Yannick Jadot : les raisons d’une campagne atone

mercredi 23 février 2022.
 

Une culture militante peu rodée à l’exercice et des divergences internes entravent la campagne du candidat écologiste à l’élection présidentielle qui, en choisissant de ne pas faire de vagues, flirte avec l’invisibilisation.

L’émission « Élysée 2022 » avec Yannick Jadot se termine sur France 2, le 17 février. Après 2 h 20 d’interview sans accroc, un nuage de mots s’affiche à l’écran, émis par un groupe de téléspectatrices et téléspectateurs chargés de se prononcer sur le candidat. Au milieu de l’échantillon, deux adjectifs se suivent : « utopique » et « solide ». « Je suis un utopiste solide, ça me plaît pas mal », rebondit l’invité, ravi.

Sa campagne est décidément à son image : emmêlée dans les paradoxes. Ambitieuse dans ses objectifs, mais modeste dans sa mise en scène ; professionnelle dans les moyens qu’elle déploie mais au rendu encore approximatif ; sérieuse, mais incomprise. Inaudible. Même sur le combat emblématique contre le nucléaire, l’eurodéputé Europe Écologie-Les Verts (EELV) peine à se faire entendre dans un contexte de reculades à gauche.

Jusqu’à récemment, ses équipes convenaient d’un manque de dynamique, en rejetant la faute sur un climat globalement hostile aux candidat·es de gauche et écologistes : désintérêt général pour la présidentielle, médiatisation trop précoce, extrême-droitisation du débat public, feuilleton interminable de la Primaire populaire ou encore « effet Covid ».

« Il y a un vrai décalage entre ce que portent les organisations politiques de gauche et écologistes, et une opinion qui est dans une colère et un désintérêt vis-à-vis du monde politique », défend ainsi Alain Coulombel, porte-parole d’EELV. « Yannick fait une campagne solide, avec un programme solide. Il manque juste un petit vent porteur, mais on n’est pas en vrac », assure aussi l’eurodéputé écologiste David Cormand.

Pourtant, plus le temps passe, plus ces arguments s’effritent ou tombent à plat. À cinquante jours du premier tour, et vingt jours après le résultat de la Primaire populaire – où Yannick Jadot s’est hissé en deuxième position –, et même si certains écologistes sont persuadés que leur candidat va décoller au moment des débats télévisés, force est de constater que quelque chose cloche au royaume des Verts.

Face au mur de la présidentielle

Son coup d’éclat face à Emmanuel Macron, le 19 janvier au Parlement européen – « Vous resterez dans l’histoire le président de l’inaction climatique », avait-il déclaré face au président de la République, troquant son ton monocorde pour une rare offensive verbale – aurait pu le faire sortir du monde du silence. Ce ne fut qu’une très courte parenthèse.

Noël Mamère, qui détient le score record des écologistes à la présidentielle – il rassemblait 5,25 % des suffrages exprimés en 2002 –, le déplore : « Ce n’est pas dans son caractère de chercher le clivage, et je comprends ses craintes, car tout est organisé pour que les débats se transforment en combats de boxe, dit-il. Mais il doit prendre des risques, amener dans le débat public des sujets clivants qui montrent que l’écologie ne se borne pas à dénoncer les effets du réchauffement climatique, mais qu’elle pose aussi les questions sociales, de racisme, de discriminations, de colonialisme. Il ne faut pas qu’il hésite à leur rentrer dans le chou. »

À l’heure des procès en « wokisme », et après les multiples polémiques qui ont jalonné les premiers mois de mandature des nouveaux maires écologistes, pas sûr que le candidat qui ne veut se fâcher avec personne change de braquet. Et quand bien même il procèderait à ces inflexions, derrière lui, c’est toute une organisation qui oscille dangereusement, peinant à le hisser à la hauteur de ses ambitions.

Le fait qu’en 2017, EELV n’ait pas eu à faire campagne de manière autonome pèse dans la balance : à l’époque, Yannick Jadot s’était rangé derrière Benoît Hamon, et l’appareil socialiste avait assuré tant bien que mal le dispositif. Les écologistes étaient restés en flanc-garde. En 2022, la culture militante écolo accuse donc quelques lacunes : ces jours-ci, l’équipe de Yannick Jadot propose encore des formations au porte-à-porte. Et sur le volet numérique, les audiences de la récente chaîne Twitch du candidat ne s’envolent toujours pas.

« Les candidatures autonomes des écologistes, on les faisait avec l’idée de témoigner. C’est la première fois qu’on se présente en espérant autre chose, mais on n’arrive pas à remplir les habits d’un mouvement en capacité de gouverner demain », observe un militant déçu.

L’ambiance qui règne dans les « Forums des possibles » – des meetings aux dimensions réduites – témoigne du chemin qui reste à parcourir. Le premier d’entre eux, organisé le 11 décembre 2021 à Laon (Aisne), ville où Yannick Jadot a grandi, a laissé un souvenir amer. « On est plein à ne pas avoir envie d’y aller désormais : être mal assis sur des tabourets en carton pour aller faire la claque, merci », confie une élue écolo, dépitée.

La campagne parallèle de Jean-Luc Mélenchon, qui enchaîne les meetings massifs – comme dernièrement à Montpellier (Hérault), devant 8 000 personnes –, les émissions très suivies du candidat de La France insoumise (LFI) – 2,1 millions de téléspectateurs pour son passage dans « Élysée 2022 », contre 1,3 pour Yannick Jadot – et les apparitions événementielles sur ses propres canaux numériques – méticuleusement entretenus et peaufinés depuis cinq ans –, jettent une lumière crue sur la fragilité du dispositif de campagne écolo. « La présidentielle est une campagne du grand nombre. Ces Forums des possibles, c’est une erreur stratégique », estime un cadre de LFI.

Les écologistes eux-mêmes admettent sans mal le contraste avec la « machine de guerre » insoumise : « Que Jean-Luc Mélenchon soit un bon logisticien pour rapatrier des bus de militants, c’est une chose. Nous, tu dis à un militant de prendre le bus, il demande combien de grammes de CO2 il va émettre ! Tu ne peux pas changer le mode de fonctionnement des écolos, on n’est pas des présidentialistes », défend le conseiller régional écolo François Damerval, croisé au forum lyonnais du 29 janvier.

Interrogée au sujet de la modestie de ces dispositifs, la secrétaire nationale adjointe d’EELV, Sandra Regol, assume de ne pas faire de ces rendez-vous où « on se tient chaud » un objectif en soi : « On n’est pas dans des logiques de parti de masse, ce n’est pas notre obsession de montrer qu’on a la plus grosse salle. Et puis, j’ai le souvenir mi-cuisant, mi-amusé des salles énormes remplies par Benoît Hamon en 2017, et de son score après », argumente-t-elle. Un « vrai meeting » de Yannick Jadot aura cependant lieu le 27 mars au Zénith de Paris.

En attendant, le candidat enchaîne désormais les rassemblements sur des places publiques – la fameuse « Tournée des possibles » –, histoire d’atteindre des oreilles profanes à l’écologie politique : Tours (Indre-et-Loire) le 18 février, Rouen (Seine-Maritime) le 21, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) le 25, et ainsi de suite jusqu’au début du mois d’avril.

« On n’arrive pas en parachute au milieu d’un meeting d’Éric Zemmour, mais on embrasse le challenge d’aller convaincre les Français, en sortant de notre zone de confort », résume Sandra Regol, qui pilote la chaîne Twitch avec la même idée d’évangéliser les foules. Une figure du parti écologiste grince tout de même des dents : « Pour aller chercher des abstentionnistes, il faut aller les chercher chez eux. Or on fait des campagnes qui s’adressent alternativement aux gens qui sont chez Macron ou chez Mélenchon. C’est peau de chagrin. » L’échec du rassemblement

Si l’enthousiasme des grands soirs n’est pas là, c’est aussi que la dynamique de rassemblement post-primaire EELV s’est vite épuisée. N’étant pas le candidat naturel du parti – ses cadres lui préféraient le maire de Grenoble (Isère) Éric Piolle –, le défi de Yannick Jadot consistait dès le départ à construire sa légitimité de l’extérieur.

C’est pourquoi Noël Mamère observait avec une certaine sympathie l’initiative naissante de la Primaire populaire : « Le fait d’avoir organisé une primaire dans le strict périmètre écolo ne me semblait pas correspondre au poids réel de l’écologie dans la société. Car, en vingt ans, la question écologique est devenue prioritaire, c’est un saut considérable dans la société française. C’est regrettable qu’on n’ait pas porté plus d’attention à cette initiative venue de la société civile ».

Au-delà d’EELV, Yannick Jadot n’a réussi à rallier à sa cause qu’une kyrielle de petits partis, dont Génération·s, Génération écologie ou encore les Nouveaux démocrates. La mise en retrait de l’ex-Marcheur Matthieu Orphelin – qui était son porte-parole – à la suite de l’affaire Hulot l’a même privé d’un symbole d’ouverture aux déçu·es du macronisme.

Quant à la société civile, le mariage entre le mouvement climat et le pôle écolo n’a pas vraiment pris. Yannick Jadot s’est pourtant entouré de personnalités qui en sont issues, comme Marie Toussaint, ex-présidente de Notre affaire à tous, Marie Pochon, secrétaire générale de la même ONG, ou encore Samuel Léré, de la Fondation Nicolas Hulot. En vain.

Le porte-parole de Greenpeace France, Clément Sénéchal, souligne toutefois que son programme reprend, « comme celui de LFI », des mesures défendues par son organisation, un temps dirigée par l’eurodéputé : ISF climatique, fin de l’élevage industriel, écoconditionnalité de l’aide aux entreprises... « C’est le signal que Yannick Jadot est attentif au travail des ONG pour constituer la trame de son discours, ce qui est assez digne d’intérêt, alors que les écologistes n’avaient pas de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale durant ce quinquennat [contrairement à LFI – ndlr], donc pas de continuum programmatique développé », constate-t-il.

Mais c’est plutôt vers Jean-Luc Mélenchon que les activistes du mouvement climat semblent s’orienter, à l’instar d’Alma Dufour, des Amis de la Terre ou de Claire Lejeune, figure des marches pour le climat. Toutes deux ont rejoint le parlement de l’Union populaire. Pour Elise Löwy, ex-militante de l’aile gauche d’EELV, c’est le symptôme d’un manque de radicalité dans le discours de Yannick Jadot.

« Il me semble que Jadot est pris dans les contradictions qui traversent le mouvement écologiste, analyse-t-elle. À la recherche de respectabilité d’une part, et sous l’influence des ralliements d’ex-macronistes d’autre part, il néglige l’attente de radicalité qui existe dans les mouvements écologistes et sociaux. Il est à contre-courant : à l’heure où ce qui pourrait rassembler la gauche et les écologistes est une ligne d’écologie populaire et sociale, il développe une écologie d’accompagnement, ce qui lui fait perdre des soutiens de beaucoup d’éologistes de rupture. »

De fait, Yannick Jadot tente plutôt dernièrement de polir son image – l’apparition d’une cravate à son cou, après que cette absence lui a été reprochée par un auditeur de France Inter, en est un symbole parmi d’autres. Les soutiens de Sandrine Rousseau, qui avait fait de la radicalité son leitmotiv, sont ainsi de plus en plus nombreux à s’éloigner de la campagne, considérant que le candidat EELV prône le rassemblement tout en faisant cavalier seul.

Ce contexte de tensions internes permanentes, récemment ravivées par un rendez-vous secret de négociations avec l’équipe de Christiane Taubira, dont Sandrine Rousseau n’avait pas connaissance, a eu pour effet le repli de l’eurodéputé sur un cercle restreint de fidèles : son directeur de campagne Mounir Satouri, son bras droit Alexis Braud, le communicant Denis Pingaud et quelques autres. Plusieurs boucles sur les messageries instantanées se superposent ainsi sans aucune passerelle entre elles : celle du bureau exécutif d’EELV, celle du conseil d’orientation politique et celle des « très proches de Yannick ».

Les derniers déboires du candidat écolo témoignent de ce cloisonnement. L’affaire des 150 000 euros proposés par son directeur de campagne à la Primaire populaire en octobre 2021 – prétendument pour éponger ses dettes, plus vraisemblablement pour tuer le dispositif citoyen dans l’œuf – a interpellé nombre de militant·es. « Ça fait partie des dysfonctionnements de l’animation de cette campagne : personne n’était au courant de la nature des échanges entre la Primaire populaire et Mounir Satouri », regrette un responsable écolo.

Le sujet a vite été enterré par un message interne de Mounir Satouri, expliquant que cela n’avait « rien d’inhabituel pour des discussions entre formations politiques en période de campagne ». Cette méthode de mise en sourdine ou d’évacuation rapide des questions dérangeantes semble faire système. « En interne, dès qu’il y a des sujets difficiles ou problématiques, comme le dérapage de Jadot sur le “juif de service” [c’est ainsi qu’il a qualifié Éric Zemmour sur Radio J, le 13 février – ndlr], on ne les commente pas. On ne veut pas mettre de l’huile sur le feu, en rajouter, empêcher le bon déroulement de la campagne de Yannick », décrit un cadre d’EELV.

La sphère intellectuelle qui soutenait Benoît Hamon en 2017 se tient elle aussi à l’écart. À l’exception du philosophe Bruno Latour et du politiste François Gemenne, qui soutiennent Yannick Jadot, cette sphère s’est murée dans une position attentiste : la sociologue Dominique Méda, la philosophe Sandra Laugier, l’économiste Thomas Piketty ou encore sa consœur Julia Cagé ne se sont pas manifesté·es.

Des écologistes reprochent aujourd’hui à l’appareil d’EELV son inertie dans cette campagne, et estiment que son secrétaire national, Julien Bayou, a une responsabilité puisqu’il s’était engagé à accomplir le dépassement du parti au dernier congrès. La secrétaire nationale adjointe du parti, Sandra Regol, positive tout de même, avec un brin d’ironie : « Aujourd’hui, les gens qui nous veulent du mal disent qu’on va faire 5 %. C’est bien d’être insultés comme ça, quand on sait que c’est notre record absolu à la présidentielle. »

Mathieu Dejean


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