été organisées jeudi, dans tout le pays, pour réclamer une hausse des salaires, des pensions de retraite et des minima sociaux. Un tour de chauffe avant une possible mobilisation contre la réforme des retraites.

« Pourrions-nous avoir un vrai salaire, s’il vous plaît ? » La pancarte d’Aurélie, directrice d’école maternelle en banlieue parisienne, affiche un ton poli. Mais à l’entendre, ça ne va pas durer : « Là, je demande gentiment mais ça commence à devenir compliqué », lâche-t-elle, en évoquant le manque de moyens, l’inflation et les salaires qui ne suivent pas. « Je connais des enseignants qui empruntent de l’argent tous les mois à leur famille car ils n’y arrivent plus », ajoute la directrice, les dents serrées.

Le discours d’Aurélie résume plutôt bien l’état d’esprit de bon nombre de manifestantes et manifestants, interrogé·es dans le cortège parisien. Ce rassemblement de rentrée sonne comme un échauffement, avant de, peut-être, entrer dans le dur en mobilisant plus largement que les habituels bataillons syndicaux.

« On est au début de quelque chose qui va grossir », croit savoir Simon Duteil, co-délégué général de l’union syndicale Solidaires qui appelait jeudi 29 septembre, avec la CGT et la FSU, à une journée de grève et de manifestations.

Selon la CGT, près de deux cents cortèges ont rassemblé, partout en France, plus de 250 000 personnes. À Paris, le syndicat évoque 40 000 manifestant·es sur le parcours entre Denfert-Rochereau et Bastille. À Marseille, où 4 300 personnes étaient présentes selon la police, le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon est apparu brièvement. De nombreux dockers du port de Marseille étaient présents dans le défilé.

À Nantes, la police a décompté 3 200 manifestants, rassemblés derrière une banderole clamant « Augmentez nos salaires, pas la misère ».

Selon le ministère de l’intérieur, 118 500 personnes ont défilé dans toute la France, et 13 500 à Paris. À titre de comparaison, la manifestation « de rentrée » millésime 2021 avait attiré 85 400 manifestants dans l’Hexagone, et seulement 6 400 à Paris, selon Beauvau. Un résultat jugé alors plutôt décevant.

Pour ce cru 2022, au slogan initial réclamant une hausse des salaires, des pensions de retraite et des minima sociaux, s’est ajouté le brûlant dossier des retraites, remis au cœur du débat par Emmanuel Macron deux semaines plus tôt. Mais Force ouvrière a refusé de participer, par la voix de son nouveau dirigeant Frédéric Souillot, et la CFDT s’est, à son habitude, tenue à l’écart des rassemblements, privilégiant les négociations salariales « entreprise par entreprise, branche par branche ».

Je n’ai même plus de mots face à ce gouvernement.

Cédric Liechti secrétaire général de la CGT Énergie Paris

Avant le départ du défilé, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a assuré qu’entre les manifestations et les grèves, il y avait « beaucoup de monde mobilisé ». L’occasion, a-t-il assuré, d’envoyer « un premier avertissement au gouvernement et au patronat pour que s’engagent rapidement des négociations salariales », mais aussi pour signaler, « puisque c’est l’actualité » que les Français ne veulent « pas travailler plus longtemps ».

À la tête de la FSU, le premier syndicat de l’éducation, Benoît Teste, a dit sentir monter « une grande colère » face à la relative absence de la question des salaires dans les débats politiques du moment.

Dans le cortège parisien, le gouvernement et le président de la République en ont d’ailleurs pris pour leur grade. Les termes « mépris » et « provocation », tenaient la corde dans les échanges avec les manifestant·es. « Même si on était plusieurs millions, ils s’en foutraient, non ? », lance un jeune homme, pourtant bien décidé « à en être », si d’autres grèves doivent suivre.

« Je n’ai même plus de mots face à ce gouvernement », soupire, dépité, Cédric Liechti secrétaire général de la CGT Énergie Paris. Il porte, avec une dizaine d’autres, une immense banderole clamant « EDF-GDF 100 % public ». Les récentes incitations des ministres à porter des cols roulés ou des doudounes pour économiser du chauffage l’écœurent. « C’est indécent ! C’est d’une violence ! Qu’ils aillent montrer leurs cols roulés dans les familles où il fait dix degrés dans la maison, en hiver. »

La grève a été particulièrement suivie dans le secteur de l’électricité, où une baisse de la production d’énergie nucléaire et hydroélectrique de 8,5 % a été notée jeudi matin. Près de cinq réacteurs ont été concernés par les débrayages.

RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, a même annoncé avoir demandé aux syndicats impliqués dans un mouvement de grève nationale de réinjecter dans le réseau de l’électricité d’origine nucléaire afin d’éviter une pénurie.

Les services publics, grande cause du cortège

Dans la manifestation parisienne, le cégétiste Cédric Liechti s’attarde sur les tarifs des prix de l’énergie et les factures, qui vont peser lourd malgré le bouclier tarifaire. « Ce n’est pas une crise énergétique que nous vivons, mais une crise du capitalisme, liée au marché privatisé de l’énergie. Plus il y a de demande et plus on spécule. Nous voulons sortir de ce marché-là. Il faut la nationalisation totale, pour que notre entreprise revienne aux mains du peuple et de la nation. »

La défense du service public était un thème particulièrement prégnant dans le cortège. « La fonction publique et les services publics sont des éléments clés, a insisté, depuis le carré de tête, Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires. Si on ne revalorise pas de manière conséquente le point d’indice, la désertification de la fonction publique va s’amplifier et ça se fera vraiment au détriment de la population. »

Le service rendu aux usagers, c’est aussi l’inquiétude de Nathalie, du SNU Pôle emploi. « Défendre le service public, c’est garder du sens dans nos actions vis-à-vis des demandeurs d’emploi. C’est traiter humainement les gens. Aujourd’hui, ce qu’on nous demande de faire relève de la maltraitance sociale », assène-t-elle.

L’agente de Pôle emploi voit d’un très mauvais œil l’arrivée prochaine de France Travail, annoncée par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle et dont on ne sait toujours pas grand-chose. « On ne nous dit rien !, s’énerve Nathalie. Cela nous empêche de nous battre. C’est une technique habituelle de l’établissement. On ne sait même pas qui seront nos partenaires et on a peur qu’une partie de l’accompagnement des chômeurs aille vers les opérateurs privés. »

Avoir les moyens de bien faire son travail, c’est aussi ce que plaide Catherine, psychologue depuis trente-cinq ans à l’hôpital. « Nous avons de plus en plus de fonctions débiles, comme rentrer nos actes dans le système informatique. C’est ce qui plaît à l’administration, les petites cases remplies. Notre cœur de métier, écouter et soulager la souffrance, on a le sentiment de le perdre », déplore-t-elle. Au dos de sa blouse blanche, enfilée pour la manif, elle a inscrit : « J’ai fait un rêve… Que nous ayons tout simplement les moyens de soigner les patients. »

Les enseignants peinent à croire aux promesses

Les écoles ont été particulièrement touchées par le mouvement. Comme Mediapart l’a détaillé, les promesses du gouvernement sur les revalorisations de salaires ont été reçues avec méfiance, la crainte étant qu’elles ne concernent qu’une partie des enseignants. « Dans le budget, il n’y a pas de quoi augmenter tous les profs sans condition. La question des salaires est centrale dans nos réunions », souligne Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du syndicat SNES-FSU, présente en tête de cortège.

Selon le ministère de l’éducation nationale, le taux de participation à la grève, à midi, était de 9,87 % en moyenne, mais son comptage est traditionnellement contesté par les syndicats, car il ne prend en compte que les enseignants qui auraient dû donner des cours au moment du décompte.

D’après le SNUipp-FSU, le taux de grévistes dans le primaire avoisinait plutôt les 20 %, avec des pointes à 40 % à Paris (où environ 10 % des écoles primaires ont fermé) et à 48 % en Seine-Saint-Denis. Selon le SNES, le taux de grévistes dans le second degré s’est établi à 30 %.

Côté transports, à la SNCF, trois syndicats sur quatre, y compris la CFDT Cheminots, avaient appelé à la grève, ce qui a poussé la CGT à annoncer « un cheminot sur trois en grève ». Six trains sur dix circulaient sur le réseau régional TER et un train sur deux sur le réseau Intercités. Le trafic était en revanche quasi normal pour les TGV. À la RATP, où seule la CGT appelait à la grève, le trafic était normal sur l’ensemble des lignes de métro, mais perturbé pour les lignes de métro, et pour le RER B.

Chasuble CGT sur le dos, Patrick, un cheminot parti à la retraite il y a cinq ans, à l’âge de 56 ans, remonte le défilé parisien d’un pas décidé. « Quand j’entends ce qui profile pour les retraites, je trouve ça dément ! » Être retraité ne freine pas ses envies de manifester, loin de là. « C’est ça le syndicalisme, se battre pour tout le monde ! Pour les salaires et le pouvoir d’achat. »

La question des salaires agite partout

Selon l’Insee, en août, la hausse de prix s’établissait à 5,9 % sur un an, avec une plus forte hausse encore des prix de l’alimentation (7,9 %) et de ceux des produits vendus en grande surface, en augmentation de 8,1 % en un an. En face, les salaires n’avaient augmenté que de 3,2 % en douze mois, fin juin.

Sur ces questions, les tensions sont vives, même si elles ne sont pas encore remontées au niveau de la fin 2021, au moment des négociations annuelles. Les entreprises sont rares à avoir fait comme Air France, qui a annoncé le 14 septembre une augmentation générale des salaires de 5 % en six mois.

Chez Stellantis (ex-PSA), le débrayage du 16 septembre de plusieurs dizaines d’ouvriers à l’usine d’Hordain (Nord) a marqué les esprits. Cet hiver, les syndicats du groupe automobile avaient refusé les propositions de la direction, qui proposait 3,2 % d’augmentation en moyenne, dont 2,8 % d’augmentation générale pour les ouvriers et 4 000 euros d’intéressement. Entretemps, Stellantis a réalisé 8 milliards de bénéfice au premier semestre 2022, en hausse de 34 % sur un an.

Du côté de Renault, l’annonce le 22 septembre d’une « prime » de 1 000 euros a été regardée avec méfiance, jusque par Philippe Martinez, issu du constructeur : il s’agit en fait de 500 euros de « prime Macron » défiscalisée, d’une prime de transport de 100 euros, et de la possibilité de monétiser deux jours de RTT.

Dans certains secteurs professionnels, les choses évoluent aussi. Ce 29 septembre, dans la branche de la sécurité privée, patronat et syndicats (CGT exceptée, qui s’est abstenue) se sont accordés pour revaloriser les salaires de 7,5 %. En mai, l’accord portait sur une hausse de seulement 3,5 %.

Et maintenant, les retraites

Si la combativité des manifestant·es n’était pas au maximum pour cette première journée de mobilisation depuis la réélection d’Emmanuel Macron, chacun·e a évidemment en tête les débats à venir sur la réforme des retraites, annoncée par le chef de l’État comme devant entrer en vigueur à l’été 2023.

Après le plus long mouvement social de l’histoire en France, fin 2019 et début 2020, le président avait dû abandonner son projet de régime « universel », rattrapé par la pandémie de Covid-19. Il vise désormais un simple recul de l’âge de départ à la retraite, bien plus facile à mettre en œuvre.

Sur le pavé parisien, plusieurs pancartes avertissaient l’exécutif de la colère envers l’hypothèse, avancée très officiellement par le gouvernement, de faire passer sa réforme par un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, adopté rapidement et sans grandes discussions, voire grâce à l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, offrant un vote global sur tout un texte de loi.

Mais après des semaines d’atermoiements sur le rythme à suivre, Emmanuel Macron a finalement décidé, après un dîner à l’Élysée mercredi 28 septembre avec toutes les têtes de sa majorité, de ralentir un peu la cadence. Dès la semaine prochaine s’ouvrira un cycle de discussion avec le patronat et les syndicats, en vue de bâtir un texte de loi spécifique.

Forcément, il va y avoir une confrontation sociale.

Simon Duteil, co-délégué général de l’union syndicale Solidaires Le principe du recul de l’âge de départ ne sera pas discuté, mais les débats pourront porter sur des mesures spécifiques pour les carrières longues ou la pénibilité au travail, ainsi que l’aménagement des fins de carrière.

Le projet de loi pourrait être discuté à l’Assemblée en début d’année 2023. Mais le chef de l’État a prévenu lors du dîner que si les syndicats refusaient de discuter, il utiliserait bien l’option de l’amendement au PLFSS. La CFDT a d’ores et déjà annoncé qu’elle serait présente à la table des négociations, tout en assurant qu’elle restait opposée au recul de l’âge de départ, et qu’elle participerait à la discussion sur le sujet entre syndicats, prévue lundi 3 octobre.

Treize organisations syndicales ont en effet prévu se rencontrer, pour la troisième fois en quelques mois. « On espère pouvoir annoncer des choses fortes, ensemble, indique Simon Duteil, de Solidaires. Il y a un choix de société à faire aujourd’hui : celui d’augmenter les salaires, réduire le temps de travail et ne pas nous faire travailler plus longtemps. Et c’est totalement l’inverse de ce qu’il se passe. » Et de conclure, sans hésitation : « Forcément, il va y avoir une confrontation sociale. »

Cécile Hautefeuille et Dan Israel


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