État social ou État des Régions ?

samedi 23 juin 2018.
 

Madame Delga, vous ne défendrez pas l’égalité des citoyens et des territoires en vous alliant avec nos adversaires Morin, Wauquiez, Pécresse, Muselier et consorts.

Vous venez de signer un manifeste avec quatorze autres présidents de région et de collectivités, majoritairement à droite. L’objectif commun de ce texte est « de tourner la page du jacobinisme » et de « s’appuyer sur les territoires pour transformer la France au lieu de laisser l’État tout décider ».

Nous exprimons ici notre désaccord sur les principes et les objectifs de ce manifeste car beaucoup d’éléments avancés sont, au mieux hasardeux, au pire dangereux.

Au fond, votre texte se plaint que le gouvernement ne va pas assez loin dans sa réforme. Or depuis des années le terme de réforme signifie « contre-réforme » pour briser tout ce qui est progressiste. Vous parlez d’État central comme si nous étions une région autonomiste voire indépendantiste mais jamais les services publics ne sont évoqués.

Contre l’affaiblissement de l’État social

Nous répondrons ici sur deux questions centrales posées par votre manifeste : la conception de l’État et les prérogatives de la région en matière de formation professionnelle et d’apprentissage.

Au moment où le gouvernement Macron-Philippe attaque les services publics et les acquis sociaux obtenus de haute lutte, vous choisissez de cibler une certaine conception de l’État social, stratège et redistributeur.

Le fait de signer avec un arc de signataires majoritairement à droite, vous place sur leur terrain, volontairement ou non.

Leur terrain, à chaque étape de notre histoire, est d’affaiblir cette exception française et républicaine de l’État social, les conquêtes sociales intégrées et codifiées dans des lois, des dispositions réglementaires comme le Code du travail, la Sécurité sociale, les services publics, les entreprises publics, les statuts des personnels, la libre administration des communes et des collectivités, les dotations aux collectivités.

Ces dotations globales de fonctionnement ont considérablement baissé depuis 2012 et l’État s’est très largement défaussé de ces prérogatives sur les collectivités. Double peine.

Évasion fiscale et fraude patronale

En région Occitanie, il manque 300 millions d’euros de dotations et notamment plus d’un milliard d’euros au département de la Haute-Garonne, pour ses nouvelles missions transférées et non compensées.

Parallèlement, notre pays souffre d’une politique d’évasion fiscale et de fraudes patronales de plus de 100 milliards d’euros par an. Ici, les voyous pourtant bien habillés ont détourné 8 milliards d’euros dans notre région.

Alors il serait plus judicieux d’exiger de l’État qu’il assume pleinement ses missions de collecte de l’impôt et sa redistribution auprès des collectivités territoriales au lieu de lui demander de se concentrer sur ces missions dites « régaliennes classiques (police, armée, diplomatie) » ou « régaliennes économiques » (droit du travail, fiscalité,…) d’après les termes employés.

Vision manichéenne et mystification

Cette conception de l’État est celle des libéraux de tous poils et c’est la raison pour laquelle M. Wauquiez et ses amis ont certainement signé ce texte avec la plus grande gourmandise…

Notre conception de l’État, au contraire, s’inscrit dans notre histoire républicaine depuis la Révolution française. Où, à chaque étape, les luttes et conquêtes ont toujours visé à renforcer le caractère social de l’État et son rôle politique de protection de l’intérêt général.

Ainsi, vous jugez utiles aujourd’hui de convoquer les débats et les tendances politiques de la Révolution française en avançant à rebours de l’histoire « un pacte girondin contre l’État jacobin » ?

Comme si les Girondins avaient été les sauveurs de la décentralisation et les Jacobins, les responsables de tous nos maux.

Une telle vision manichéenne a l’avantage de la simplicité, elle a aussi l’inconvénient d’une mystification.

On ne peut retirer, comme vous le faites, l’apport considérable apporté par les Jacobins à la démocratie locale en même temps qu’à l’idée de la souveraineté populaire, d’une communauté légale une et indivisible, assurant de la redistribution sociale et garantissant les mêmes droits sur l’ensemble du territoire. Nous donnons raison à Jean Jaurès sur cette lecture de l’histoire.

Privatisation accrue des CFA

Le deuxième point central de votre texte est celui de la formation professionnelle et de l’apprentissage, à partir des dernières annonces gouvernementales.

Le gouvernement vient d’annoncer la liberté des créations des centres de formation d’apprentis, en lien directe avec les branches patronales et non plus avec les régions.

Là encore l’urgence politique est de réaffirmer l’idée du primat de la puissance publique à éduquer-former-qualifier et… financer.

La revendication qui doit être avancée est celle du service public de l’Éducation nationale, dans toutes ses dimensions d’enseignement général et professionnel. Quant à la privatisation accrue des CFA, c’est bien parce qu’il y a déjà une très grande majorité de CFA à vocation privée !

Jusqu’à ce jour, nous souhaiterions être moins seuls à défendre prioritairement le sauvetage de l’enseignement délivré par les lycées professionnels ainsi que l’ouverture et la promotion de CFA publics en lien avec les rectorats dans une logique de complémentarité et non de concurrence.

Pour le caractère national des diplômes

De plus, les régions n’ont pas vocation à se substituer au service public de l’orientation et au service public de l’emploi comme vous le réclamez. Les régions ne sont pas un bureau de placement pour les besoins des entreprises et du capital régional.

La territorialisation du système éducatif, de l’orientation, de la formation entraîne, par effet de système, un éclatement du caractère national des diplômes et des qualifications. Un jeune formé et qualifié dans une région doit avoir sa qualification reconnue nationalement en tant que personne sur l’ensemble du territoire. Ce ne serait plus le cas parce que la territorialisation rattache sa qualification à un lieu et à un fléchage de besoins privés, contraire au caractère universel d’une qualification nationale. Ceci est contraire au principe et à la réalité de l’égalité des citoyens sur l’ensemble du pays.

Enfin, les co-signataires de ce « pacte girondin » dénoncent un État qui serait peu courageux « à se réformer » de peur de la mobilisation syndicale ! (sic)

Dans le contexte actuel, les agents nationaux et territoriaux, et leurs organisations syndicales, pourront, au moins, compter sur nous pour défendre leurs missions, leurs statuts, leurs salaires et l’organisation de leur temps de travail.

par Liêm Hoang-Ngoc et Myriam Martin et Jean-Christophe Sellin et Guilhem Serieys


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