Rousseau et le destin libéral de la Révolution

dimanche 18 septembre 2011.
 

Pour l’auteur, l’École physiocratique n’a pas de pensée politique réellement consistante. Cette pensée n’a que peu influencé la Révolution, contrairement au rousseauisme. Rousseau et le discours de la Révolution, au piège des mots, les Physiocrates, Sieyès, de Reinhard Bach.Éditions Inclinaison, 2011, 175 pages, 15 euros. les Idéologues,

Avec ce recueil d’articles, Reinhard Bach (1) revient sur la Révolution française et sur un texte dont chacun connaît les premiers mots par cœur, la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Et pourtant, ses thèses en surprendront sans doute plus d’un. L’auteur entend essentiellement « corriger tout un paradigme de l’histoire des idées politiques » qui veut que l’École physiocratique, pionnière de l’économie politique en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, n’ait pas de pensée politique réellement consistante, et que ses préconisations n’aient influé qu’à la marge sur le cours de la Révolution, idéologiquement dominée par le rousseauisme.

En s’appuyant sur l’analyse des procédés discursifs et sémantiques à l’œuvre chez les principaux représentants du courant physiocratique, puis de leurs épigones, l’auteur montre de manière convaincante que si tout ce courant a repris le vocabulaire du Contrat social, les termes de volonté générale, de citoyen, de bien commun, ou de vertu, ce ne fut que pour mieux en pervertir le sens, ou, plus précisément, pour les mettre au service d’un libéralisme politique et économique. L’auteur pense sans doute trop dans les termes des auteurs qu’il analyse quand il fait du sacrifice de soi le fondement de la vertu civique rousseauiste, mais il est plus pertinent dans son explication de la manière dont les physiocrates, faisant de l’intérêt bien compris le moteur de l’activité humaine, de la propriété un droit naturel, et de l’échange de valeurs le secret du pacte social, posent les fondements philosophiques d’un ordre bourgeois qui triomphe à l’issue de la décennie révolutionnaire. Derrière la référence unanime à Rousseau, il y a donc dès l’origine non pas un, mais deux républicanismes concurrents, l’un individualiste et libéral, l’autre égalitaire.Ce faisant, Reinhard Bach produit une intelligibilité nouvelle des contradictions du processus révolutionnaire lui-même, que l’on retrouve jusque dans les déclarations des Droits de l’homme successives. Il permet de comprendre comment, sans changer de langage politique, les héritiers idéologiques des physiocrates ont pu d’abord justifier de réserver le droit de vote aux citoyens aisés, « vrais actionnaires de la grande entreprise sociale » (Sieyès), puis, finalement, comment le gouvernement représentatif issu du coup d’État de Bonaparte en 1799 a pu paraître aux idéologues « la démocratie purgée de tous ses inconvénients » (Cabanis). L’évolution politique est alors achevée, et les ambiguïtés levées. Cabanis pourra ainsi préciser les raisons de son soutien au bonapartisme  : « tout se fait [alors] pour le peuple et au nom du peuple, rien ne se fait par lui ni sous sa dictée irréfléchie ».

Stéphanie Roza, philosophe.

1) Linguiste, professeur de philologie à l’université de Grefswald.


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