Le franquiste Manuel Fraga Iribarne vient de rejoindre Franco.
Une formidable nouvelle mais qui me laisse un goût amer. Quelle impunité !
A 89 ans, Fraga a réussi à esquiver toute poursuite qui aurait pu, et dû, être lancée à son encontre pour complicité de génocide.
Dans sa jeunesse, il s’était illustré comme "tondeur" de femmes républicaines prisonnières. Bras droit de Arias Navarro, le ministre de Franco et surnommé le "boucher de Malaga", Fraga avait encouragé et signé de nombreuses condamnations à mort de militants. Il avait justifié l’assassinat de Julian Grimau, dirigeant communiste, torturé dans les geôles de la sinistre Direction Générale de la Sûreté de Puerta del Sol à Madrid et fusillé.
En 1975, à la mort de son maître Francisco Franco, Fraga devient ministre de l’Intérieur. Il poursuit sa sale besogne et fait surtout parler de lui lors du massacre du 3 mars 1976 à Gasteiz (Vitoria) au Pays Basque lorsqu’il donne à la police feu vert pour tirer à balles réelles sur des milliers d’ouvriers en grève qui manifestent. Cinq morts et une centaine de blessés. Encerclées dans une église où plus de 5.000 personnes s’étaient réfugiés pour échapper aux charges policières, la police n’hésitera pas à lancer des gaz lacrymogènes à l’intérieur et à tirer au pistolet-mitrailleur sur ceux qui cherchent à s’enfuir. Ce jour-là, Fraga dit haut et fort à la télé : "la calle es mia ! (la rue m’appartient) ". Quelques jours plus tôt, à Elda (Alicante), des grévistes sont pris en chasse par la garde civile. Un ouvrier est assassiné.
Avril 76 se caractérise par une féroce répression. Aux nombreuses manifestations de protestation pour les manifestants tués, Fraga ne cesse de fanfaronner à la télé. : "s’ils veulent la guerre, ils l’auront !". D’autres manifestants sont assassinés lors des manifs (Tarragone, Zarauz, Madrid, Eibar, Barcelone,...). Des militants révolutionnaires sont exécutés sur place lors de leur arrestation durant les mois et années suivantes.
D’autres crimes policiers et impunis se succèderont tout au long de son mandat de Ministre. Plusieurs militants de gauche tués par balle à Montejurra (Pays Basque) où la garde civile prête main forte aux hordes fascistes de Fuerza Nueva, Guérilleros de Cristo Rey, Réquétés,... contre les manifestants. Dans l’Espagne des années 70 et jusqu’au milieu des années 80, il était courant de voir les fascistes déambuler dans les rues, armés, et agissant en supplétifs de la police.
En août 76, à Almeria (Andalousie), Javier Requejo, militant de la Jeune Garde Rouge est abattu par un garde civil, d’une balle dans la tête, alors qu’il taguait sur un mur d’une ruelle "Pan, Trabajo y Libertad". Le poète Rafael Alberti lui dédiera quelques temps plus tard quelques vers en son hommage.
Fraga, ministre de la terreur, déchaînera aussi sa haine contre les chanteurs-compositeurs tels que le catalan Lluis Llach, interdisant de nombreux concerts.
Glorifié par les franquistes et par l’armée espagnole, Fraga sent qu’il faut bouger les lignes face à la forte puissance des mobilisations. Il faut donner, à l’extérieur, une image acceptable de la "jeune démocratie espagnole" et de la monarchie. Fraga jouera un rôle essentiel dans l’élaboration de la Constitution de 1978. Pour qu’elle soit le moins démocratique possible, il mettra tout son poids pour que les rôles de l’armée, la monarchie et l’église catholique soient bien inscrites dans le marbre, à jamais.
Il peut donc se retirer tranquille. Les jeunes fascistes sont nombreux et avides de revanche et de pouvoir. Fraga avait créé ALIANZA POPULAR, l’actuel Parti Populaire au pouvoir, où les vieux comme les jeunes nostalgiques du franquisme peuvent relancer "démocratiquement" la "reconquête de l’Espagne face au péril rouge et séparatiste". Avant de se retirer, Fraga passera la main de son parti à son dauphin le jeune phalangiste Jose Maria Aznar.
Comme Franco, Fraga meurt dans son lit. L’Espagne des puissants, celle de l’Eglise, des "socialistes" et des fascistes, a su le protéger pour qu’il évite de répondre devant un tribunal. Les crimes du franquisme ont encore de beaux jours devant eux.
André Fadda
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