Socialistes espagnols, République et Eglise

mercredi 17 octobre 2007.
 

Le gouvernement socialiste espagnol a décidé de se faire représenter à la cérémonie de béatification de 498 martyrs « de la persécution » sous la République ! Cette grand messe aura lieu en grande pompe au Vatican, sur la Place Saint Pierre, le 28 octobre. Le gouvernement espagnol hésite encore sur la personnalité qui le représentera : si le Pape descend saluer les personnalités officielles, ce sera la numéro 2, la vice présidente, pas moins, qui sera du voyage. Sinon ce sera le Ministre des Affaires Etrangères (un fervent catholique !) accompagné de l’ambassadeur auprès du Vatican ainsi que de la Directrice Générale des Affaires Religieuses.

L’explication avancée pour cette incroyable main tendue à un clergé espagnol des plus réactionnaires : montrer que le projet de loi sur la Mémoire Historique (celle de la Guerre Civile) récemment mis au point n’est pas un texte de division mais bien de réconciliation. Et cela passe par une « réconciliation » avec une hiérarchie catholique qui, elle, n’hésite pas à déterrer la hache de la division, et pas n’importe laquelle, celle du franquisme ! Béatifier des martyrs de la République alors que ladite loi se refuse à déclencher des procédures en justice pour les crimes du franquisme, c’est mettre en accusation une République qui n’a fait que se défendre d’un coup d’état, appuyé, faut-il le rappeler, par les nazis et les fascistes italiens.

Accuser la République pour les débordements que les putchistes ont suscités, c’est inverser les responsabilités historiques : plus de 30 ans après la mort de Franco, une institution comme l’Eglise espagnole peut se permettre de dénaturer l’histoire. Elle instruit à sa façon - jésuitique - le procès de la République alors que personne n’a osé lui demander de rendre des comptes sur son soutien plus qu’actif au franquisme pendant et après la guerre civile. Cette situation doit nous faire réfléchir au sens de la Transition espagnole à la démocratie que tout le monde ou presque érige en modèle : elle a permis d’éviter un affrontement avec l’appareil d’Etat franquiste et donc un bain de sang, nous dit-on.

Le prix à payer : les socialistes et les communistes de Santiago Carrillo ont donné leur aval à un marché politique et social avec les fractions modernistes du franquisme ; ceux-ci ont « donné » la démocratie (légalisation du PCE, élections, démocratie) mais ceux-là devaient accepter le roi désigné par Franco et un pacte social (Pacto de la Moncloa) qui ne mette pas en péril le capitalisme espagnol. Le tout sur fond de consensus sur la nécessité d’intégrer au plus tôt l’Europe (ce sera fait en 1986), avec son cortège de restructurations brutales de l’industrie. Dans ce marché il allait de soi qu’on n’instruisait pas le procès des franquistes, en particulier des responsables de tortures et d’assassinats. Comment la figure du roi aurait-elle pu échapper à une implication de responsabilité au moins indirecte ?

Et quant à l’Eglise, même chose, avec l’avantage qu’elle avait réussi grâce au cardinal Tarancon à prendre ses distances avec une dictature aux abois. Voilà donc les résultats d’une amnistie qui a viré à l’amnésie et qui débouche sur ces béatifications et à la mise en accusation de la République. Franquisme amnistié, République accusée, l’Eglise et le Parti Populaire qui a recyclé nombre d’ex franquistes paradent. Et le parti socialiste au pouvoir se fait tout petit et tend la main quand l’Eglise tape du poing sur la table. Pire encore il va au Vatican pour se faire flageller pour les crimes de la République. Les prochaines élections où l’on espère gagner des voix auprès des catholiques valent bien un aplatissement devant les soutanes béatificatrices.

Et tant pis pour les victimes et parents des victimes du franquisme, il leur faudra se contenter de la reconnaissance morale de l’injustice subie. Pas question d’aller au bout de la démarche politique de l’affirmation de l’imprescriptibilité des crimes franquistes.

Ah ! j’oubliais, l’Eglise espagnole n’envisage pas de béatifier les prêtres et simples catholiques basques restés fidèles à la République et, pour cette raison, massacrés par Franco !

Deux poids, deux mesures, ça se dit en espagol "doble rasero" et il est bien en place dans l’Espagne socialiste, moderne, européenne et tournée vers l’avenir au point d’en oublier le respect dû à un passé...qui ne passe pas.

ANTOINE DE MONTFERRIER


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