Il y a 50 ans, Mai-Juin 68 : « Le compte n’y était pas », la fin de la grève à Renault Cléon

mardi 14 août 2018.
 

Deuxième entreprise à entrer en lutte en Mai 68, Renault Cléon fut l’une des dernières à reprendre le travail, le 17 juin. Après 34 jours de grève, c’est dans une ambiance houleuse que la décision fut prise.

Notre camarade René Cottrez, l’un des jeunes travailleurs qui avaient été les initiateurs et le fer de lance de ce mouvement, la décrivait ainsi : « Après l’arrêt de la grève à Billancourt, nous avons été invités à voter sur la reprise. C’est alors que certains ont dit que le compte n’y était pas » [1].

Le protocole d’accord du 15 juin conclu chez Renault allait un peu plus loin que celui de Grenelle, mais les deux points qui, à Cléon, avaient été considérés comme des préalables à toute discussion, le paiement intégral des jours de grève et la parité des salaires avec Billancourt, n’avaient pas été obtenus.

Le 16 juin, tous les salariés sont appelés à une assemblée générale. La direction de la CGT veut à tout prix obtenir un vote pour la reprise. Mais un groupe de jeunes, les plus actifs et les plus déterminés, ne l’entend pas ainsi. Ils ont peint des mots d’ordre sur des panneaux en carton : « Non à la reprise avec des miettes », « Les jeunes sont contre la reprise et soutiennent Peugeot et Citroën ». Ce qui crée quelques incidents avec des délégués. Mais leurs panneaux resteront en place.

L’AG n’est qu’un monologue des responsables syndicaux. Ceux de la CGT pèsent de tout leur poids pour la reprise, ceux de la CFDT ne donnent pas de consigne. Aucun débat n’a lieu. Le vote se déroule à bulletin ouvert, chaque salarié doit choisir son bulletin pour ou contre devant tout le monde, et le glisser directement dans l’urne. En dépit de l’absence de perspectives, le résultat du vote montre une forte opposition à la reprise : 2 950 voix pour, 964 contre.

Malgré l’amertume, c’est dans un climat de combattivité et de fierté que s’effectue la reprise. Jusqu’alors, seule la direction entrait en voiture dans l’usine. Et c’est derrière la 4CV d’un responsable syndical que les salariéEs pénètrent en cortège dans l’entreprise. Devant le restaurant, avant la dispersion, l’Internationale est chantée à trois reprises.

Le 18 juin, l’annonce d’un nouveau débrayage à Flins se répand comme une trainée de poudre. Les délégués syndicaux temporisent, mais à 23 h une centaine de travailleurs partent spontanément en défilé dans les ateliers pour exiger la parité des salaires avec Billancourt et les 40 h. Trop tard, le poste se termine à 23 h 30…

L’ambiance dans les ateliers a profondément changé. « On débrayait pour un oui ou un non, spontanément. Il suffisait qu’un chef veuille un peu trop jouer les cadors... Il est vrai que ça ne bossait pas, l’ambiance était totalement instable, et il n’était plus question de supporter l’autoritarisme. On se lavait les mains avant l’heure, on franchissait les lignes jaunes, on montait les escalier sans autorisation », décrit René Cottrez.

Une partie de ceux qui ont refusé la reprise constituent un « comité d’action », avec le soutien de militants de la JCR. Ce comité se réunira quelques mois, et publiera 3 numéros d’un bulletin, Le Prolétaire, et un livre aux éditions Maspéro, Notre arme c’est la grève. Il réunira jusqu’à une centaine de participants, qui furent le ferment des luttes des années qui suivirent. Certains rejoindront ultérieurement un « comité rouge » en vue de la constitution de la Ligue communiste. Selon René Cottrez, « beaucoup n’adhéreront jamais à la Ligue, mais ils constitueront un noyau militant sur lequel reposeront toutes les initiatives ultérieures, par exemple les occupations, et qui imposera à la CGT le droit d’expression par tracts. »

Jean-Claude Laumonier


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