Espagne, législatives du 28 avril 2019 : Quelques analyses

mardi 7 mai 2019.
 

- A) Résultats du 28 avril

- B) En Espagne, le socialiste Pedro Sanchez remporte les élections mais sans majorité facile pour gouverner

- C) Débâcle historique des conservateurs espagnols face à la percée de Vox

A) Résultats du 28 avril

1) Rappel sur les derniers Cortès

Après les dernières législatives, s’était formé un gouvernement de droite autour de Mariano Rajoy. Il s’appuyait sur les 134 députés du Parti Populaire et les 32 de Ciudadanos (sorte de macronistes).

Ne disposant pas d’une majorité aux Cortès (350 députés), ce gouvernement avait été remplacé le 1er juin 2018 par un autre dirigé par le socialiste Pedro Sanchez.

2) Le nouveau rapport de forces aux Cortès

Les élections de ce 28 avril sont marquées par :

- un effondrement du Parti Populaire (de 134 députés à 66) dont la radicalisation franquiste n’a pas eu le succès escompté

- une progression de Ciudadadanos (libéraux conservateurs) qui progresse de 32 à 57 sièges

- la première entrée au Parlement du parti d’extrême droite VOX avec 24 députés

- une forte progression du Parti Socialiste Espagnol (de 84 à 123 sièges) grâce à une forte mobilisation de l’électorat de gauche

- un recul de l’alliance formée autour de Podemos (nombre de sièges définitif incertain)

- une victoire éclatante des indépendantistes en Catalogne avec l’élection de cinq dirigeants emprisonnés. Jamais jusqu’à présent les indépendantistes n’avaient été majoritaires lors des législatives ; leur nombre de sièges passe de 9 à 22.

3) Vers quelle majorité ?

La droite sort trop divisée et trop affaiblie de ces législatives pour former un gouvernement.

Pedro Sanchez, dirigeant du PSOE, sera sans doute chargé de former un nouveau gouvernement. Il ne pourra disposer d’une majorité que par un accord avec Podemos (au moins 42 députés), les indépendantistes catalans (22) et les indépendantistes basques. Une telle éventualité pousserait à une polarisation encore plus forte de la droite.

B) Analyse des élections générales espagnoles de 2019

Ce dimanche 28 avril le peuple espagnol a voté. Un troisième scrutin législatif, en presque autant d’années, pour tenter de sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays se trouve. Une impasse qui avait notamment conduit à une motion de censure contre Manuel Rajoy, permettant à la gauche de former un gouvernement alors même que la droite avait remporté le scrutin. Or, de nouveau, ces élections générales n’ont pas permis de dégager une majorité absolue pour un seul parti. Des tractations, qui pourraient durer longtemps, vont donc s’imposer.

Car, si le Parti socialiste des ouvriers espagnols (PSOE) a, de fait, remporté les élections avec 28,68 % des suffrages exprimés, remportant au passage 39 députés supplémentaires que lors de la dernière législature (et 79 sénateurs), portant leur nombre à 123, il ne dispose pas de la majorité absolue qui est de 176 députés. Pedro Sanchez et le PSOE, qui viennent là de remporter leur premier scrutin général depuis 11 ans, vont donc devoir trouver des alliés. Deux options s’offrent à deux :

– La première serait celle privilégiée par la plupart des partis sociaux-démocrates européens. Elle consisterait à s’allier au parti centriste Ciudadanos qui, en obtenant 57 députés et 5 sénateurs, arrive troisième du scrutin avec 15,85 % des voix. Néanmoins ces ultralibéraux semblent avoir d’ores et déjà fait leur choix en refusant toute alliance avec le PSOE et en préférant siéger dans l’opposition avec le Parti populaire (qui enregistre son plus bas score, bien qu’arrivant second, en perdant 71 députés, 69 sénateurs et en obtenant que 16,70 % des suffrages) et l’extrême droite.

– La seconde, qui devrait naturellement s’imposer est celle d’une alliance avec la coalition Unidos-Podemos. Cette alliance, née en 2016, regroupe Podemos, Izquierda Unida (Gauche Unie dont est membre le Parti communiste espagnol) et le parti écosocialiste Equo. Bien qu’ayant, eux aussi, subi une baisse de leur résultat, Unidos-Podemos obtient tout de même 42 députés, soit 17 de moins que la dernière fois, et se classe quatrième force de ce scrutin en recueillant 14,81 % des voix. Unidos-Podemos s’est dit prêt, dès dimanche, à discuter d’une éventuelle coalition gouvernementale. Cette participation, ou tout du moins un soutien sans participation au gouvernement, pourrait servir de garde-fou et, comme au Portugal (voir : Le réveil de la gauche portugaise et Portugal : une autre voie pour l’Europe) assurer au peuple espagnol que le PSOE ne reniera pas ses promesses sociales. C’est ce qui était, de fait, un peu le cas depuis Juin 2018 où, durant cette courte période le gouvernement du PSOE, bien que très timoré sur la question sociale, avait tout de même augmenté le salaire minimum de 22%, au mois de décembre.

Toutefois, même en totalisant tous les députés du Parti socialiste et d’Unidos-Podemos, les deux formations n’arriveraient qu’à 165 sièges. Il faudrait donc trouver au minimum encore 11 députés pour atteindre la majorité absolue. Et ça tombe plutôt bien. Car, dans le même temps, la Gauche républicaine catalane est devenue la première force de Catalogne avec 15 députés. Elle pourrait donc venir appuyer une coalition de gauche. D’autres forces indépendantistes pourraient faire de même, comme la coalition Basque Euskal Herria Bildu (gauche) qui obtient 4 députés, la coalition Compromis (gauche) qui obtient 1 député, voir, pourquoi pas, le parti de Carles Puigdemont, Junts per Catalunya (centre-droite/ indépendantiste) qui obtient 7 sièges.

En fait, tout va dépendre de l’attitude du PSOE. Certains, à commencer par Pedro Sanchez, ne sont pas favorables à l’indépendance de la Catalogne et du Pays Basque. D’ailleurs depuis juin 2018, le PSOE n’a pas trouver de solution à cette question-ci. Mais il n’est pas certains que Pedro Sanchez est réellement le choix, dès lors qu’une alliance avec les centristes est impossible. Dès lors aussi qu’une grande partie de la base électorale du PSOE préfère une alliance avec d’autres forces de gauche qu’un accord avec des partis aux politiques responsables de la crise et des cures d’austérité.

Unidos-Podemos : des pistes pour expliquer le déclin

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce recul de la coalition de gauche. L’une d’entre elle étant sans doute due à la campagne menée par le PSOE consistant a affirmer la nécessité d’un vote utile pour faire barrage à l’extrême-droite au Parlement. Même s’il faut aussi être lucide et réaliste et reconnaître que la stratégie adoptée n’était pas forcément la bonne.

Car, si Izquierda Unida bénéficie d’une base militante ancienne et d’un certain ancrage local et régional, ce n’est peut-être pas encore tout à fait le cas de Podemos. Il y a fort à parier aussi que les événements européens, comme la trahison de Syriza en Grèce où l’émergence de partis d’extrême-droite, surfant sur les vagues de protestations, dans d’autres pays n’ont pas aidé non plus. Quoi qu’il en soit Unidos-Podemos limite la casse lors de ce scrutin. Reste à voir s’ils réussiront aussi bien que la dernière fois lors des élections municipales et régionales (et européennes) du 26 mai prochain.

Le parti d’extrême-droite Vox fait son entrée au Parlement espagnol

C’est l’autre fait marquant de ces élections générales. Pour la première fois depuis la transition démocratique et la fin de la dictature fasciste de Franco, un parti d’extrême-droite espagnol a des élus au Congrès des députés. Vox obtient ainsi 24 sièges, en totalisant 10,26 % des voix. Certes, les médias alarmistes nous prédisaient un retour en force avec des sondages donnant parfois plus de 50 députés à Vox. Qu’importe ces résultats interrogent et inquiètent.

Fondé le 17 décembre 2013, à la suite d’une scission du Parti populaire, et dirigé par Santiago Abascal, cette formation présente les mêmes rhétoriques que ses compères européens alliant des positions réactionnaires, xénophobes, ultranationalistes et un libéralisme économique assumé.

Pourtant, de sa création aux élections régionales d’Andalousie en décembre 2018, le parti reste très minoritaire en Espagne. En témoigne ses différents résultats :

- 0,23 % aux élections générales de 2015
- 0,20 % aux élections générales de 2016
- 0,45% aux élections régionales d’Andalousie en 2015
- 1,57% aux élections européennes de 2014

La donne change donc le 2 décembre 2018. En Andalousie, une région historiquement à gauche, Vox obtient 12 sièges en se positionnant cinquième des suffrages, sans doute appuyé par une frange de la population effrayée de la possible indépendance catalane. Le nombre peut sembler dérisoire (12 sur 109) mais il permet à la région de basculer à droite puisque ces douze députés viennent s’ajouter aux 26 députés du Parti populaire et aux 21 de Ciudadanos.

Ces 24 élus au niveau national montre une chose. Les pays ayant connu des dictatures fascistes lors du XXe siècle ne semblent plus effrayés à l’idée de revoter pour des partis aux idées plus ou moins similaires. Espagne, Italie, Allemagne, Portugal, Hongrie, les exemples sont malheureusement trop nombreux (Allemagne, Suède, revoilà l’extrême-droite) et démontrent que les politiques prônées par la commission européenne, par ceux-là même qui s’érigent en rempart contre l’extrême-droite, nous mènent directement à eux.

Source : https://republiquesocialeblog.wordp...

C) En Espagne, le socialiste Pedro Sanchez remporte les élections mais sans majorité facile pour gouverner

Le chef du gouvernement socialiste sortant a remporté dimanche les législatives, sans disposer toutefois d’une majorité absolue au Parlement.

« Nous avons gagné les élections et nous allons gouverner l’Espagne. » Euphorique, le chef du gouvernement socialiste Pedro Sanchez a célébré sa victoire aux élections législatives, devant une foule dense venue l’acclamer dimanche 28 avril à Madrid. Avec 28,7 % des suffrages et 123 des 350 députés du Parlement, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) est arrivé largement en tête. Après dix mois à la tête du gouvernement, où il a été propulsé en juin 2018 à la faveur d’une motion de défiance contre le conservateur Mariano Rajoy, M. Sanchez améliore considérablement son résultat par rapport à 2016 (22,6 %) et gagne 38 députés, sans atteindre la majorité absolue fixée à 176 sièges.

Cela faisait onze ans que les socialistes n’avaient pas remporté le scrutin législatif. Le vote de dimanche a été marqué par une participation en nette hausse, à 75,75 %. Au Sénat, où le PSOE a obtenu la majorité absolue, avec 122 des 208 sièges en jeu, ils n’étaient pas arrivés en tête depuis 1993.

Derrière lui, le Parti populaire (PP, droite) du jeune Pablo Casado s’effondre avec seulement 16,7 % des voix et 66 sièges, la moitié de ceux qu’avait obtenus M. Rajoy en 2016 (137).

Le virage à droite pris par le PP pour contrer l’ascension de la formation d’extrême droite Vox a échoué. Ce parti nationaliste et réactionnaire fait une entrée remarquée au Parlement, avec 24 députés et 10 % des suffrages. Cependant, ce résultat est inférieur à celui que prédisaient les sondages et ne lui permet pas de jouer un rôle dans la formation du prochain gouvernement.

Malgré la montée du parti libéral Ciudadanos, qui a obtenu 15,9 % des voix et 57 sièges, soit 25 sièges de plus qu’en 2016 (13 %), les trois partis de droite, qui étaient tentés par une alliance pour détrôner Pedro Sanchez, se situent très loin de la majorité absolue (176 sièges), avec seulement 147 des 350 députés.

L’allié le plus plausible

« L’avenir a gagné, le passé a perdu », s’est félicité Pedro Sanchez devant les centaines de personnes rassemblées devant le siège du parti, à Madrid, avant de rappeler ses trois objectifs – « avancer dans la justice sociale, avancer dans la concorde dont a besoin ce pays pour en finir avec la confrontation et la crispation territoriale, et revendiquer l’exemplarité en politique » – et son souhait de former « un gouvernement proeuropéen pour renforcer et non pas affaiblir l’Europe ».

Bien qu’un blocage politique ne puisse être totalement exclu, les socialistes sont convaincus qu’ils pourront gouverner. La formation d’une majorité au Parlement s’annonce pourtant complexe. Il manque en effet 53 sièges au PSOE pour atteindre la majorité absolue. Et leurs marges de manœuvre sont limitées.

L’allié le plus plausible est la coalition Unidas Podemos, dont le soutien parlementaire a permis à Pedro Sanchez de gouverner ces dix derniers mois. Cependant, avec 14,3 % des voix et 42 députés, la coalition de gauche radicale menée par Pablo Iglesias perd près de 7 points et 29 sièges par rapport à 2016 (21,1 %). Une dégringolade due autant au positionnement de Pedro Sanchez qu’aux erreurs et luttes internes de Podemos. Même avec les six députés du Parti nationaliste basque (PNV, modéré), le PSOE n’atteint pas la majorité absolue.

Les séparatistes « ne sont pas fiables »

Dans l’hypothèse d’une alliance des gauches, Pedro Sanchez devrait donc avoir besoin du soutien des indépendantistes catalans, dont il espérait pouvoir se passer. Le chef du gouvernement sortant n’a cessé de marteler ces derniers jours que les séparatistes « ne sont pas fiables ». En février, ces partis ont rejeté son budget, malgré les négociations entamées, car ils exigeaient un référendum d’autodétermination en échange de leur soutien. C’est ce rejet de la loi de finances qui a contraint Pedro Sanchez à convoquer des élections anticipées.

A présent, le PSOE espère que la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), arrivée en tête dans la région frondeuse, s’abstiendra lors du vote d’investiture de Pedro Sanchez, par responsabilité, « sans que nous ayons à négocier », assure un conseiller de M. Sanchez. Alors que la plate-forme Ensemble pour la Catalogne (JxC) de Carles Puigdemont prône une politique jusqu’au-boutiste de confrontation avec l’Etat, la stratégie d’ERC consiste à remettre en avant son agenda social et à se poser en parti de gouvernement utile, afin d’augmenter peu à peu la base indépendantiste, qui plafonne autour de 48 % des voix, et rendre ainsi inévitable l’indépendance.

Dans ces conditions, le choix le plus stable pour le PSOE serait sans doute de parvenir à s’allier avec Ciudadanos. Ensemble, les deux partis dépassent en effet la majorité absolue requise, avec 180 députés. Cependant, la formation présidée par Albert Rivera a mis un veto à tout accord post-électoral avec les socialistes, qu’ils ont accusé de négocier l’unité de l’Espagne avec les indépendantistes catalans. Son objectif est de remplacer le PP comme force hégémonique du centre droit.

L’objectif de Sanchez pourrait être de « gouverner en solitaire »

Dans cette optique, il préfère à ce stade se poser en principal parti d’opposition aux socialistes, et couper l’herbe sous le pied des conservateurs. Or le résultat de dimanche l’a conforté dans l’idée qu’il se trouve sur la bonne voie. « Nous n’avons que 200 000 voix de différences avec le PP, souligne un conseiller politique sous le couvert d’anonymat. Si Pedro Sanchez gouverne avec Podemos et les indépendantistes, il y aura très bientôt de nouvelles élections car l’exécutif sera très instable et incapable d’approuver le budget. Et nous dépasserons alors le PP », veut-il croire.

Durant la nuit électorale, Albert Rivera a écarté tout accord avec le PSOE en considérant pour acquis un gouvernement entre PSOE et Podemos. « J’ai une mauvaise nouvelle : Sanchez et Iglesias vont former un gouvernement avec les nationalistes, a-t-il lancé aux militants. Nous sommes un projet gagnant qui a augmenté de 80 % son résultat en deux ans. Nous mènerons l’opposition, de manière fidèle à la Constitution, à l’économie de marché, à l’Etat-providence et à l’Espagne. »

De son côté, Pedro Sanchez veut croire que l’option d’une alliance au centre reste ouverte. A Madrid, face à des militants qui ont exigé dimanche de privilégier une alliance avec le parti de la gauche radicale Podemos en criant en boucle « Pas avec Rivera », il a répondu que lui ne mettra pas de « cordon sanitaire » autour de Ciudadanos : « La seule condition que nous poserons est d’avancer dans la justice sociale, le renouvellement et la restauration politique. »

De nombreux observateurs sont d’ailleurs d’avis qu’une alliance avec Ciudadanos permettrait d’en finir avec l’instabilité politique, après trois scrutins législatifs en quatre ans. L’irruption de Podemos et de Ciudadanos en 2014, au détriment des partis traditionnels de gouvernement, le regain de tensions en Catalogne, puis la rivalité entre les partis au sein des familles de droite et de gauche ont suscité de multiples blocages. Faute de majorité pour former un gouvernement, les élections de décembre 2015 ont été suivies de nouvelles législatives six mois plus tard. Un tel scénario peut-il se reproduire, en dépit de la victoire des socialistes ?

Au fond, l’objectif de Pedro Sanchez, martelé durant toute la campagne, pourrait être de « gouverner en solitaire ». Il espère convaincre Pablo Iglesias de renoncer au gouvernement de coalition qu’il demande depuis le début de la campagne avec insistance pour « changer les choses de l’intérieur ». « Pedro Sanchez n’a pas confiance en Pablo Iglesias, souligne un député du PSOE. Il craint qu’une telle alliance débouche rapidement sur une crise de gouvernement et préférerait sceller des accords à géométrie variable, au cas par cas de l’activité parlementaire. »

Autre différence avec 2016, « l’Espagne dispose d’une chance importante : après les élections municipales, régionales et européennes du 26 mai, il n’y aura en principe plus d’élections pendant quatre ans et les partis pourront troquer les stratégies électorales pour des stratégies politiques de gestion du pays », selon José Antonio LLorente, président du cabinet de consultant en communication stratégique Llorente y Cuenca, « d’autant plus qu’il y aura des possibilités de pactes et accords croisés dans les mairies et les régions ». Avant le 26 mai, afin de ne pas perturber ces élections, « aucun accord ne sera scellé » pour constituer le gouvernement, indique d’ailleurs un proche conseiller de Pedro Sanchez.

Sandrine Morel (Madrid, correspondance)

Source : https://www.lemonde.fr/internationa...

D) Débâcle historique des conservateurs espagnols face à la percée de Vox

Le Parti populaire a perdu la moitié de ses sièges au Parlement, après avoir tenté en vain d’empêcher la fuite de ses électeurs vers l’extrême droite.

L’échec est retentissant. Le Parti populaire espagnol (PP, conservateur) avait misé sur un durcissement de son discours pour tenter d’enrayer la fuite de ses électeurs vers Vox, la petite formation d’extrême droite qui avait créé la surprise lors des élections andalouses de décembre 2018. Il s’est au contraire effondré, avec 16,7 % des suffrages aux législatives du 28 avril, perdant plus de la moitié de ses députés – 66 élus dimanche, contre 137 en 2016.

« Le résultat a été très mauvais », a reconnu le jeune leader du PP, Pablo Casado – en fait, le pire de son histoire. La formation qui a gouverné l’Espagne de 2011 à 2018 a perdu 3,7 millions de voix (de 7,9 millions en 2016 à 4,2 millions). M. Casado a rejeté la faute sur ses adversaires : en refusant « les pactes préélectoraux qu’[il] leur av[ait] proposés » pour éviter de se concurrencer dans certaines régions, Ciudadanos et Vox « ont favorisé la fragmentation du vote », a-t-il déclaré. Le successeur de l’ancien premier ministre Mariano Rajoy a pris les rênes du parti il y a moins d’un an, en juillet 2018. Pablo Casado, plus proche de José Maria Aznar (premier ministre de 1996 à 2004), son parrain politique, s’était alors présenté comme le leader d’une « droite sans complexes ».

Le PP disparaît pratiquement de la Catalogne où il n’a qu’une seule députée (il en avait six) et complètement du Pays basque, où il a perdu ses deux élus. A Madrid, il n’est plus que la troisième force politique, dépassé par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et Ciudadanos (centre droit). En Galice, l’un de ses fiefs, il est arrivé pour la première fois derrière les socialistes.

« Cette débandade était attendue. Le PP dispose d’un potentiel électoral sur une ligne modérée, et quand il s’éloigne du centre et embrasse la radicalité, il rivalise avec d’autres qui savent mieux manier un discours populiste », dit un ancien secrétaire d’Etat de Mariano Rajoy, évincé par la nouvelle direction.

« Conjoncture diabolique »

« Les trois partis ont rivalisé pour un espace de vote identique, en optant pour un discours très semblable, qui consistait à assumer 80 % de celui de Vox [extrême droite]. La conjoncture était diabolique pour le PP, avec des partis qui l’ont dévoré au centre et à droite », estime José Antonio LLorente, président du cabinet de conseil Llorente y Cuenca.

Au siège du PP, quelques dizaines de fidèles, la mine dépitée, ont longtemps attendu dans la rue que M.Casado veuille bien apparaître sous son énorme portrait qui couvrait la façade de l’édifice. En vain. Le responsable conservateur a finalement préféré la salle de presse. « Je suis sous le choc. On s’attendait à un léger recul, mais pas à ça, dit Cayetano Martin, un jeune Madrilène. Je sais que nous avons eu des problèmes, notamment la corruption, mais Pablo Casado semblait les avoir résolus. Nous avons bien géré la crise économique, mais personne ne semble s’en souvenir. »

José Antonio Martin, lui, n’est pas surpris : « Le PP a gaspillé ses années au pouvoir. Il aurait dû supprimer toutes les lois de José Luis Rodriguez Zapatero [ancien premier ministre socialiste], mais il ne l’a pas fait. » Cet avocat considère que « toute la faute repose sur Mariano Rajoy, qui n’a pas été aussi ferme que José Maria Aznar ».

« Vers le futur »

Pablo Casado n’a pas l’intention de démissionner, mais il va avoir du mal à s’imposer face à ses deux adversaires qui lui disputent le leadership de la droite. Albert Rivera, dirigeant de Ciudadanos, ne cache pas ses ambitions. Dimanche soir, il s’est montré euphorique devant ses militants comme le chef d’un « projet gagnant ». M. Rivera avait espéré dépasser le PP, il y est presque arrivé avec 15,9 % des voix. Seuls neuf députés séparent désormais les deux formations – l’écart était de 105 élus lors des législatives de 2016. « Bientôt, un autre gouvernement va mener l’Espagne vers le futur », a déclaré le responsable de centre droit, qui a promis durant toute la campagne de « chasser Sanchez du pouvoir ».

Vox n’a pas non plus l’intention de se laisser faire. Le « mouvement patriotique », qui veut défendre « l’Espagne vivante » contre la « dictature des gauchos », a célébré sa victoire sur la place Margaret-Thatcher, ainsi baptisée en 2014 par celle qui fut maire de Madrid, Ana Botella, l’épouse de M. Aznar.

Si le résultat de 10 % n’est pas celui que ses responsables escomptaient (les sondages créditaient Vox d’environ 12 % des voix et d’une trentaine de députés), il s’agit d’une percée spectaculaire pour le parti d’extrême droite, qui entre pour la première fois au Parlement espagnol. Il y a six mois, la formation ultranationaliste fondée en 2013 n’existait pour ainsi dire pas. Lors des dernières législatives, en juin 2016, Vox n’avait recueilli que 46 700 voix (0,2 %). Dimanche, elle a convaincu plus de 2,6 millions de personnes.

« Petite droite lâche »

« La gauche sait que la fête est finie, a lancé le numéro deux du parti, Javier Ortega Smith. Nous ne faisons que commencer. » Son chef, Santiago Abascal, a annoncé le début de la « reconquête » de l’Espagne, un thème récurrent de tous ses meetings, déclarant : « Vox est venu pour rester. » Tout au long de la campagne, M. Abascal n’a épargné ni le Parti Populaire, « la petite droite lâche », ni les centristes de Ciudadanos, la « girouette orange » – couleur de la formation – qui « obéit aux ordres que donne son maître, Macron, de son palais de l’Elysée ». Dans moins d’un mois, les trois formations vont de nouveau s’affronter lors des élections municipales du 26 mai. Aucune ne semble envisager des alliances.

Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)

Source : https://www.lemonde.fr/internationa...


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