« Mon dieu en qui je ne crois toujours pas,
Accomplis une fois encore un miracle
Car il en est grand temps.
Ou, mieux encore, plusieurs miracles,
(Car un seul ne suffirait déjà plus),
Et viens en aide à ces infortunés intellectuels français
Pour qu’il devienne enfin à la mode chez eux
De ne plus courir après toutes les modes intellectuelles.
Aide-les à vaincre cette verve stylistique
Qui les métamorphose en un clin d’œil
D’hérétiques, bons et nécessaires,
En misérables renégats.
Aide-les à ne pas s’aveugler
À l’éclat de leurs brillantes formules
Qui cache l’inanité du contenu.
Et fais en sorte qu’ils jouent si bien
les avocats du diable
Qu’il leur pousse des cornes et des sabots
fourchus,
Et une longue queue, mais seulement dans le dos.
Aide-les à admettre qu’aucun argument au monde,
Si habile soit-il, ne peut excuser le snobisme, l’arrogance, et le racisme,
Comme l’antisémitisme et l’anti-arabisme.
Et qu’aucune critique, si légitime soit-elle,
des âneries, des crimes, et des fautes de la gauche,
Ne peut, par une pirouette de l’imagination,
justifier leur ralliement à la réaction.
Car la voie dans laquelle marche
ou s’engage la droite
N’ouvre aucune perspective, ni pour la France,
ni pour le monde.
Aide-les à comprendre,
Même si Marchais leur bouche la vue,
Et aussi horrible que soit le fiasco
en Afghanistan,
Qu’il n’en est pas moins stupide de brailler
Afghanistan ou Goulag
Quand on parle du Nicaragua
Ou de l’Afrique du Sud,
Et de croire avoir accompli ainsi quelque chose.
Aide-les, mon Dieu, avant qu’il ne soit trop tard,
À comprendre que la plus élégante manière de lécher
le cul de Reagan ou de Weinberger
Ne saurait remplacer la recherche naïve
D’une voie susceptible de sauver les humains
Et de sauver le monde [1]. »
Erich Fried, 1988.
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