« Si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir ! »

lundi 30 mai 2011.
 

Ce magnifique mot d’ordre était l’un de ceux des dizaines de milliers de jeunes qui, à Madrid, sont en train de transformer la Puerta del Sol en « Place Tahrir » et font des milliers d’émules dans toutes les villes d’Espagne : 130 000 au total, jeudi dernier.

L’onde de la révolution arabe ne s’arrête pas aux pays arabes. Elle s’étend, maintenant, au-delà la Méditerranée, en commençant par le sud de l’Europe. Les points communs sont multiples : des générations entières sacrifiées (45 % de jeunes au chômage en Espagne) ; des écarts de revenus sidéraux ; des profits qui s’envolent alors que les salaires stagnent ou diminuent ; la précarité qui se propage comme un incendie ; une caste parasitaire paradant à Rabat comme à Londres ; la démocratie bafouée par les dictateurs dans les pays arabes, par les oligarques qui dirigent l’Union européenne sous la pression continue des marchés financiers en Europe ; l’importance des réseaux sociaux dans la mobilisation…

La dette publique et les plans d’austérité unifient les luttes En Europe, l’importance de la dette publique et les plans d’austérité imposés par les dirigeants de l’Union européenne et par le FMI sont en train d’unifier les luttes de la jeunesse et du salariat.

La mobilisation des jeunes espagnols s’étend maintenant au Portugal, à l’Irlande et n’a aucune raison de s’arrêter là. Les étudiants londoniens qui manifestaient contre l’augmentation des frais d’inscriptions universitaires criaient en français « Tous ensemble, tous ensemble ! »

La Confédération Européenne des Syndicats (CES) qui réunit 82 confédérations syndicales venant de 36 pays et 12 fédérations européennes a exigé le 19 mai, à Athènes, l’arrêt de l’austérité imposée qui « aggrave la situation » et dénoncent « la pression à la baisse sur les salaires, les services publics, la sécurité sociale, les pensions et les conditions de travail et de vie ».

C’est aux banques et aux spéculateurs de payer la crise, pas au salariat Les banques, la finance dérégulée sont les seules responsables de la crise de 2007-2009. Les États ont dépensé des milliards d’euros pour renflouer les banques et restaurer les profits des entreprises. Ils ont « nationalisé les pertes » en transférant aux États une partie de l’énorme dette privée accumulée avant et pendant la crise.

Et maintenant, ils veulent faire payer les frais de cette crise aux salariés, aux jeunes, aux retraités européens et profiter de ce qu’ils appellent la « pédagogie de la dette » pour utiliser cette dernière comme bélier contre les acquis sociaux, comme bulldozer pour livrer aux multinationales les services publics. Le plan d’ « aide » à la Grèce, qui soutient la Grèce comme la corde soutient le pendu, prévoit ainsi la privatisation d’une partie des services publics grecs (port, aéroport, télécommunication, électricité, gaz…) pour un montant de 50 milliards d’euros, soit 21 % du PIB de ce pays.

En Irlande, le déficit public s’élevait à 0 % en 2007. Mais l’éclatement de la bulle immobilière et la crise des « subprime » amenaient les banques irlandaises au bord de la faillite. L’Union européenne et le FMI imposaient alors à l’État irlandais de nationaliser ses banques et de prendre leurs dettes à sa charge.

L’État irlandais devait donc débourser, entre 2008 et 2010, 46 milliards d’euros pour renflouer les fonds propres des banques et 31 autres milliards pour leur permettre d’apurer une partie de leurs actifs toxiques. 77 milliards d’euros au total.

Le budget irlandais subissait de plein fouet les conséquences de ce transfert de la dette des banques à l’État. En 2008, le déficit public s’élevait à 7,3 % du PIB. Il atteignait 14,4 % en 2009 et 32 % en 2010. En 3 ans, la dette publique augmentait donc de près de 55 points de PIB (la somme des déficits publics de 2008, 2009 et 2010) ! La récession frappait l’Irlande dont le taux de croissance s’écroulait de 9 % en 2009. Le taux de chômage passait de 0 % à 14 % de la population active. Et le gouvernement irlandais, chassé depuis par les électeurs, acceptait le plan de laminage du salariat irlandais imposé par l’Union européenne et le FMI.

En Espagne, la montée vertigineuse du prix de l’immobilier a été nourrie, gavée par la spéculation immobilière et les prêts immobiliers accordés par les banques sans la moindre retenue.

Et lorsque la bulle immobilière a explosé, en 2008, les créances douteuses des banques espagnoles (en particulier celles des caisses d’épargne régionales) ont amené le système bancaire au bord de la faillite.

Il y a aujourd’hui 2,2 millions de logements neufs inoccupés en Espagne et c’est, au minimum 100 milliards d’euros que l’État espagnol va devoir trouver, sur les marchés financiers, à des taux exorbitants, ou auprès de l’Union européenne et du FMI, à des conditions exorbitantes, simplement pour éviter la faillite de son système bancaire.

Et c’est pour pouvoir trouver les moyens d’amadouer les spéculateurs (de « rassurer les marchés ») et les dirigeants néolibéraux de l’Union européenne que le gouvernement Zapatero cherche à diminuer le montant de sa dette publique et à rétablir la « compétitivité » de l’économie espagnole. Pour cela, il s’attaque aux salaires, aux retraites, aux allocations sociales, à l’emploi public et « flexibilise le marché du travail » pour faciliter les licenciements. Le résultat est là, palpable, tangible : plus de 20 % de la population active se retrouve au chômage et la croissance stagne. L’avenir, les rêves de toute la génération des moins de 25 ans sont brisés.

Les grandes banques européennes, malgré leur responsabilité écrasante, ne sont pas mises à contribution. Au contraire, leurs profits ont retrouvé leurs niveaux d’avant la crise et elles spéculent de plus belle, en particulier contre les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne.

Les gouvernements nous ont dit (avec raison) au moment de la crise que les banques étaient « trop grandes pour faire faillite ». Mais les banques les plus importantes ont utilisé une bonne partie des fonds qui leur ont été alloués par les État pour grandir encore plus en rachetant les banques les plus fragiles. Loin de devenir moins grandes, les banques sont donc devenues encore plus grandes et elles ont toujours le droit, stupéfiant, de spéculer avec l’argent de leurs clients. Les paradis fiscaux ont été légalisés par le G20.

Les banques représentent donc pour l’économie mondiale un danger encore plus grand qu’avant la crise, d’autant que (selon le FMI lui-même) elles camouflent encore dans leur actif plus de 900 milliards d’euros d’actifs toxiques, de créances pourries.

Susan George a donc tout a fait raison d’affirmer : « Si les banques sont trop grandes pour faire faillite, elles sont aussi trop grandes pour être laissées au secteur privé ». Pour éviter une nouvelle crise (beaucoup plus grave que celle de 2007-2009, car les banques centrales ont déjà brûlé beaucoup de munitions et qu’un taux d’intérêt à 0 % peut difficilement être baissé), la nationalisation des banques, la mise à jour de leurs créances pourries, l’interdiction de leurs pratiques spéculatives est devenue, pour la société, une question de légitime défense.

Des plans d’austérité qui aggravent la crise et les dettes publiques Les « plans d’aide » à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal, aussi bien que le plan préventif mis en place par le gouvernement de Zapatero en Espagne sont avant tout des plans d’aide aux banques et aux assurances françaises, allemandes et britanniques qui détiennent une part déterminante de la dette privée, comme de la dette publique de ces quatre pays.

Loin d’apporter une solution aux problèmes économiques de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal ou de l’Espagne, les plans d’austérité qui leur sont imposés plongent leur économie dans la récession. Non seulement des souffrances totalement injustes sont imposées aux populations mais, en plus, la dette publique devient totalement irremboursable.

La dette publique de la Grèce atteint aujourd’hui 150 % de son PIB et demain ce sera pire car si les déficits continuent à augmenter (le numérateur) alors que le PIB (le dénominateur) diminue en même temps que la récession s’approfondit. La dette publique ne pourra donc qu’augmenter en pourcentage du PIB.

Et si la dette augmente en pourcentage du PIB, les agences de notation baisseront encore la note de la Grèce. Ce qui amènera les marchés financiers à exiger des taux d’intérêts encore plus élevés, inenvisageables sous peine d’étrangler totalement l’économie grecque.

Tant pis si pour guérir le malade avec les remèdes des néolibéraux, il faut tuer le malade. L’essentiel est qu’il meure selon les préceptes du traité de Lisbonne, du pacte d’austérité d’Amsterdam et du « Pacte de compétitivité » de Sarkozy et Merkel.

Ceux qui, hier, versaient des larmes de crocodiles sur « la dette de nos enfants » imposent, aujourd’hui, au nom du remboursement de la dette publique, le chômage de masse à toute une génération. Ils essaient, comme Angela Merkel, de dresser les salariés européens les uns contre les autres en affirmant : « Nous ne pouvons pas avoir une monnaie commune et certains avoir plein de vacances et d’autres très peu, à la longue, cela ne va pas ». Sans doute confond-elle vacances et chômage…

Restructurer, annuler la dette ! Les oligarques européens prennent peur et certains, imaginant la catastrophe que serait pour la zone euro et pour l’Union européenne libérale, le défaut d’un ou deux pays européens commencent à envisager la restructuration de la dette grecque. C’est un progrès. Mais attention, la restructuration d’une dette peut se faire à l’initiative des créanciers (les banques et les assurances) ou à l’initiative du pays débiteur.

Toutes les restructurations qui ont eu lieu à l’initiative des créanciers ont été des catastrophes pour les débiteurs. Les clauses sont telles, que la dette à rembourser et les intérêts de cette dette sont étalés dans le temps, mais qu’au total la somme finalement déboursée s’avère beaucoup plus importants que la dette initiale. Il s’agit de ménager la poule aux œufs d’or pour la faire pondre plus longtemps et encore plus. Avec de telles pratiques, les pays du tiers monde avaient remboursé, en 2005, 132 fois la valeur de leur dette de 1970.

Par contre, dans le cas d’une restructuration à l’initiative d’un pays débiteur, c’est ce dernier qui tient le bâton et oblige les créanciers à filer droit. Comme par miracle, ces derniers se retrouvent prêts, pour conserver une partie de leurs créances, à des compromis qu’ils se refusaient même à imaginer la veille.

La plus grande partie des dettes européennes est illégitime. Ces dettes, sont en grande partie, en effet, soit le fruit de la « nationalisation » des dettes privées, en premier lieu de celles des banques ; soit le fruit de la baisse des impôts des riches ; soit le résultat, comme en Grèce, des tripatouillages liés aux JO d’Athènes dont les prix ont été multiplié par dix et aux arrangements douteux des conservateurs de Caramanlis avec la banque américaine Goldman Sachs.

Dans presque tous cas, ces dettes n’ont permis aucun investissement d’avenir mais ont été utilisées uniquement à combler, année après année, les déficits budgétaires et à payer les intérêts versés aux rentiers (42,5 milliards en France en 2010, le deuxième poste budgétaire après l’enseignement).

Chaque peuple européen doit pouvoir décider, en organisant comme le préconise le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) un « audit citoyen » démocratique qui déciderait quelle part de sa dette publique est légitime et doit être remboursée et quelle part est illégitime et doit être annulée, obligeant ainsi les spéculateurs à assumer les conséquences de leurs actes.

La Russie en 1998, l’Argentine en 2001 ont annulé leurs dettes. Elles n’atteignaient pourtant que 50 % de leur PIB, très loin des 150 % de la dette grecque. Leur situation économique s’est considérablement améliorée dans les deux cas mais beaucoup plus rapidement dans le cas de la Russie où la décision avait été rapide, nette et sans bavure.

La démocratie : l’égalité des droits politiques et sociaux Les partis socialistes et sociaux-démocrates de l’Union européenne, enfin, devraient méditer le sort réservé par les électeurs aux partis de Papandréou ou de Zapatero.

L’égalité des droits politiques est, aujourd’hui, mise à mal, tant par les constitutions et les pratiques politiques d’essence bonapartiste des différents Etats européens que par la bureaucratie de l’Union européenne entièrement à la botte de la finance.

L’égalité des droits sociaux est en recul permanent, au nom de la « concurrence libre et non faussée », de la « compétitivité », de la « nécessité de réduire les dettes publiques pour rassurer les marchés financiers ».

Pourtant, il n’y a pas de démocratie si cette double égalité des droits n’est pas respectée.

Les socialistes européens devraient donc prendre au sérieux les critiques de la démocratie politique faites par les « Indignés » espagnols et reprendre à leur compte leurs revendications sociales exigeant que « le droit au logement, au travail, à la culture, à la santé, à l’éducation, à la participation, au librement développement personnel et le droit à la consommation des biens nécessaires pour une vie saine et heureuse » deviennent des droits de base. L’Union européenne a tout à fait les moyens d’assurer une telle égalité des droits. Encore faut-il imposer au capital un toute autre partage des richesses créées chaque année.

Les socialistes européens devraient également refuser que les marchés financiers utilisent le levier de la dette publique pour dicter l’avenir de centaines de millions d’êtres humains en Europe. Ils devraient, pour rompre cette servitude, annoncer qu’ils organiseront, partout où ils seront au pouvoir, un audit citoyen de la dette, débouchant sur la restructuration ou l’annulation des dettes publiques jugées démocratiquement comme illégitimes.

Jean-Jacques Chavigné


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