Des Verts ont-ils essayé d’acheter la Primaire Populaire

samedi 19 février 2022.
 

Le directeur de campagne de Yannick Jadot a évoqué une somme de 150 000 euros pour dédommager les animateurs de la Primaire Populaire s’ils acceptaient d’arrêter le processus. Il confirme cette information, mais en nuance la finalité.

L’article ci-dessous est constitué d’extraits d’ un article de Mediapart dont l’adresse URL est portée en source (haut de page, couleur rouge). Par contre le titre est de notre fait.

Les Verts, la gauche et la Primaire populaire : des pressions et 150 000 euros sur la table

En enquêtant sur les différentes pressions et propositions que les partis de gauche avaient pu émettre pour mettre fin à ce scrutin qui allait déboucher sur la désignation d’une nouvelle candidate à gauche, Mediapart s’est fait confirmer par plusieurs sources un échange particulièrement gênant pour le candidat d’EELV, Yannick Jadot.

D’après nos informations, son directeur de campagne, l’eurodéputé Mounir Satouri, a évoqué avec les organisateurs de la Primaire populaire la possibilité de débloquer 150 000 euros pour les dédommager et d’intégrer l’équipe élaborant le projet du candidat écologiste. Avec l’idée qu’ils mettent fin au processus de la Primaire populaire ? « Sans doute », finit par reconnaître Mounir Satouri auprès de Mediapart (lire notre Boîte noire), tout en cherchant à minimiser la portée de l’échange.

L’intéressé dément en effet l’idée de « proposition » puisque la « discussion n’a pas été au bout ». Mais il reconnaît avoir évoqué cette somme lors d’un petit-déjeuner avec Mathilde Imer et Samuel Grzybowski, les deux organisateurs de la Primaire populaire, persuadé, dit-il, que le collectif faisait face à des soucis financiers.

La scène s’est déroulée le 1er octobre, trois jours après la victoire de Yannick Jadot à la primaire des écologistes. Mounir Satouri et Sabrina Sebaihi, porte-parole du candidat EELV et co-secrétaire fédérale du Val-de-Marne, retrouvent Mathilde Imer et Samuel Grzybowski autour d’un petit-déjeuner dans un restaurant parisien.

« On discute de la primaire et Mounir Satouri nous laisse très vite entendre que Yannick Jadot ne fera pas une deuxième primaire après celle des écolos et qu’il est donc inutile qu’on continue, raconte Mathilde Imer. Et dans cette idée-là, il dit : “Moi, de toute façon, j’avais provisionné, à vérifier avec le trésorier de campagne, 150 000 euros pour amortir la Primaire populaire au cas où vous décideriez d’arrêter, mais que vous seriez contraints, pour des raisons financières, d’aller jusqu’au bout.” Bien que formulée sur un ton bienveillant, la proposition a été posée sur la table. »

Une version nuancée par le directeur de campagne de Yannick Jadot : « J’avais entendu, je ne vais pas vous dire par qui, que la Primaire populaire avait un souci de financement. J’ai posé la question de manière cash, directe, en disant : “Il m’a été rapporté que vous aviez des difficultés de financement. Autour de 150 000 euros. Est-ce que c’est vrai ? Et si c’est vrai, je suis prêt à ce qu’on en discute.” Mais là, ils me répondent que non, la porte est fermée et on passe à autre chose », explique-t-il.

Selon nos informations, plusieurs personnes de l’entourage du candidat écologiste ont tout de même eu connaissance à l’époque, avec plus ou moins de détails, des propos échangés lors de ce petit-déjeuner. Au moins l’une d’entre elles est convaincue des raisons pour lesquelles cette somme a été avancée : mettre fin au processus citoyen.

« Pour moi, ce qui s’est passé est à la fois hostile et amical, explique de son côté Mathilde Imer. La manière dont je le vis, quand je suis en face de lui, c’est qu’il pense qu’on est en galère et qu’il ne veut pas qu’on s’entête pour des raisons financières. Mais il y a clairement aussi en creux le début de la petite musique du “ça va, vous commencez à nous faire suer les gamins, là”. »

Alexis Braud reconnaît auprès de Mediapart avoir plusieurs fois évoqué ce sujet avec Mounir Satouri. En revanche, l’homme de confiance de Yannick Jadot nie catégoriquement que cette somme ait pu être envisagée dans un cadre d’échange de bons procédés.

« Il n’y a pas de sortie de route ou d’initiative individuelle, il y a une demande de confirmation de rumeur sur leurs problématiques financières, et de toute façon, [cela aurait été] une folie politique d’alimenter cette machine [la Primaire populaire – ndlr] qui nous a fait tant de mal ! », poursuit le secrétaire national d’EELV, qui entretient des relations exécrables avec Samuel Grzybowski qu’il accuse, sur d’autres sujets, de mensonges et de double jeu.

Quoi qu’il en soit, conclut-il, « envisager que des euros d’une campagne présidentielle puissent éponger une dette de fournisseur prestataire de plateforme de vote, ça ne tient pas la route. Il y a peut-être un malentendu, ou une part de manipulation. Mais c’est une accusation très grave ».

Balayée par Julien Bayou, cette idée ne semble pourtant pas incongrue aux yeux de Thierry Brochot, le trésorier de la campagne de Yannick Jadot. « Est-ce une pratique courante de parler d’argent avec les partenaires ? Tout le monde va vous répondre non, on se drape tous de probité, on ne vit que d’amour et d’eau fraîche, mais je serais le pire des menteurs à vous répondre que non », assume celui qui s’était déjà occupé, en 2017, des questions financières liées au ralliement de Yannick Jadot derrière Benoît Hamon. Il y a cinq ans, le PS avait en effet accepté de prendre en charge les 200 000 euros dépensés par les Verts lors de la courte campagne du candidat EELV avant son retrait.

« À partir du moment où ils disent : 1) on n’a pas de sujet d’argent 2) on va faire notre primaire, le truc s’arrête là », reprend Mounir Satouri, qui se dit « surpris » par « l’interprétation » qui a été faite de cet échange, d’autant plus, précise-t-il, que les deux organisateurs de la Primaire populaire n’ont pas semblé « offusqués ».

Sur le moment, peut-être. Mais au moins trois membres du bureau de la Primaire populaire affirment à Mediapart que Samuel Grzybowski et Mathilde Imer ont jugé l’affaire suffisamment problématique pour l’évoquer en marge d’une réunion interne organisée le 5 octobre au matin, soit quatre jours après le petit-déjeuner. « Je me souviens très bien que Samuel et Mathilde ont évoqué ce point, et je n’ai aucun doute sur leur parole. Ils avaient d’ailleurs l’air vraiment interpellés par cette histoire », rapporte ainsi Camille Marguin, la présidente du bureau.

« Mounir Satouri a compris à notre ton que ça n’allait pas, souligne encore Mathilde Imer. La réaction de surprise de Samuel et le fait que, de manière ferme, je lui dise qu’on n’avait pas besoin de cet argent et qu’on irait jusqu’au bout, rendaient la chose assez claire. » En réalité, estime Samuel Grzybowski, Mounir Satouri aurait traité la Primaire populaire « comme un parti qu’on débranche, classiquement », proposant l’amortissement des frais supposément engagés pour que le ralliement puisse aboutir.

Après avoir un temps envisagé d’y participer, le PS s’est, lui aussi, retourné contre la Primaire populaire. Comme ce 14 décembre, où le ton est monté entre Samuel Grzybowski et les membres de la direction du parti d’Olivier Faure, qui a averti l’activiste qu’il y aurait « des conséquences très graves, dans la presse, pour vous », relate Samuel Grzybowski, si la Primaire populaire maintenait le nom d’Anne Hidalgo dans un processus d’investiture. « Pour des néophytes de la vie politique, le fait de défendre son intérêt, son business, peut être vécu comme un coup de pression », concède Pierre Jouvet, le « Monsieur élection » du PS, qui affirme avoir été « ferme », mais pas menaçant lors de cette rencontre.

À La France insoumise, où Jean-Luc Mélenchon a très vite joué cartes sur table, refusant publiquement et à plusieurs reprises de concourir à ce scrutin, on a, cette fois, utilisé les réseaux sociaux pour discréditer le collectif citoyen. Les Insoumis ont ainsi, via un communiqué de presse, participé à la diffusion d’une vidéo – qualifiée « d’erreur » par le collectif lui-même – de Samuel Grzybowski appelant à faire pression sur les parrainages et les candidates et candidats non unis. Ce qui a déclenché un déluge de commentaires haineux en ligne.

« Samuel Grzybowski a reçu des injures, des menaces, en tant que personnalité publique et c’est inacceptable. Mais le communiqué ne formulait qu’une seule demande : le retrait de Jean-Luc Mélenchon de leur site », explique Manuel Bompard, directeur de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui critique l’attitude générale de la Primaire populaire « qui y est allée tête baissée et s’est mise à utiliser des méthodes pas très glorieuses, racontant ceci à l’un puis à l’autre, pour faire croire à chaque candidat qu’il avait des chances de l’emporter ». C’est aussi l’avis de Julien Bayou, qui ironise : « Elle n’était pas très belle la “politique autrement” ! »

Accusés de dénoncer des pratiques et des tactiques qu’ils auraient allègrement pratiquées, les organisateurs de la Primaire populaire, qui veulent lancer mi-février un nouveau mouvement citoyen pour peser sur les législatives de juin, se défendent et mettent en cause un fonctionnement démocratique et partisan vicié. « Nous voudrions faire comprendre comment, en rentrant dans la machine politique telle qu’elle est faite aujourd’hui, les règles du jeu amènent des gens qui sont sincèrement bien intentionnés à prendre des décisions qui vont parfois à l’encontre de leurs propres valeurs. Pas juste eux, tout le monde ! », conclut Mathilde Imer. D’où l’urgence, selon elle, de revoir de fond en comble les règles du système politique et démocratique.

Mathilde Goanec et Pauline Graulle


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