Révolution française : la république sociale en chantier

samedi 20 novembre 2021.
 

- A) République et République sociale de 1789 à 1796
- B) La question sociale dans des textes de la Révolution française (textes Meslier, Rousseau, Marat, Robespierre, Manifeste des Enragés, Commune affranchie, Saint Just, Manifeste des Egaux)

A) République et République sociale de 1789 à 1796

Lors de leur élection aux Etats généraux puis de lors de l’ouverture de ceux-ci (mai 1789), même les députés les plus avancés ne proposent qu’une royauté à l’anglaise.

De 1789 à 1792, la puissance du mouvement social conduit la Révolution française de l’affirmation d’un pouvoir législatif national à une limitation progressive des pouvoirs royaux puis à la République.

A ce moment-là (21 et 22 septembre 1792), la dynamique des revendications portées par les milieux populaires dépasse déjà largement cette seule forme institutionnelle (déjà très avancée pour l’époque). En effet, le sort de la masse des petits paysans ne s’est pas vraiment amélioré depuis 1789 ; le sort des salariés a régressé avec la loi Le Chapelier.

En voulant arrêter la Révolution française, les Girondins ne comprennent pas que le processus ayant permis l’instauration de la République porte en lui des germes puissants pour passer de la seule égalité en droits à une égalité plus ancrée dans la réalité.

Antoine Barnave, représentant de la bourgeoisie libérale en a bien plus conscience "Un pas de plus, dit-il, et vous détruirez la monarchie et la propriété privée".

En prenant les mesures nécessaires pour combattre l’invasion étrangère et pour répondre aux aspirations populaires, les Montagnards de 1793 et 1794 mettent en place les premiers fondements d’une république sociale (abolition de l’esclavage, vente des biens d’émigrés, rôle politique des assemblées primaires, embryon de Sécurité sociale et de services publics, réseau scolaire...).

Une fois Robespierre abattu et ses amis guillotinés, la bourgeoisie reprend les rênes de l’Etat. La Bourse de Paris ouvre à nouveau ses portes. La constitution chasse à nouveau le peuple loin des institutions politiques.

Il est heureux qu’un nombre important de rescapés des luttes révolutionnaires ait su se regrouper et fonder théoriquement leur expérience dans le cadre du manifeste des Egaux et de la fameuse Conjuration des Egaux. Ils posent la première pierre du processus historique pour la construction de Républiques sociales et d’une république sociale universelle.

B) La question sociale dans des textes de la Révolution française

1) Jean Meslier

Testament de l’abbé Meslier (mort le 17 juin 1729), premier philosophe français des Lumières

"Les pauvres sont soumis au régime de l’espérance, rien sur terre, tout au ciel, les derniers seront les premiers et autres mensonges inventés pour les tenir en rang, leur faire payer moult impôts sans protestation, ni révolte."

"Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d’ignorance. Rejetez entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions"

- "Unissez-vous donc, ô peuples ! unissez-vous tous, si vous avez du coeur, pour vous délivrer de vos misères communes".

- "Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps"

2) Jean-Jacques ROUSSEAU

Extraits du Chapitre XI du livre II du Contrat social 1762

« A l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. [...]

Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ?

C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »

3) Jean-Paul MARAT

Extraits du Plan de législation criminelle 1780

* " Le seul fondement légitime de la société est le bonheur de ceux qui la composent"

* "Rien de superflu ne saurait nous appartenir légitimement, tandis que d ’autres manquent du nécessaire. Voilà le fondement légitime de toute propriété, et dans l’état de société et dans l’état de nature"

* " Lorsqu’on n’a pris aucune mesure pour prévenir l’augmentation des fortunes particulières, par le libre cours laissé à l’ambition, à l’industrie, aux talents, une partie des sujets s’enrichit toujours aux dépens de l’autre, et par l’impuissance de disposer de ses biens en faveur des étrangers qu’au défaut d’héritiers naturels, les richesses doivent bientôt s’accumuler dans un petit nombre de familles.

* " Il se trouve donc enfin dans l’Etat une foule de sujets indigents, qui laisseront leur postérité dans la misère. Sur une terre partout couverte des possessions d’autrui et dont ils ne peuvent rien s’approprier, les voilà donc réduits à périr de faim. Or, ne tenant à la société que par ses désavantages, sont-ils obligés d’en respecter les lois ? Non, sans doute ; si la société les abandonne, ils rentrent dans l’état de nature ; et lorsqu’ils revendiquent par la force des droits qu’ils n’ont pu aliéner que pour s’assurer de plus grands avantages, toute autorité qui s’y oppose est tyrannique, et le juge qui les condamme à mort n’est qu’un lâche assassin.

« Le droit de posséder découle de celui de vivre »

23 août 1789

« Sans une certaine proportion entre les fortunes, les avantages que celui qui n’a aucune propriété retire du pacte social, se réduisent à presque rien. La liberté qui nous console de tant de maux n’est rien pour lui. »

4) Robespierre

ROBESPIERRE Discours à la Convention sur la nouvelle Déclaration des droits de l’homme (24 avril 1793)

Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c’est que la propriété ; il vous dira, en vous montrant cette longue bière qu’il appelle un navire, où il a encaissé & ferré des hommes qui paraissent vivants : " Voilà mes propriétés ; je les ai achetés tant par tête. " Interrogez ce gentilhomme qui a des terres & des vassaux, ou qui croit l’univers bouleversé depuis qu’il n’en a plus, il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables. Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne ; ils vous diront que la plus sacrée de toutes les propriétés est sans contredit le droit héréditaire dont ils ont joui de toute antiquité, d’opprimer, d’avilir & de pressurer légalement & monarchiquement les vingt-cinq millions d’hommes qui habitaient le territoire de la France, sous leur bon plaisir.

Extraits des articles proposés par Robespierre pour la déclaration des droits de l’homme et du citoyen

ART. 6. La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi.

ART. 7. Le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui.

ART. 10. La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.

ART. 11. Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire, sont une dette de celui qui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.

5) Manifeste des Enragés

Manifeste des Enragés présenté devant la Convention le 25 iuin 1793 (Jacques Roux)

Avez-vous prononcé la peine de mort contre les accapareurs ? Non.

Avez-vous déterminé en quoi consiste Ia liberté du commerce ? Non.

Avez-vous défendu la vente de I’argent monnoyé ? Non.

Eh bien ! Nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du peuple.

La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer I’autre impunément.

L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable.

La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes.

Les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution.

L’aristocratie marchande, plus terrible que I’aristocratie nobilière et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes indiiiduelles et les trésors de la république ; encore ignorons-nous quel sera le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, du matin au soir.

6) Section de la Commune affranchie (Lyon)

Extraits de l’Instruction de la Commission de surveillance républicaine 16 novembre 1793

C’eut été une dérision insultante à l’humanité que de réclamer sans cesse le nom de l’égalité, quand des intervalles immenses de bonheur eussent toujours séparé l’homme de l’homme, et que l’on eût vu étouffée sous les distinctions de l’opulence et de la pauvreté, de la félicité et la misère, la déclaration des droits qui ne reconnaissait d’autres distinctions que celles des talents et des vertus. [...]

Prenez tout ce qu’un citoyen a d’inutile ; car le superflu est une violation évidente et gratuite des droits du peuple. Tout homme qui a au-delà de ses besoins ne peut pas user, il ne peut qu’abuser : ainsi en lui laissant ce qui lui est strictement nécessaire, tout le reste appartient à la République et à ses citoyens infortunés.

7) Conseil général de Paris

Décision sur Le pain de l’égalité 3 frimaire an II

« La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l’égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. »

8) Saint Just

Extraits des Rapports sur les décrets de ventôse 26 février et 3 mars 1794

Abolissez la mendicité qui déshonore un Etat libre ; les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux.

Les malheureux sont les puissants de la terre ; ils ont le droit de parler en maître aux gouvernants qui les négligent. [...]

Ne souffrez point qu’il y ait un malheureux ni un pauvre dans l’Etat : ce n’est qu’à ce prix que vous aurez fait une révolution ou une république véritable. [...]

Le bonheur est une idée neuve en Europe.

9) Manifeste des Egaux (Babeuf, Maréchal, Buonarotti...)

Manifeste des Egaux (début janvier 1796)

PEUPLE DE FRANCE !

Pendant quinze siècle tu as vécu esclave, et par conséquent malheureux. Depuis six années tu respires à peine, dans l’attente de l’indépendance, du bonheur et de l’égalité.

L’Egalité ! premier vœu de la nature, premier besoin de l’homme, et principal nœud de toute association légitime ! Peuple de France ! ... Toujours et partout, on berça les hommes de belles paroles : jamais et nulle part ils n’ont obtenu la chose avec le mot. De temps immémorial on nous répète avec hypocrisie, les hommes sont égaux, et de temps immémorial la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu’il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l’homme est sans contradiction reconnu, mais n’a pu encore se réaliser une seule fois : l’égalité ne fut autre chose qu’une belle et stérile fiction de la loi.

nous prétendons désormais vivre et mourir égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l’égalité réelle ou la mort ; voilà ce qu’il nous faut.

Et nous l’aurons cette égalité réelle, à n’importe quel prix. Malheur à qui ferait résistance à un vœu aussi prononcé !

La révolution française n’est que l’avant-courrière d’une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière.

Le peuple a marché sur le corps aux rois et aux prêtres coalisés contre lui : il en fera de même aux nouveaux tyrans, aux nouveaux tartuffes politiques assis à la place des anciens.

Ce qu’il nous faut de plus que l’égalité des droits ?

Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s’il le faut, tous les arts pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle !

Législateurs et gouvernants qui n’avez pas plus de génie que de bonne foi, propriétaires riches et sans entrailles, en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise en disant : Ils ne font que reproduire cette loi agraire demandée plus d’une fois déjà avant eux.

Calomniateurs, taisez-vous à votre tour, et, dans le silence de la confusion, écoutez nos prétentions dictées par la nature et basées sur la justice.

La loi agraire ou le partage des campagnes fut le vœu instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à quelque chose de plus sublime et de plus équitable, le bien commun ou la communauté des biens ! Plus de propriété individuelle des terres, la terre n’est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde.

Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir de l’extrême minorité.

Assez et trop longtemps moins d’un million d’individus dispose de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leur égaux.

Qu’il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvre, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés...

PEUPLE DE FRANCE !

A quel signe dois-tu donc reconnaître désormais l’excellence d’une constitution ? ...Celle qui tout entière repose sur l’égalité de fait est la seule qui puisse te convenir et satisfaire à tous tes voeux.

Les chartes aristocratiques de 1791 et de 1795 rivaient tes fers au lieu de les briser. Celle de 1793 était un grand pas de fait vers l’égalité réelle ; on n’en avait pas encore approché de si près ; mais elle ne touchaient pas encore le but et n’abordait point le bonheur commun, dont pourtant elle consacrait solennellement le grand principe.

PEUPLE DE FRANCE !

Ouvre les yeux et le coeur à la plénitude de la félicité : reconnais et proclame avec nous le République des Egaux.

Jacques Serieys le 17 juin 2007


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