Rapport Sauvé : défendre les victimes des abus sexuels ou l’Eglise ?

dimanche 17 octobre 2021.
 

Jean-Marc Sauvé est né en 1948 au sein d’un milieu de paysannerie modeste, de parents catholiques fervents. Tout en étant promu en 1971 dans l’Ecole Nationale d’Administration, il entre pour un noviciat de deux ans dans l’ordre des jésuites, dont il écrira que cette expérience lui a tout apporté. En fait sa rupture avec les jésuites le place sur une autre stratégie de l’église catholique. Il poursuit alors son cursus de haut fonctionnaire et exerce entre autres comme secrétaire général du gouvernement de 1995 à 2006 et vice-président du Conseil d’Etat de 2006 à 2018. Il est donc au cœur de l’appareil bonapartiste de la Vème République. De Gaulle avait déjà en son temps fait monter dans les structures de l’Etat des éléments cléricaux, c’est-à-dire défendant les intérêts de l’église, sous couvert de leur compétence de haut fonctionnaire ou d’élus. L’Opus Dei, cette institution séculière, créée par un prêtre franquiste, Josemaría Escrivá de Balaguer, canonisé par Jean Paul II en 2002, positionne ses membres dans les hautes instances institutionnelles, politiques, économiques. Ainsi pour ne citer que l’ex-président de la République Giscard d’Estaing, plusieurs membres de sa famille étaient membres de cet ordre séculier. Ce n’est pas en tant que fonctionnaire « républicain » qu’il a dirigé les travaux de la commission enquêtant sur les abus sexuels au sein de l’église catholique depuis 1950, mais à partir de sa qualité de personnalité cléricale et dûment mandaté par la hiérarchie catholique. Ce premier point mérite d’être souligné.

Dans sa présentation publiée par La Croix il définit l’objectif de la commission :

« 1/faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein depuis 1950 ; 2/examiner comment ces affaires ont été ou non traitées ; 3/ évaluer les mesures prises par l’Église pour faire face à ce fléau ; 4/ faire toute recommandation utile… »

L’enquête souligne que le nombre de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs par des clercs, religieux ou religieuses s’élèvent à 216000. La hiérarchie s’est protégée en tant qu’institution et, écrit le rapporteur, « a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions… » est-ce nouveau ? Certes non ! Auparavant, la place de l’église dans les relations sociales, l’influence de la doctrine catholique en France, les œuvres sociales, politiques, syndicales et culturelles qui maillaient la société française, faisait qu’elle était en capacité d’étouffer la souffrance des victimes et de leurs familles. L’effondrement des effectifs du clergé, soutenu à flot malgré tout par la politique bonapartiste des gouvernements de la Vème République, notamment par l’aide considérable apporté à l’enseignement confessionnel, ou à l’aide à la construction d’édifices religieux sur fonds publics, traduit une incapacité de l’église à répondre à la mission que lui demande l’Etat. Auparavant, les prêtres se rendant coupables de violences sexuelles sur mineurs, la hiérarchie les changeait soit d’affectation de paroisse, soit d’école confessionnelle. Après avoir fait pénitence et demandé l’absolution de l’évêque, ils pouvaient recommencer, puisqu’ils n’étaient pas punis par un acte de justice civile.

Ne sous-estimons pas cette affaire : la hiérarchie catholique est une institution qui a toujours eu une pensée politique à la hauteur du développement de l’histoire des sociétés humaines depuis le concile de Nicée en 325, qu’elles soient esclavagistes, féodales ou capitalistes. Sur les violences sexuelles sur mineurs, elle est obligée aujourd’hui de publier son « rapport Khrouchtchev ». Le problème n’est pas le pardon et l’obtention de dédommagement des victimes, mais la condamnation des intéressés comme citoyens et de l’église pour complicité devant la justice civile.

Les mesures envisagées dans les conclusions du rapport sont destinées à protéger l’avenir de l’église et à écarter ce qui pour elle serait intolérable : ainsi le célibat des prêtres est déclaré comme ne conduisant pas à ce type d’abus. Rappelons que les prêtres catholiques ont été ou non mariés jusqu’au XIIème siècle et que l’obligation du célibat imposé par le droit canon l’a été pour des raisons de développement de la puissance temporelle de l’église et de transmission des biens. Comment ne pas admettre que le renoncement à une vie sexuelle et affective normale conduise à des comportements de ce type. Au journal catholique « la Vie » du 5 octobre le rapporteur fait une réponse d’ancien novice des jésuites :

« Si le célibat n’est pas la cause des abus (il faut le dire clairement), le regard porté sur lui a pu constituer un facteur aggravant : il y a une héroïsation du célibat qui contribue à mettre le prêtre sur un piédestal et à favoriser des rapports de dépendance. La sacralisation excessive de la figure du prêtre ne date pas d’hier. Voyez ce Nouveau manuel de civilité chrétienne qui date de 1913, qui appartenait à mon beau-père : « Respect envers les ecclésiastiques. Les prêtres dans l’exercice de leur saint ministère tiennent auprès de nous la place de Dieu. Ils doivent être à ce titre l’objet d’une vénération toute particulière. » Je ne soutiens pas le contraire. Mais ce type de discours a facilité les entreprises de prédateurs qui se sont abrités derrière lui. »

Les mesures préconisées dans la conclusion du rapport sont une redéfinition des rapports entre l’église et l’Etat, entre le droit canon modifié par la société ecclésiale et le droit civil, donc entre les règles que s’est donné l’église au long de son histoire et l’Etat, son appareil judiciaire, en quelque sorte un nouveau Concordat si on aborde la question du financement des indemnisations. Le rapporteur déclare au même journal :

« Il est par ailleurs souhaitable que l’État crée un fonds d’indemnisation des victimes de violences sexuelles dans le prolongement des travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), lancée par le président de la République début 2021. »

Vous avez bien compris : ce n’est pas l’église qui va payer l’indemnisation des victimes mais l’Etat, c’est-à-dire nous, nouvelle mesure réactionnaire qui nous a échappé prise par le gouvernement de Macron, eh bien oui dans la continuité des lois antilaïques.

Ce rapport Sauvé, par les faits qu’il met en lumière, soulève l’indignation de la population, y compris et surtout les citoyens de confession catholique. Il remet encore à l’ordre du jour la nécessité d’abolir les liens créés par les institutions bonapartistes entre l’Etat et l’église et de rétablir dans sa plénitude la laïcité, la séparation réelle de 1905. Mr Sauvé, malgré ses élans de jésuite contrit, est le prototype de ce nouveau Concordat, cette synthèse entre le haut fonctionnaire sous les lambris de la République et le clérical protégeant les intérêts de l’église. Ce qu’il est !


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