Séisme en Espagne. Le président du gouvernement, Mariano Rajoy a démissionné, alors qu’il devait affronter une motion de censure ce vendredi. Le chef de file des conservateurs du Parti populaire (PP) devrait donc être remplacé par le secrétaire du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) Pedro Sanchez. « Nous pouvons présumer que la motion de censure sera adoptée. En conséquence, Pedro Sanchez va être le nouveau président du gouvernement », a prévenu vendredi matin Mariano Rajoy, qui était au pouvoir depuis 2011.
« Aujourd’hui, nous écrivons une nouvelle page de l’histoire de la démocratie de notre pays », s’est réjoui Pedro Sanchez, initiateur de la motion de censure. Cette dernière fait suite à la condamnation, la semaine dernière de plusieurs dirigeants du Parti populaire pour financement illégal de parti dans le cadre de l’affaire Gürtel.
Pour autant, l’exécutif de Sanchez sera-t-il viable ? Pas si sûr. Sa motion de censure devrait certes obtenir l’appui de 180 des 350 députés. Mais cette majorité de circonstance est très diverse : elle comprend les 84 députés socialistes, les 67 d’Unidos-Podemos (l’alliance entre Podemos et les écolo-communistes d’Izquierda Unida), mais aussi des nationalistes catalans et basques… Il n’est pas sûr qu’elle tienne à l’exercice du pouvoir.
Le leader de Podemos Pablo Iglesias a déclaré que « nous additionnons des forces pour laisser derrière nous une époque de corruption, d’inégalités et de confrontation. Il faut construire une Espagne dont personne ne veut partir et nous sommes prêts à travailler à un gouvernement pluriel et stable ». Alberto Garzon, coordinateur d’Izquierda unida a salué le départ de Mariano Rajoy. « Nous avons réussi ! », a-t-il écrit sur le réseau social twitter. En annonçant son appui à la motion de censure de Pedro Sanchez, jeudi, le dirigeant communiste avait demandé l’ouverture « d’un horizon d’espérance pour le pays ». Ce vote n’est pas seulement destiné à mettre fin à la corruption du PP, a-t-il averti. Il s’agit de tourner la page des « politiques du PP » dont souffrent « les gens de la rue ». « Cette phase d’espérance doit permettre d’en finir avec ces politiques » néolibérales. « Cela dépend de vous », a-t-il prévenu, s’adressant directement à Pedro Sanchez.
Gaël De Santis, L’Humanité
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Rajoy éloigné du pouvoir
Enfin, le Parti populaire (PP) a été délogé du gouvernement central [1]. Sa faiblesse parlementaire [137 députés sur 350, alors qu’entre 2011 et 2015 le PP disposait d’une majorité absolue] et la situation intenable générée par le jugement du cas de corruption « Gürtel » [rendu le 24 mai, deux jours après que le Parlement a adopté le budget 2018, suite à un processus fastidieux de six mois] ont mis un terme à un gouvernement qui s’est montré l’exécuteur fidèle de politiques autoritaires, liberticides et antisociales.
Un gouvernement assiégé par la corruption, sans aucun crédit politique, image vivante de la dégradation accélérée du projet qu’incarne le PP. Ejecter du gouvernement le PP représente ainsi pour le « peuple de gauche » un soulagement, un clin d’œil d’espoir devant une urgence démocratique élémentaire. Anticapitalistas [courant d’opposition au sein de Podemos] défend la légitimité et la nécessité de cette motion de défiance [déposée par le PSOE], en étant bien conscient de ses limites et du fait qu’un gouvernement du PSOE ne représente pas une alternative réelle ni au régime de 1978, ni aux politiques d’ajustement structurel [austérité], ni aux diktats de l’UE. Des limites qui ont été clairement rendues visibles lors des sessions parlementaires. Parmi celles-ci, le fait que Pedro Sánchez [le dirigeant du PSOE qui sera le nouveau président du gouvernement] accepte un cadre budgétaire néolibéral qui déterminera la politique économique réelle de ce nouveau gouvernement. En outre a été affirmée une absence de remise en cause du cadre politique de recentralisation sur la question territoriale que maquillent à peine les mentions creuses à un dialogue [sur la question catalane faites par Sanchez lors de son intervention]. Enfin est répétée l’adhésion inébranlable aux Traités européens dans un contexte de crise larvée de l’UE, ainsi que l’illustre ces dernières semaines la situation en Italie.
Nous ne devons toutefois pas oublier quelle a été l’option – ainsi que le thème sur lequel s’exerçait la plus grande pression – de l’establishment, des médias au service du régime et de son principal représentant politique actuellement (Ciudadanos, qui compte 32 députés) dans cette conjoncture parlementaire : l’appel à des élections immédiates comme piste de décollage d’un « gouvernement orange » [couleur de Ciudadanos-C’s]. Heureusement, le résultat et le tour pris par la motion ont pour effet que C’s apparaisse comme l’autre grand acteur défait dans cette conjoncture. En ce sens, le fait qu’une défaite soit infligée aux droites ne peut être qu’un motif de joie.
Quelles perspectives ?
S’ouvre désormais un nouveau temps politique aux différents possibles développements, mais dont le panorama est intéressant : un gouvernement faible [le PSOE ne compte que 85 députés] est toujours le meilleur scénario pour une offensive sociale dont l’objectif et de récupérer et conquérir des droits. En témoignant aucune confiance à un PSOE incapable de sortir des diktats des pouvoirs financiers ni des limites constitutionnelles (le PSOE en a une lecture des plus restrictives). Sans se faire d’illusions pour une gauche qui est convaincue que l’on peut « ajuster » certaines dérives du système (corruption, inégalités, crises territoriales) depuis l’Etat central. En ce sens, on ne peut écarter que le PSOE tente de développer une politique de recomposition partielle qui accepte certaines revendications portées par l’actuel cycle social et, de la sorte, puisse se présenter renforcé à de nouvelles élections.
Il en découle deux options comportant des tâches concrètes pour le mouvement populaire : soit ces revendications seront conquises par le mouvement même (ce qui nécessite un renforcement de son autonomie, de son auto-organisation et une prise d’initiative des mouvements, tel le mouvement féministe, celui des retraité·e·s ainsi que de passer à l’offensive sur les lieux de travail), soit il s’agira d’accaparement par les forces dites progressistes et l’effet sera d’éloigner encore plus la possibilité de nouvelles pratiques constituantes.
Au cœur de ce nouveau cycle, au milieu d’intenses turbulences financières internationales ainsi que du gonflement d’une nouvelle bulle immobilière dans l’Etat espagnol, la gauche parlementaire représentée par Unidos Podemos et les listes convergentes [En Marea, En Comú Podem, Compromís] doit miser sur une stratégie constituante et de construction d’une alternative politique qui s’écarte d’un double risque : d’un côté, de tomber dans une tactique faisant d’elle un simple soutien parlementaire et subalterne au PSOE face à la « peur de la droite » ; de l’autre, mendier avec force l’entrée dans un gouvernement aux côtés du PSOE, ce qui signifierait la cooptation du « bloc du changement » en tant que force politique [Pablo Iglesias a toutefois déjà indiqué sa disponibilité à intégrer le nouveau gouvernement].
Nous nous trouvons dans un contexte où la « sortie de la crise » ne signifie pas, et de loin, une amélioration des conditions de vie de la classe laborieuse, mais bien une hausse des profits des grandes entreprises ainsi que le maintien de la précarité sur les lieux de travail et des conditions d’existence de la majorité de la population. C’est cette majorité sociale qui vit dans les quartiers, qui travaille, qui n’est pas visible pour une politique officielle dominée par l’horizon des classes moyennes, alors que c’est la majorité sociale mentionnée qui est la base potentielle d’une politique de transformation. Or, cette majorité, toujours ignorée par les porteurs d’illusions « progressistes », peut précisément occuper être sur le devant de la scène socio-politique.
Il s’agit donc de ne pas quitter la perspective antagoniste et l’élan nécessaire face à l’ensemble du régime et de ses partis. Il s’agit d’exercer une pression forte (dans les institutions et dans la rue) sur un gouvernement faible numériquement et faible quant à son projet. Il s’agit aussi de tenter d’affaiblir au maximum notre adversaire aujourd’hui le plus dangereux : Ciudadanos. Pour cela, la meilleure façon consiste à exiger le démantèlement immédiat des aspects les plus nuisibles du projet du Parti populaire : exiger une remise en cause de la « réforme » des lois du travail, de la loi muselière, de la LOMCE [loi portant sur l’éducation], de mettre un terme aux politiques d’exception en Catalogne, de renforcer les budgets en faveur des dispositions prévues par la Loi sur la dépendance [qui vise à assurer une autonomie individuelle aux personnes handicapées, dépendantes, etc.], de mettre immédiatement en œuvre les revendications féministes ou encore de respecter la mémoire historique anti-franquiste…
Toutes ces questions ne peuvent être reportées. Elles doivent être abordées sans biais de façon à ce que l’expulsion du gouvernement de Rajoy signifie aussi mettre un terme à ses politiques. Car, au-delà de la satisfaction momentanée provoquée par la défaite du gouvernement Rajoy, ce n’est que par l’affrontement et les conflits sociaux que nous pourrons nous diriger vers des avancées démocratiques et la conquête de nouveaux droits.
Anticapitalistas, 1er juin 2018
Notes
[1] La motion de censure présentée par Pedro Sanchez au nom du PSOE a été adoptée par 180 voix, soit 4 suffrages de plus que la majorité nécessaire. 169 parlementaires du PP et de Ciudadanos ont voté contre. Il y a eu une abstention. En faveur de la motion de censure : PSOE 84, Unidos Podemos 67, ERC (Gauche républicaine de Catalogne) 9, PDeCAT (Parti démocrate européen catalan) 8, PNV (Parti nationaliste basque) 5, Compromis (coalition de la Communauté valencienne) 4, EH Bildu (coalition politique basque) 2, Nueva Canarias 1. Contre la motion : PP 134, Ciudadanos 32, UPN (Union du peuple navarrais) 2, Foro Asturias 1. (Réd. A l’Encontre)
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