Ce territoire connaît depuis 1623 une sorte de crise révolutionnaire provinciale, parfois larvée, parfois explosive sous forme d’insurrections armées.
L’Etat royal français manque d’argent pour financer son armée et son administration de plus en plus nombreuse dans les provinces. Son engagement dans la Guerre de Trente Ans oblige à augmenter encore les impôts.
L’historien Victor-Lucien Tapié résume bien en deux phrases la situation : Pendant le règne de Louis XIII (1617-1643), le monde rural connaît des époques de grande misère, en raison des guerres, des impôts, sans même parler des brigandages et des épidémies... En Normandie, chacun trouvait son sujet de plainte, dans le monde de la robe (Justice), chez les fabricants, les commerçants, les artisans, parmi les professions libérales, à la campagne.
En janvier 1639, les habitants de la Basse Normandie (actuels départements du Calvados, du Cotentin et de l’Orne) perdent leurs avantages concernant l’exploitation du sel qui faisait vivre des milliers de familles (un quart pour le roi et trois quarts pour les producteurs). Dorénavant, toute la production est soumise à la gabelle et seulement vendue dans les greniers à sel royaux. Les habitants de la baie du Mont Saint Michel sont les premiers concernés.
Dans un contexte de méfiance vis à vis des notables venus d’ailleurs, Charles Le Poupinel, sieur de la Besnadière, entre dans Avranches le 16 juillet 1639 ; il est assassiné par la population. En quelques semaines, la révolte gagne toutes les villes des environs : Pontorson, Saint Aubin, Mortain, Vire, Domfront...
En même temps, le tocsin résonne d’une paroisse à l’autre appelant urgemment au rassemblement ; une armée de paysans se forme ainsi, dirigée par des gentilhommes et des prêtres avec pour chef Jean-va-nu-pieds.
L’insurrection se répand alors comme une traînée de poudre Jusqu’à Caen, Bayeux puis Rouen, seconde ville du royaume. Sur la fin de l’année, les Va-nu-pieds comptent 20000 combattants. Un état-major mal connu unifie le mouvement sur l’abrogation de tous les impôts depuis Henri IV. Il diffuse des manifestes conviant toute la Normandie mais aussi le Poitou et la Bretagne se joindre à eux. Ces écrits sont, à tort, peu signalés par les historiens et les manuels scolaires. La qualité de certains vers peut être discutée mais ils traduisent l’état d’esprit de cette insurrection bien mieux que ne peut le faire quiconque près de quatre siècles plus tard.
Il est signé du "capitaine Jean Nudpiedz, général de l’armée de souffrance".
Que des gens enrichis avec leurs impôts
Oppressent le public par leurs conjurations,
Qu’ils fassent des traînées avec leurs suppôts,
Qu’ils vendent leur patrie avec leurs factions,
Et que, trop glorieux, ils se moquent de nous,
Portant à nos dépens, le satin et le velours ;
Cela ne se peut pas, sans que de leur trahison,
Tout nud-piedz que je sois, n’abaisse l’ambition.
.
... J’arrêterai le cours de tant de voleries,
Qui tous les jours se voient pour oppresser le peuple...
Et moi, je souffrirai un peuple languissant
Dessous la tyrannie ; et qu’un tas de hors-sains
L’oppressent tous les jours avec leurs partis,
Je jure l’empêcher, Tout nud-piedz que je suis.
.
Je ne redoute point leurs menaces hachées,
Mes gens sont bons soldats, et qui, en m’appuyant,
Me fourniront assez de compagnies rangées,
Pour soutenir hardis, avec mes paysans,
Contre ces gabeleurs, vrais tyrans d’Hyrcanie,
Qui veulent oppresser peuples et nations,
Par des solliciteurs de tant de tyrannies,
Contre lesquels s’opposent Normands, Poitevins et Bretons.
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Vous, Paris, qui tenez le premier rang au monde,
Montrez votre valeur au secours des souffrants,
Assistant de vos forces, une troupe féconde,
Rouennais valeureux et Caennois vos agents,
Valognes et Saint Lô, Varentan et Bayeux,
Domfront, Vire, Coutances, Fallaise, aussi Lisieux,
Rennes, Fougères, Dôle, Avranches et Evreux,
Secourez en tout temps, un nud-piedz généreux.
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Courtisans, délaissez à présent vos maîtresses,
Le temps ne permet plus d’user d’attifetz (ornements)
Le peuple est ennuyé de vos molles caresses
Et ne vous peut souffrir avec tant de colletz (parures autour du cou)
Saint Malo vous demande, Tombelaine, aussi Grandville,
Ports de mer souverains, voisins de Saint Michel,
Les requérant un jour, vous serviront d’asile,
Avec Jean nuds-piedz votre grand colonel.
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La tyrannie qu’on voit, jointe à l’impiété,
Me fait lever les armes, en faveur des souffrants.
Mon cher pays, tu n’en peux plus,
Que t’a servi d’être fidèle ?
Pour tant de services rendus,
On te veut imposer la gabelle.
Est-ce la récompense attendue
Pour avoir si bien défendu
La couronne des roys de France,
Et pour avoir, tant de fois,
Remis les lys en assurance,
Malgré l’Espagnol et l’Anglois.
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... Fais voir que ton bras est plus fort
Et qu’il n’a que trop de puissance
Pour combattre tous ces tyrans,
Qui crieront, sentant ta vaillance,
Seigneur, sauve-nous des Normands.
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Quoi, nous défendre est-il trop tard ?
Nous sommes trop dans la détresse ;
Les armées et le cardinal
Ont tous nos biens et nos richesses.
Après n’avoir plus rien du tout,
Pourrions nous bien venir à bout...
Oui, le proverbe de nos vieilles
Dit qu’IL vaut mieux tard que jamais.
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Assiste un valeureux nuds-piedz,
Montre que tes villes sont pleines
De gens de guerre bien zélés
Pour combattre sous ses enseignes.
Tu vois que tout est apprêté
De servir pour la liberté,
Comme Rouen, Valognes, Chartres,
Si vous ne conservez vos chartes,
Normands, vous n’avez point de coeur.
Les villes normandes suivent l’une après l’autre l’exemple des milieux ruraux.
Rouen, capitale provinciale, représente alors la 2ème ville du royaume par sa population et par son activité économique.
Les services financiers de Richelieu inventent sans cesse de nouvelles taxes touchant particulièrement artisans et commerçants.
Un de ces prélèvements touchant à la profession de teinturier va provoquer l’étincelle. Dès l’apparition de l’officier chargé de le collecter, il est tué sur le parvis de la cathédrale.
Durant quatre jours, 20, 21, 22 et 23 août 1639, les maisons des négociants sont attaquées et pillées par des jeunes dirigés par le fils d’un coutelier horloger nommé Gorin.
L’émeute s’élargit et s’enhardit de jour en jour. Ce sont à présent les bureaux des aides qui cristallisent la fureur populaire et se voient attaqués, particulièrement ceux sur les cuirs et les cartes, impôts particulièrement détestés.
D’autres centres urbains relaient alors l’insurrection de Rouen. C’est le cas de Caen où les artisans assiègent les maisons bourgeoises. C’est le cas à Bayeux...
Pour casser et réprimer un tel mouvement, Richelieu, toujours aussi cruel, fait appel aux unités d’élite étrangères commandées par le colonel Gassion. Les soldats pourront piller, violer, pendre comme cela leur fera plaisir. Militairement, même l’armée des va-pieds, ne peut résister.
A partir du début janvier 1640, la Normandie est livrée à la répression comme un territoire conquis. Le Parlement de Rouen est interdit de réunion. La ville est frappée d’une indemnité de plus d’un million de livres. Des enquêtes commencent pour chercher les coupables et indemniser traitants et fermiers. Les municipalités sont dissoutes et remplacées par des hommes du pouvoir. Tous les impôts contestés sont rétablis avec rétroactif depuis le 7 juin 1639. Les habitants doivent loger les soldats et leur payer leur solde.
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