Honneur au trotskyste Dav’tian, compagnon de lutte de Missak Manouchian

vendredi 12 avril 2024.
 

1) Derrière l’affaire Manouchian : le dévoiement d’une génération, par René Revol

La polémique qui s’est développée à l’occasion de l’interdiction d’antenne du film de Mosco Des Terroristes à La retraite a eu au moins un mérite : des faits, que certains s’étaient évertués depuis quarante ans à dissimuler ou à travestir, ont été mis en pleine lumière. Pendant des années, staliniens, gaullistes et quelques autres ont tout fait pour effacer de l’histoire le rôle, dans la Résistance, d’étrangers et en particulier de militants juifs. Le combat pour la vérité, mené par certains témoins et historiens, révèle aujourd’hui que ces hommes et femmes n’ont pas été éliminés seulement des plaques commémoratives, des discours officiels et des ouvrages de circonstance...

Bien des travaux leur ont été consacrés ces dernières années. Nous voulions seulement en rendre compte pour partie dans ce numéro des Cahiers quand a éclaté l’affaire du film qui donne tout leur relief à ces lectures. Louis Gronowski - Brunot (1) et Adam Rayski (2), dirigeants des F.T.P. M.O.I., ont publié récemment leurs souvenirs auxquels il faut ajouter ceux, antérieurs, de Mélinée, la compagne de Myssak Manouchian (3) et de Claude Levy (4), ancien résistant F.T.P.-M.O.I. de Toulouse. On peut ajouter aussi le témoignage de Moshé Zalcman sur Joseph Epstein (5), dirigeant F.T.P. fusillé en 1944. Enfin - et sans prétendre être exhaustif — on ne saurait faire silence sur le travail de Maurice Rajsfus, L’An prochain La Révolution. Les communistes juifs immigrés dans La tourmente stalinienne 1930-1945 (6) qui s’appuie sur une documentation abondante et de nombreux témoignages pour retracer ce qu’il appelle lui-même « le dévoiement d’une génération ».

Les émigrés et le PC

Depuis le début des années 20, les militants ouvriers juifs de Pologne affluent en France, chassés par la misère, les pogroms, la persécution policière. On les retrouve organisés dans les syndicats, dans les métiers auxquels ils excellent, formant leurs sections, publiant leurs propres journaux en yiddish. Ils rejoignent aussi leurs propres partis et le Bund est très sérieusement concurrencé dans cette émigration par l’afflux dans les rangs du P.C. de ces militants déracinés, spécialement sensibles à l’internationalisme, fascinés par la révolution d’Octobre. Gronowski et Rayski ont décrit le mouvement de cette génération regroupée dans la « sous-section juive », constituant l’un des groupes de langue de la M.O.E.(main d’œuvre étrangère) qui devient M.O.I. (main d’œuvre immigrée). Ces hommes sont disciplinés et, comme le rappelle Trepper, opportunément cité par Rajsfus, ils participent avec ardeur au « nettoyage » des milieux juifs, en particulier des influences « trotskystes ». (7) Ils n’en sont pas moins suspects à l’heure du P.C.F. en tricolore et de La Marseillaise retrouvée ; c’est, semble-t-il, en mars 1937, que la sous-section juive est dissoute. Nombre d’entre eux sont à cette date sur les fronts d’Espagne (8). Dans son témoignage à Rajsfus - où il est plus disert sur ce point que dans ses propres souvenirs -, Rayski évoque précisément l’Espagne et la nécessité de « faire front » pour justifier l’attitude des militants qui ont condamné des hommes comme Charles Rappoport se décidant, avec le procès Boukharine, à stigmatiser en 1938 les procès de Moscou : « C’est lui qui avait raison, écrit Gronowski, et la honte m’envahit lorsque je repense à cet épisode ».

Devant le pacte Hitler-Staline

Les communistes juifs ressentent durement la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et M. Rajsfus note que leurs responsables, actuellement, sont « encore mal remis du traumatisme » (10). Ils se savent le dos au mur, parias de l’Europe. Dans le parti, ils acceptent cet acte qu’on leur présente comme une manœuvre, mais ils se pressent dans les centres d’enrôlement et des anciens des Brigades vont même dans la Légion étrangère. Rayski, dans Naiè Presse du 4 septembre, appelle à la lutte contre Hitler « aux côtés du peuple français » et ne dit mot du pacte. Les relations sont d’ailleurs rompues avec les organisations d’immigrés, à l’initiative du P.C. comme le laisse entendre Gronowski, responsable de la M.O.I. Tous ces militants, qui ont chassé les trotskystes, approuvé l’élimination de la vieille garde, combattu en Espagne, où leur parti assurait qu’ils « continuaient Verdun », sont ébranlés par le pacte, isolés de leur parti, étonnés, quand ils le disent, de voir que 1’Humanité n’attaque pas Hitler. Ils restent fidèles à leur parti mais en même temps mettent en place des structures clandestines, aide, assistance, mais aussi de combat pour, le moment venu, se trouver prêts.

Ils sont déjà étonnés en octobre 1940 de l’absence de consignes de la part du P.C.F. - qui a repris le contact en août - devant l’obligation faite aux Juifs de se faire recenser au commissariat de leur quartier. Après le 14 mai 1941 et les arrestations et déportations de plusieurs milliers de Juifs, ces militants passent dans la clandestinité et se préparent pour l’action, à laquelle certains d’entre eux prennent déjà part dans la grève des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Le 22 juin 1941, quand tombe la nouvelle de l’attaque de la Wehrmacht, on peut affirmer que les hommes de la M.O.I. sont prêts au combat, plus que le P.C.F., plus que Staline, qui refusa d’abord de croire la nouvelle. Les premiers coups de main, dès l’été 1941, sont leur fait.

Les F.T.P.-M.O.I. dans la guerre

C’est au début de 1942 que sont constitués les F.T.P. (Francs-Tireurs et Partisans) commandés par Charles Tillon, qui comptent des groupes d’action armée à Paris et dans la plupart des grandes villes. Il semble bien que la grande majorité de ces groupes étaient à l’époque des groupes M.O.I., appelés désormais F.T.P.-M.O.I., dont Maurice Rajsfus estime qu’ils s’étaient organisés « avant même que la moindre instruction ne leur parvienne de la direction du P.C.F. qui hésitait encore sur les formes de l’action à entreprendre » (11). Le même historien, après avoir noté la discrétion de Charles Tillon sur le rôle prépondérant des combattants de la M.O.I., poursuit :

« La plupart des historiens officiels du P.C.F. abordant les combats de la Résistance, auront la même absence de mémoire envers ceux qu’ils considèrent sans doute comme des supplétifs dont il n’est pas nécessaire de trop signaler l’existence, les combats et les sacrifices ».

Quatre détachements F.T.P.-M.O.I. à partir de mars 1942 dans la région parisienne, puis, après la vague de répression de mars 1943, deux groupes, les dérailleurs de Boczov, Juif roumain et les guérilleros de Manouchian, arménien et Rayman, Juif polonais. En province, ils se développent rapidement : Brigade à Toulouse, Cannagnok à Lyon, Liberté à Grenoble, Korzec à Marseille. Ce sont ces groupes d’étrangers qui réalisent en 1942 et 1943 autour de 80 % des actions armées et sabotages au compte des F.T.P.

Roger Pannequin, ancien commandant des F.T.P. du Nord, témoigne sur ce point :

« C’est véritablement pour des raisons nationalistes étroites que l’on a fait disparaître les particularités des groupes immigrés. Cela permettait d’ajouter le « F » à F.T.P. pour faire F.T.P.F. Or il n’y a jamais eu de F.T.P.F. Il faut y insister. Le « F » n’est venu qu’après la Libération, parce qu’il fallait démontrer qu’on était nationaliste bon teint. C’est alors que l’on a fait disparaître les noms de tous les membres qui ont fait les plus gros coups I...]. Quand il fallait un communiqué, c’étaient les gars de la M.O.I. qu’on envoyait au casse-pipe [...]. C’est pour faire oublier la trahison, la politique de collaboration non avouée, mais réelle avec les hitlériens que l’on a donné l’ordre de foncer tête baissée en 1942, que l’on a exécuté les missions les plus insensées et avec, en première ligne, les immigrés ».

Nous touchons au cœur du problème. Communistes et Juifs, anciens combattants d’Espagne, ces hommes ont toujours cru qu’ils devraient se battre contre le nazisme et qu’il leur serait donné d’être les premiers à le faire. Ils le font avec plus de détermination du fait qu’ils défendent du même coup l’Union soviétique en danger. Mais peuvent-ils être des « patriotes » français ? Il est clair que non. A l’orientation chauvine du P.C.F. et le fameux titre de l’Humanité « A chacun son Boche », s’opposent le cri de plusieurs fusillés : « Vive le parti communiste allemand ! » et la dernière lettre de Manouchian : « Je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand ». Il est également significatif que l’amnésie des historiens officiels et officieux du P.C.F. se soit étendue à une autre activité des immigrés dans la Résistance, le T.A. ou « travail allemand » : cette entreprise de démoralisation de l’armée allemande ne permettait-elle pas un rapprochement avec la « propagande de fraternisation » menée par les trotskystes et qu’on utilisa cyniquement pour les appeler « hitléro-trotskystes » ?

Les militants immigrés engagés dans les détachements M.O.I. sont pris dans une terrible contradiction : pour eux, le combat du moment contre les maîtres de 1’Europe brune se confond avec le combat pour la libération de l’humanité de toute oppression, mais ils le mènent sous la direction d’un parti qui les a empêchés de combattre et les déguise maintenant en « patriotes » : tous les témoignages, même de ceux qui restent liés, font état de cette contradiction et de la conscience qu’ils en avaient. Peut-on douter de l’état d’esprit des combattants M.O.I. du groupe Manouchian, quand on sait qu’il accueillit dans ses rangs, en toute connaissance de cause, l’ancien officier de 1’Armée rouge, le mécanicien A.A. Davtian, évadé d’U.R.S.S., ancien détenu de la prison de Verkhnéouralsk, militant de l’Opposition de gauche en U.R.S.S., puis membre du « groupe russe » de la IVème Internationale, connu sous le nom de Tarov et exécuté sous sa fausse identité de Manoukian ?

Y a-t-il une « énigme de l’affiche rouge » ?

Dans son livre, publié au début 85, Adam Rayski parle de « l’énigme de l’affiche rouge ». Le moins qu’on puisse dire est qu’à la suite des efforts de Mélinée Manouchian, Philippe Robrieux, Maurice Rajsfus, M.A. Burnier, Luis Gonzàlez Mata et quelques autres, et surtout grâce au film de Mosco resté si longtemps sous le coude, cette énigme n’en est plus tout à fait une et que les beuglements de Marchais ne pourront museler l’exigence de vérité. En deux mots, que savons-nous ?

1. Le groupe F.T.P- M.O.I. dirigé par Manouchian et Rayman était le seul qui restait à Paris « intra-muros » à l’été 1943 : les dirigeants du P.C. avaient décidé d’envoyer le gros des autres unités au « maquis ». Seuls demeuraient dans les villes les survivants des groupes immigrés qu’on lança néanmoins dans des actions spectaculaires destinées à manifester l’activité des « patriotes français ».

2.Sentant l’étau policier se refermer, les combattants immigrés demandent à être repliés dans les grandes villes de zone Sud où ils pourront se protéger à l’intérieur de leurs communautés. Le groupe juif de Rayski commence par essuyer un refus, puis reçoit l’autorisation (14). A la demande de Manouchian, le secrétariat du P.C.F., par l’intermédiaire de la direction militaire qui contrôle directement, par-dessus la direction de la M.O.I., le groupe Manouchian - refuse. L’ordre est transmis par un « Roger » : « Si l’un d’entre eux abandonnait son travail, il serait immédiatement porté déserteur » 15. On les lance dans des actions toujours plus dangereuses, et Manouchian, parlant des dirigeants du parti, dit à Mélinée : « Je crois qu’ils veulent nous mener à la mort ». Dans sa dernière lettre, à la veille d’être exécuté, il précise : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et à ceux qui nous ont vendus »

« Celui qui nous a trahis ». Tout le monde est d’accord pour désigner « Albert », Joseph Dawidowitz, même s’il a fallu attendre plus de quarante ans pour qu’il soit plus qu’une initiale. C’est un ancien militant du XIème, désigné par « Roger » comme « commissaire politique » auprès de la M.O.I., dont nombre de militants - Rayski, Manouchian notamment - ont des heurts avec lui, à cause de la brutalité qui lui est coutumière et aussi de ses méthodes. Il est arrêté en octobre 43 et l’on apprend peu après, par un policier résistant, qu’il a donné des noms. Rayski est au courant mais l’information ne va pas jusqu’à Manouchian. Joseph D., libéré, attire Manouchian dans un piège. Pourquoi ce dernier n’était-il pas averti ? Quelques jours plus tard, les responsables de la M.O.I. donnent un rendez-vous à Joseph D. qui y vient sans protection de la Gestapo - encore un fait inexplicable - et ils l’exécutent (16). Simple trahison ? Non. L’Humanité du 14 mai 1985, qui fait de lui la base de la chute du groupe Manouchian, ménage encore sa mémoire : « Cet homme qui avait eu le courage de s’engager dans le combat de l’ombre allait craquer ». Et pourquoi cet homme, en craquant, ne donne-t-il que des noms comme ceux d’Epstein, Manouchian, des M.O.I., et d’autres M.O.I. — et pas ceux d’autres responsables, « Roger » et autres, qu’il connaît bien ?

« Ceux qui nous ont vendus » (17). Selon Tomasina qui partagea sa cellule, Manouchian, qui lui révéla le nom et le rôle du « commissaire politique » Albert, accusa formellement « Roger » d’être co-responsable. Qui est Roger ? A-t-il agi seul ? Pourquoi est-il encore aujourd’hui « couvert » ? Certains jugent que ces questions même ne sauraient être posées. Gronowski se tait, Rayski écarte toute recherche et s’en tient à Albert ; des personnalités résistantes préconisent la censure de l’histoire en s’opposant à la diffusion du film à la télévision et considèrent les questions de Mosco comme « diffamatoires » (18). Stéphane Courtois, dont la contribution au Monde sur cette question semble au premier abord ouverte à l’enquête et la réflexion, s’en tient finalement à la répression, la trahison de Joseph D. et les imprudences des combattants (19).

Deux hypothèses sont finalement avancées. Philippe Robrieux en 1984, dans le tome 4 de son Histoire intérieure du P. C.F., s’appuyant sur les éléments connus, les contradictions des mémoires de Jean Jérôme et les évidentes affabulations qu’elles contiennent, formule l’hypothèse que « Roger » était Jean Jérôme - et n’a pas été poursuivi par ce dernier pour diffamation. En juin, M.A. Burnier et Luis Gonzàlez Matta, dans Actuel bientôt appuyés par le témoignage de Mélinée Manouchian - avancent le nom du Roumain Boris Holban, un ancien général de Ceaucescu, (20) , lequel se défend d’avoir été à Paris à la date en question. Dans un cas comme dans l’autre, que « Roger » soit Jean Jérôme, Boris Holban ou un troisième homme, il est clair que lui ne « trahissait » pas personnellement, mais obéissait simplement à des ordres en « abandonnant » des combattants (21).

Il n’y a pas qu’une « affaire Manouchian » et c’est peut-être 1’« affiche rouge », la vraie, qui a sorti d’avance celle-ci de l’ombre dans laquelle elle serait Probablement restée. Claude Levy a raconté dans Les Panùs de la Résistance la tragédie de la « 35e Brigade » de Toulouse, lancée dans une série d’opérations à la suite de l’exécution de leur chef Marcel Langer, abandonnée par ses supérieurs hiérarchiques qui traite ses membres de « Provocateurs » et pas informée du coup de filet que prépare contre eux la police et dont tous les mouvements de Résistance sont informés. M.A Bumier et Luis Gonzàlez Matta accusent de la rupture avec ces jeunes combattants le lieutenant-colonel Casimir LucibeLlo, qui nie (22). Une enquête sérieuse démontrerait sans aucun doute qu’au cours des derniers mois de l’occupation, la quasi-totalité des groupes M.O.I. se sont ainsi faits prendre dans des circonstances où leurs chasseurs semblaient tout connaître d’eux.

Peut-on s’étonner de l’affaire Manouchian, qui que soit « Roger », ou de celle de Toulouse — Lucibello ou pas ? Le G.P.U. ou, si l’on préfère, les services secrets de 1’U.R.S.S., n’étaient pas absents des F.T.P. ni de la direction du P.C.F. et l’on sait qu’ils n’ont jamais hésité, quand c’était nécessaire, de faire faire par d’autres le travail d’épuration des rangs (23). Et ces mêmes combattants M.O.I. survivants n’ont-ils pas été persécutés et couverts de boue et massacrés dans les pays d’Europe de l’Est au cours des années 50 ? La pudeur de MM. les jurés d’ « honneur » est pour le moins surprenante.

Pourquoi ? En 1943, la guerre a basculé. Le régime fasciste tombe en Italie. Le gouvernement de Giraud s’installe à Alger.

L’internationale communiste est dissoute. Staline prépare la fin de la guerre, le rétablissement de l’ordre qui exige l’écrasement de ceux qui ont cru voir la révolution se dessiner à travers la résistance. Dans ce plan, le P.C.F. est un atout décisif, une force d’ordre pour la remise sur pied de l’Etat bourgeois en France. La politique de collaboration de classes, l’alliance avec de Gaulle exigent la liquidation de la M.O.I., de ces militants étrangers dont l’héroïsme et l’activité dans la résistance armée pourraient ternir l’image tricolore du P.C.F. et même donner des porte-drapeaux à des mouvements tendant à déborder le cadre de la restauration. Staline qui a déjà livré à la Gestapo en 1939-1940 des Juifs communistes allemands ne saurait se gêner que des Juifs résistants soient livrés au moment de la réalisation de l’Union sacrée et en son nom. M. Rajsfus écrit :

« En définitive, mises à part les méthodes utilisées dans l’un et l’autre cas, ces trahisons, qui coïncidaient avec les pourparlers préludant l’entrée des communistes français dans le gouvernement d’Alger, n’étaient pas plus répréhensibles finalement, pas plus étonnantes, que l’acceptation du pacte germano-soviétique [...]. Finalement, le nom du metteur en scène de cette peu reluisante opération de la Résistance communiste est relativement secondaire, car n’importe quel cadre stalinien - suffisamment « motivé » - devait être capable de prendre en charge une telle mission » (24).

L’opération d’ailleurs s’est étirée sur plusieurs années. En juin 1944, selon Rayski, une directive de Jacques Duclos prescrit de minimiser le rôle des résistants juifs ; en septembre 44, Léon Mauvais leur conseille de « s’effacer » ; à partir de 1945 les Livres « d’histoire » francisent ou suppriment les noms des émigrés ; l’édition de 1951 des Lettres de Fusillés du P.C.F. ne comporte pas celle de Manouchian ; il faudra attendre 1955 pour qu’Aragon « célèbre » Manouchian - qui n’avait pas mérité ça.

Alors que Robrieux répète inlassablement que le P.C.F. doit ouvrir ses archives, beaucoup d’autres s’agitent et palabrent comme s’ils étaient sourds à une revendication aussi élémentaire. Claude Bourdet dénonce une « coalition anticommuniste » - où il n’oublie pas de voir des « trotskystes » - qui continuerait à reproduire la propagande nazie en insistant sur le rôle des Juifs et des étrangers dans la Résistance ! (25) Curieuses affirmations. Mais curieux silences également. Celui de Gronowski qui ne dit rien du tout. Celui de Rayski, plus bavard avec Rajsfus qu’avec ses lecteurs, à qui Stéphane Courtois fait mérite d’être « le seul responsable qui accepte aujourd’hui de livrer ses souvenirs sans réticences », cependant que Mme Kriegel, dans Le Figaro de Robert Hersant, assure qu’il « remet à leur place les procès outranciers et les affabulations inconsistantes à la mode d’aujourd’hui » ! (26) N’auraient-ils ni l’un ni l’autre remarqué la « discrétion » dont Rayski fait également preuve à propos de sa propre condamnation pour espionnage en France en 1959 ? Les témoins n’ont certes pas tout dit, mais ne serait-il pas temps que certains, qui font profession d’historiens, choisissent entre ce qui leur reste de savoir-vivre en et la recherche scrupuleuse d’une vérité qui ne peut pas plaire à tous.

Nous ne sommes plus en 1936 ni en 1943. Les années cinquante sont derrière nous. On ne peut plus étouffer la vérité. Mais sa recherche demeure un combat plus nécessaire que jamais - partie intégrante de la lutte pour l’affranchissement de l’humanité.

Notes :

1. Le dernier grand soir (Le Seuil 1980).

2. Nos illusions perdues (Balland 1985).

3. Manouchian (Editeurs français réunis 1974).

4. Les Parias de La Résistance (Calmann-Lévy 1970).

5. Joseph Epstein - Colonel Gilles (La Digitale 1984).

6. Aux Editions Mazarine (1985).

7. Rajstus op. cit. p. 40 — Sur le groupe trotskyste juif qui éditait le journal Klorkheit et sur les circonstances de son auto-dissolution en 1933, voir Léon Trotsky Œuvres tome 2 (Juillet - Octobre 1933) p. 170.

8. Notamment dans la brigade juive dite Dombrowski de la Compagnie Botwin.

9. Gronowski op. cit. p. 89.

10.Notons qu’en 1985, la question du pacte germano-soviétique est toujours aussi brûlante pour que, lors du débat télévisé du 2 juillet, qui a suivi la projection du film de Mosco, face à Roger Pannequin, tous volent au secours des représentants du PCF jusqu’à Chaban-Delmas qui déclare : « Le pacte germano-soviétique, tout le monde le regrette. Alors, n’en parlons même pas »

11. Rajfus op. cit. p. 177.

12. Témoignage recueilli par Rajsfus op. cit.

13. Arben A. Davitian dit Tarov, arménien, ouvrier mécanicien, ancien officier de 1’Armée rouge, militant de la première heure de l’Opposition de Gauche en U.R.S.S., exclu en 1927, arrêté en 1928, il passe 4 années en prison et 3 en déportation. Il s’évade d’U.R.S.S., par l’Iran l’été 1935 puis gagne la France où il obtient un passeport au nom de Manoukian. Ses témoignages seront, avec ceux de Ciliga, parmi les premiers sur les camps et la répression stalinienne. Ils serviront de base aux campagnes de solidarité avec les militants internationalistes en U.R.S.S. menées par les trotskystes, qui ouvriront notamment un fond Tarov. Il écrit ses « mémoires » et participe à la rédaction du Bulletin, du groupe russe de la lVème Internationale. Voir Œuvres tomes 6.7.8.9.10.1l.l4.15.16.I7 et ci-dessus pp. 74-77.

14. Rayski op. cit

15. Manouchian op. cit.

16. Albert a été exécuté après avoir été interrogé de manière formelle, avec procès-verbal. Que cache ce document ? D’autre part s’en tenir à la seule hypothèse de la dénonciation d’Albert comme cause de la chute de Manouchian se heurte à quelques faits : d’abord qui a dénoncé « Albert » ? Ensuite, arrêté le 26 octobre, il n’a pas pu fournir les renseignements qui ont permis le repérage et la filature de tout le groupe Rayman Manouchian, à partir du début du mois d’octobre. Il y a eu avant, au moins, une autre trahison ou délation.

17. Charles Lederman, sénateur PCF a prétendu lors du débat du 2 juillet que « ceux qui nous ont vendu » vise les hommes de Vichy. Or, lors du procès, comme l’a noté Philippe Robrieux, Manouchian se tourne vers les Allemands leur disant en substance : « Je ne vous en veux pas », puis vers les policiers français, « Vous avez vendu votre âme aux occupants » Il n’a pas dit : vous « nous » avez vendu. A trop vouloir prouver... Par ailleurs, dans sa dernière lettre, à la différence des autres emprisonnés de l’époque - Manouchian ne se réclame pas du parti auquel il a appartenu pendant dix ans.

2) L’ancien « trotskiste » du groupe Manouchian (par Pierre Broué)

Le débat public sur l’affaire Manouchian à partir du film de Mosco a fait sortir de l’oubli l’un de ses membres qui a été présenté comme un ancien trotskiste ou prétendu tel. L’institut Léon Trotsky, dont les chercheurs ont eu le privilège de travailler dans les dossiers de la correspondance Trotsky Harvard et de son fils Léon Sedov à Stanford, juge utile de verser dans le domaine public les éléments d’information qu’il possède grâce à ces archives qui comprennent notamment un certain nombre de lettres de l’intéressé.

Arben Abramowicz Dav’tian (souvent translittéré de façon erronée en Tavitian) était né en Transcaucasie, à Choucha (Zannesur) le 7 novembre 1895 ou 1898. Son père était ouvrier maçon, sa mère travaillait à la maison. Lui-même dut gagner sa vie à partir de 14 ans, comme serrurier, imprimeur et finalement mécanicien. Il entra dans le parti bolchevique en 1917 et s’engagea dans l’armée rouge en 1918. Il fit toute la guerre sur le front caucasien, d’abord comme simple soldat puis, après un stage dans une école, comme officier, devenant responsable d’un département politique dans son unité.

En 1921, il devint apparatchik, instructeur et organisateur attaché au comité central du parti du Caucase. En 1923, il est envoyé à l’université communiste de Transcaucasie où il atteint le troisième cours en 1925 mais est peu après renvoyé à cause de son activité en liaison avec l’opposition de gauche. Il retourne au travail dans l’appareil, responsable de l’Agit-prop pour un district, puis secrétaire de district, dans l’appareil central enfin. En 1927 il est l’un des porte-parole locaux de l’opposition de gauche : il est donc écarté du travail dans le parti est affecté au travail dans les syndicats, devenant président du comité ouvrier local des travailleurs des chemins de fer.

À la fin de 1927, il est exclu du parti en même temps que le gros des oppositionnels connus et il perd son travail. Il est arrêté pour son activité de « bolchevik léniniste » le 24 septembre 1928 en même temps que nombre d’autres militants arméniens et reste aux mains du GPU jusqu’à la fin de l’année d’Erivan, il est transféré à Tiflis, puis à Akmolinsk où il rencontre des militants de l’opposition de gauche de différentes régions. Le 22 janvier 1931 il est arrêté avec l’ensemble de la colonie d’Akmolinsk et, transféré à la prison de Petropavlovsk, à un régime sévère, est condamné avec d’autres à trois ans de prison.

Au bout de sept mois, à la suite d’une épidémie typhus, il est transféré à l’isolateur de Verkhnéouralsk où il participe à la vie politique intense de la colonie des « bolcheviks léninistes » puis à la fameuse grève de la faim. Son nom figure aux archives dans la liste des détenus de Verkhnéouralsk rattaché au « collectif des bolcheviks léninistes », envoyé clandestinement à Trotsky, avec le numéro 41 sur une liste de 57 noms. Il fait parfois allusion dans sa correspondance à une capitulation qu’il considère comme une erreur, mais il ne nous a pas été possible de savoir quelle forme elle a revêtu et à quelle date elle se situe.

En 1934, probablement en janvier, il est envoyé en exil – on dit alors déportation – à Andijan. C’est de là qu’il décide de s’enfuir et de quitter le territoire de l’URSS. Il franchit la frontière tout prêt de Megrinsk le 19 ou le 20 juillet 1934 et est aussitôt emprisonné par les autorités locales persanes.

Tel est le récit qu’il fait à Trotsky et Sedov de sa vie de citoyen arménien soviétique. Ses correspondants, méfiants, peuvent recouper de bien des façons ses déclarations car ils connaissent nombre des prisonniers cités par Dav’tian, les dates de leur arrestation et de détention, les lieux de leur emprisonnement en déportation : ils ne trouvent aucune contradiction majeure dans ses « biographies » qu’il se trouve avoir rédigé à divers moments. En fait, ce qui inquiète le plus Trotsky et Sedov quand Dav’tian prend contact avec eux, c’est qu’il ait attendu pour cela plus d’une année après être sorti d’Union soviétique.

Il a pendant ce temps écrit ses mémoires qu’il a intitulé « Dans les prisons de Thermidor », fréquenté la colonie arménienne de Perse, qui l’a aidé matériellement et cherché à gagner l’Europe occidentale. Il explique pour justifier son silence qu’il ignorait jusqu’au sort réel de Trotsky et de Sedov.

Dès que le contact est pris, Trotsky et Sedov, tout en faisant les vérifications élémentaires, insistent pour obtenir de Tarov – c’est désormais son pseudonyme – des prises de position sans ambiguïté, notamment sur les conditions de la répression, ce qu’il fait notamment dans un « appel au prolétariat mondial » que publie la presse trotskiste internationale. Sur les instances de Trotsky, le secrétariat international ouvre une souscription pour payer son voyage à Paris – lequel ne sera possible presque deux ans plus tard, puisqu’il n’arriva à Marseille que le 24 mai 1937.

Il prend évidemment contact avec Léon Sedov avec qui il avait jusque-là régulièrement correspondu. Ce dernier a obtenu de Magdeleine Paz qu’elle intervienne auprès des autorités françaises pour légaliser sa situation tout en le protégeant : c’est par elle qu’il obtient un passeport parfaitement légal, établi au nom de Manoukian, qui sera son nom jusqu’à son exécution. Il donne, quelques jours après, sa déposition sur la répression en URSS à la sous-commission parisienne de la commission d’enquête sur les procès de Moscou devant laquelle il comparait le 12 juin, apportant des éléments qui impressionnent les commissaires. Il trouve du travail, comme ouvrier et prend part à l’activité de ce qu’on appelle le « groupe russe », autour de Léon Sedov et de son ami et collaborateur Marc Zborowski dont on ignore alors qu’il était l’agent implanté par Staline auprès du fils de Trotsky. Il a très vite avec ses camarades émigrés des rapports détestables. Il se plaint particulièrement que les membres du groupe refusent de l’aider pour corriger et éventuellement publier ses mémoires, puis s’indigne qu’il veuille corriger au nom de leurs connaissances en histoire. La question vient même au secrétariat international qui tente en vain d’imposer un compromis. Quelques mois après son arrivée à Paris, Tarov s’éloigne du « groupe russe ».

Il l’écrira à Trotsky de 9 juillet 1938, quelques mois après la mort de Sedov : il ne peut supporter l’atmosphère de querelles internes permanentes – et sans doute de suspicion mutuelle du « groupe russe » – et précise ce qui semble bien être une attaque contre Zborowski : « Ce n’était pas de leur faute, il y avait un élément étranger à notre mouvement qui, Dieu sait dans quel but, s’est introduit dans notre milieu et a tout pris sous son influence. J’avais prévenu Ljova. Il s’est offensé et m’a même fait des remontrances. J’ai dû me mettre à l’écart déjà du vivant de Ljova. La vie a prouvé que j’avais raison, aujourd’hui je continue à me tenir à l’écart du bulletin, je ne peux pas faire autrement. Avec Ljova, on pouvait avoir des discussions, des disputes, puis on se réconciliait et ont continuait la route ».

Le militant soviétique n’a pas pour autant rompu avec la IVème internationale. Bien qu’il considère que cette dernière « est aux mains de gens qui ont la passion des intrigues de palais », il espère prendre part au congrès qui se prépare et l’écrit à Trotsky. En fait, ce n’est pas lui évidemment qui participe avec voix délibérative au congrès de fondation de la IVème internationale, mais Zborowski, en dépit du soupçon qui pèse déjà sur lui (formulés en particulier par Pierre Naville). Il réussit cependant à publier en français une « contribution à la critique du programme d’action de la quatrième internationale », intitulé le problème est : visé juste. Il n’a plus, rapidement, de contacts avec les camarades qui l’ont accueilli et aidé matériellement mais s’est éloigné du noyau des militants proprement dits et se rattache plutôt au milieu de l’immigration arménienne de Paris où il est très probable qu’il a rencontré Manouchian, qui en était l’un des éléments les plus dynamiques.

Rien, rigoureusement rien du côté trotskiste, n’indique la décision de « Tarov » de rejoindre les militants de la MOI et leur lutte armée se soit accompagnée d’une révision de ses positions politiques et notamment de son hostilité au stalinisme. Il a rompu avec ses camarades français pour ne pas leur faire courir de dangers car il savait qu’il s’engageait dans une activité qui le conduirait rapidement à la mort. L’hypothèse qui est suggérée par les souvenirs de ces derniers est corroborée par ce qui précède, c’est qu’il a réagi en patriote soviétique qu’il était et que c’était l’Union soviétique et la révolution d’octobre qu’il voulait défendre les armes à la main au risque au prix de sa vie contre les hitlériens abhorrés.

Quelques conclusions provisoires ?

1- il n’y a aucune raison sérieuse de penser que Tarov ait pu être mêlé à l’assassinat de Sedov dont on sait qu’il a été couvert du côté du GPU par un agent infiniment mieux placé qu’il ne l’était, Zborowski évidemment.

2-Le contenu de ses griefs contre le « groupe russe », la façon dont il a pris ses distances à son égard, ne ressemble nullement à un comportement d’agent mais à celui d’un homme au caractère difficile et aux réactions parfois surprenantes que Sedov trouvait particulièrement « pénible », une impression que les agents s’efforcent généralement de ne pas donner.

3-Les questions qui sont posées nous semblent l’être en réalité pour la période dont nous manquons de documents. Qui a recruté « l’ex-trotskiste » Tarov pour le groupe FTP-MOI. L’interrogation dans quelles conditions ? Que savait-on exactement de son passé à ce moment-là ? Quel prix a-t-on exigé, si on a exigé de lui quelque chose ? Formulons avec prudence une hypothèse supplémentaire. Si Manouchian avait sciemment recruté un ex-trotskiste en le dissimulant, c’est-à-dire en s’en faisant le complice, il se serait mis hors la loi de l’appareil ?

Mais encore une fois, pour répondre à ces questions-là, il faudrait, comme le fait remarquer Robrieux à chacune de ses interventions, que ceux qui disposent des éléments ouvrent leurs archives.

PS : cet article était déjà rédigé et composé quand Philippe Robrieux nous a fait parvenir copie de son article dans Historama, « qui a fait tomber Manouchian ? ». Nous lui donnons volontiers acte qu’il faudra expliquer les propos de Lisner et les rapports de police au sujet de l’arrestation de Tarov. Néanmoins, ces deux sources sont aussi peu incontestables que l’autre et il faudra une longue enquête pour se prononcer sur l’hypothèse qu’il formule. En revanche nous ne croyons pas qu’il soit juste d’écrire que « Sedov n’a pas survécu longtemps à sa rupture avec Manoukian » : c’était Zborowski qui était sur Sedov et il n’y a aucune raison de suggérer un autre « coupable » ou « complice » dans l’état de nos connaissances sur la mort de Sedov.

3) Introduction (Robert Duguet)

En ce jour anniversaire de la fin du groupe Manouchian fusillé par les nazis, voici une présentation de deux articles tirés des Cahiers Léon Trotsky à propos du groupe Manouchian : le 21 février 1944 les 23 du groupe étaient fusillés au Mont Valérien. Selon le témoignage de mon vieux père résistant et déporté, ce fut un hiver enneigé, glacial dans une situation odieuse, qu’il devait passer à Mathausen. Comme s’il était impossible d’apercevoir le bout du tunnel.

Un article de René Revol dans les Cahiers Léon Trotsky, daté de septembre 1985, intitulé : « Derrière l’affaire Manouchian : le dévoiement d’une génération », mérite d’être remis à l’honneur. Il faut y ajouter une mise au point de Pierre Broué, accompagnant l’article de René Revol, concernant le trotskyste Dav’tian sur la base des éléments découverts dans les archives de Harvard. Question qui n’est pas seulement un point d’histoire mais qui est une critique de la position des trotskystes, après l’assassinat de Trotsky, sur la résistance armée…

Les quelques notes rédigées par Pierre Broué, à la suite de l’article de René Revol, sont très intéressantes, tout en révélant que l’auteur marche lui-même sur des œufs, puisque lorsqu’il rédige ces notes il est encore membre du courant lambertiste. Le numéro de la Vérité, organe de l’OCI, non daté, mais reproduisant une intervention de Pierre Lambert du 24 janvier 1969, est consacré à l’intervention des trotskystes en France pendant la seconde guerre mondiale. Pour le courant lambertiste il donne la conception d’ensemble de cette branche du trotskysme. 130 pages pour le commun des mortels illisibles, consacrées pour l’essentiel aux oppositions, aux chamailleries durant la guerre entre les différents courants éclatés pour aboutir à la réunification rapide du PCI (Parti Communiste Internationaliste) après la Libération, écarte d’emblée les rapports du mouvement trotskyste avec la résistance : le développement à partir de 1943 de la résistance au STO et le mouvement des maquis est caractérisé en deux lignes comme une guerre de partisans ou mouvement d’origine petite bourgeoise. ( !!! ) Quant à envisager l’entrée de militants révolutionnaires dans les FTP-MOI, elle n’est même pas évoquée. On peut se demander même si elle n’est pas posée comme contradictoire avec l’appartenance à la IVème Internationale.

C’est une tâche lourde sur l’histoire du trotskysme : la relecture des derniers textes de Trotsky sur la guerre et le mouvement ouvrier étaient pourtant clairs : il était évident que pour l’ancien chef de l’Armée rouge, la militarisation de la société à l’approche de l’agression hitlérienne rendait nécessaire celle du prolétariat sous la responsabilité d’officiers issus du mouvement syndical et politique. Le prolétariat devait se préparer à mener sous son propre drapeau la lutte armée contre le nazisme…

Lorsque Manouchian et ses 23 camarades du groupe rejoignent les FTP-MOI, ils le font en internationalistes, ayant la volonté de se battre les armes à la main contre la bête immonde. Leur seule patrie possible dans l’espace et le temps c’est la France des Lumières, - relisons sur ce point les poèmes de Manouchian - donc le mouvement ouvrier. Si l’acte est incontestablement internationaliste de ce côté, on sait quel rôle abominable a été joué par les dirigeants staliniens français en réponse. Lorsque les 23 sont exécutés, le PCF se prépare à co-diriger le pays avec Charles De Gaulle. La FTP-MOI devient encombrante. Pierre Juquin reconnaitra, il est vrai tardivement, en 2012 :

Au total plusieurs milliers d’immigrés et d’étrangers ont, dans la Résistance, défendu et honoré la France, mais ils ont longtemps été méconnus ou occultés dans les années qui ont suivi la Libération, tant par la mémoire gaulliste, que, dans une certaine mesure, par la mémoire communiste officielle… Et il ajoute : Dans sa poésie de la résistance, Aragon a entendu Jeanne filer, Roland sonner le cor. Il a senti le souffle de l’an II, et même retrouver la légende d’un aviateur de 1914-1918… Mais la triste vérité le poursuit : il n’a pas chanté Manouchian, à l’égal de Péri ou Politzer ! Pourquoi ce criant oubli ? Du communisme national il ne démordra jamais. Mais qu’est-ce que la nation ? En a-t-il donné une vision assez large, assez juste, sans chauvinisme ? Aragon souffre, il s’interroge. Il aurait dû. Il invente cette expression superbe : Français de préférence. » (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2, page 509)

Grzywacz, Elek, Wasjbrot, Witchitz, Fingerweig, Boczov, Fontanot, Alfonso, Rajman, Manouchian sont des noms qui ne sont pas compatibles avec la résistance stalino-gaulliste…

« parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles » écrira Aragon dans le poème l’Affiche rouge.

Et dans Richard II quarante :

Il est un temps pour la souffrance

Quand Jeanne vint à Vaucouleurs

Ah coupez en morceaux la France

Le jour avait cette pâleur

Je reste roi de mes douleurs

Aragon qui a chanté Jeanne d’Arc, sous les traits de Charles De Gaulle, oubliera les martyrs du groupe Manouchian jusqu’à la mort de Staline. Ce n’est qu’en 1953 que Jacques Duclos, au nom de la direction du PCF, diligente une enquête sur le groupe Manouchian, et O Horreur ! le vieux guépéoutiste découvre que celui qui avait été son bras droit, en qui Missak avait toute confiance, n’était autre que le trotskyste Dav’tian, fusillé sous le nom de Manoukian.

Les éléments donnés par Pierre Broué après l’ouverture des archives de Harvard sont parfaitement clairs. La recherche historique a mis en lumière qu’il ne pouvait y avoir aucune relation avec ceux qui préparaient l’assassinat du fils de Léon Trotsky, Léon Sedov. Aujourd’hui on peut retirer les guillemets que l’historien avait placé devant la qualification de trotskyste concernant la position politique de Dav’tian.

Honneur au militant internationaliste, trotskyste qui avait fait le choix ultime de la lutte armée contre le nazisme et qui était devenu l’ami et le camarade de Missak Manouchian.

« …je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand (...) Bonheur ! à tous ! » (Lettre à sa femme Mélinée)


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