Calas supplicié à Toulouse le 10 mars 1762

jeudi 14 mars 2024.
 

Jean Calas naît en 1698 dans une famille protestante de Castres qui le fait baptiser par l’Eglise catholique en raison de la terreur que celle-ci fait subir aux hérétiques. A l’âge de 24 ans, il s’installe comme marchand en lingerie, rue des Filatiers à Toulouse. En 1731, il épouse Anne-Rose Cabibel, protestante comme lui avec laquelle il aura quatre fils (Marc-Antoine, Pierre, Louis et Donat) et deux filles, Anne et Anne-Rose.

L’aîné, Marc-Antoine, fait des études, est reçu comme bachelier en droit mais la hiérarchie catholique lui refuse le certificat qui lui permettrait d’exercer. Il vit mal l’obligation de continuer à habiter chez ses parents. Il est retrouvé pendu le 13 octobre 1761 au rez de chaussée de la maison familiale. Les Calas le dépendent ; pourquoi ? parce que le suicide est condamné par l’Eglise catholique, d’où des conséquences atroces : corps traîné par les rues, tête en bas et face contre terre puis pendu au gibet par les pieds, jeté aux ordures, enfin confiscation de tous les biens.

L’enquête diligentée par le capitoul de Toulouse, David de Beaudrique, auprès du père, du frère, d’un invité présent ce soir-là et de la servante, catholique fervente, permet de conclure qu’ils ont maquillé la mort de Marc-Antoine en le dépendant. La procédure utilisée est symbolique des aspects moyenâgeux de la justice d’Ancien régime et de ses liens avec le monopole idéologique total de l’Eglise catholique :

- pas d’avocat

- suspect accusé avant le début de l’enquête

- secret total de l’instruction

- procédure inquisitoriale dans la recherche de preuves (monitoire et adminicules) comme dans les peines infligées.

- pas de motivation du jugement

Les prêtres proclament lors du sermon dominical un monitoire demandant aux "témoins" de se présenter devant la justice, sous peine d’excommunication. Pour cette affaire Calas, l’énoncé précise ce que les témoins doivent affirmer ; l’hypothèse du suicide n’est pas avancée ; le désir de conversion de Marc-Antoine est considéré comme une certitude alors que les études ultérieures l’infirmeront.

Voici quelques phrases de ce texte invraisemblable, lancé le 17 octobre 1761, dans lequel des croyants catholiques sont menacés d’excommunication s’ils ont "oui-dire ou autrement" une accusation portée par le monitoire lui-même et qu’ils ne témoignent pas dans le sens demandé.

« Contre tous ceux qui sauront par oui-dire ou autrement que le Sieur Marc-Antoine Calas, Aîné, avait renoncé à la Religion prétendue réformée...

Contre tous ceux qui sauront par oui-dire ou autrement, qu’à cause de ce changement de croyance le Sieur Marc-Antoine Calas était menacé, maltraité et regardé de mauvais oeil dans sa maison...

Contre tous ceux qui savent, par oui-dire ou autrement, que le 13 courant au matin, il se tint une délibération dans une maison de la paroisse de la Daurade où la mort de Marc-Antoine Calas fut résolue.

Contre tous ceux qui savent, par oui-dire ou autrement, que le même treize du mois d’octobre, depuis l’entrée de la nuit jusque vers les dix heures, cette exécrable délibération fut exécutée en faisant mettre Marc-Antoine Calas à genoux... fut étranglé ou pendu avec une corde à deux noeuds coulants... »

« Avec un pareil acte, écrira Michelet, le procès était tout fait, tout jugé. »

Le même document est placardé à la porte des églises. Qu’attend l’Eglise et la justice de ce type de témoin ? d’accumuler des adminicules (paroles et écrits qui, sans former une preuve complète, contribuent à faire preuve et sont comptabilisés comme des quarts de preuve). Voltaire dénonce avec logique cette justice d’abrutis : « Ces Visigoths ont pour maxime que quatre quarts de preuve, et huit huitièmes, font deux preuves complètes, et ils donnent à des ouï-dire le nom de quarts de preuve et de huitièmes. Que dites-vous de cette manière de raisonner et de juger ? Est-il possible que la vie des hommes dépende de gens aussi absurdes ? »

Le clergé toulousain et ses fidèles abrutis de soumission hebdomadaire, prétendent donc que Marc Antoine voulait se convertir au catholicisme (87 dépositions en ce sens) et qu’il a été tué par sa famille pour cette raison. Ils réclament une punition exemplaire des "coupables". Pour relancer la haine des parpaillots, ils font courir le bruit que les familles protestantes ont reçu ordre de tuer leurs enfants lorsqu’ils veulent se convertir.

La procédure de la "question" a surtout pour but de faire "avouer" l’accusé par tous les procédés de torture imaginables. Jean Calas "avoue" lui aussi dans de telles conditions puis se rétracte fièrement ; malgré la reprise des tortures, il ne changera pas d’avis.

Le 18 novembre 1761, Anne-Rose, Pierre et la servante sont mis aux fers (attachés par des chaînes dans un cachot insipide) et condamnés à la question (torture moyennageuse) ; leurs biens sont confisqués. La mère abandonne ainsi sa dot et ses autres possessions. Ils font tous appel du jugement devant le Parlement de Toulouse.

Pacal Rabaut, extraordinaire pasteur protestant dont le nom restera synonyme des plus belles valeurs humaines, signe un Mémoire dans lequel on réfute une nouvelle accusation intentée aux protestants de la province de Languedoc à l’occasion de l’affaire du sieur Calas ; cet opuscule se voit condamné par le Parlement de Toulouse à être lacéré et brûlé.

Le 9 mars 1762, le même Parlement condamne le père pour parricide.

10 mars 1762 Jean Calas, honorable toulousain de 64 ans, est attaché sur une croix de Saint-André, place Saint Georges dans le centre ville. Le bourreau abat ensuite sa barre de fer pour briser un bras puis l’autre, puis une jambe, puis l’autre. malgré la douleur, le malheureux ne cesse de crier son innocence. Le spectacle des boucs-émissaires suppliciés satisfait toujours les foules endoctrinées. Dans le cas de Calas, son coeur résiste des heures au point que le bourreau finit par l’étrangler avant de brûler son corps sur un bûcher puis de jeter ses cendres au vent.

Quelques personnes vont contribuer à innocenter Jean Calas durant les années suivantes :

- le dernier fils Calas (Donat), exilé en Suisse, se rend auprès de Voltaire et le convainc de l’innocence de son père.

- Voltaire "La vérité importe au genre humain"

- le médecin Antoine Louis, spécialiste des autopsies, expert assermenté auprès des cours civiles et criminelles du royaume, comprend à la lecture des seules premières constatations sur le corps de Marc-Antoine qu’il s’agit d’une erreur judiciaire. Le 14 avril 1763, il présente devant l’Académie royale de chirurgie son "Mémoire... pour distinguer l’inspection d’un corps trouvé pendu le signe du suicide avec ceux de l’assassinat". Il prouve l’impossibilité du meurtre par le père ; sa démonstration convainc les meilleurs chirurgiens et émeut les magistrats du Grand Conseil du royaume.

Le 4 juin 1764, le Conseil privé du roi casse le jugement qui avait condamné Jean Calas. Le 9 mars 1765, le tribunal des requêtes de Versailles réhabilite toute la famille. La veuve reçoit 36000 livres de dommages et intérêts.

CONCLUSION

L’affaire Calas représente depuis deux siècles et demi le symbole :

- de la vindicte hâtive de notables catholiques aussi haineux qu’incompétents,

- du communautarisme religieux,

- des peines moyennageuses de la justice d’Ancien régime

- mais aussi un symbole du rôle moral possible des intellectuels progressistes.

BIBLIOGRAPHIE

L’affaire Calas, par José Cubero, Perrin 1993

L’Histoire n° 323 Calas innocent : les preuves par la science

Nouvelle revue pédagogique n°44 L’affaire Calas : l’ombre d’une injustice à l’époque des Lumières

SITOGRAPHIE

http://www.monsieur-biographie.com/...

http://www.site-magister.com/afcal.htm

Complément : Victor Hugo résume l’affaire Calas en 1878 : comment l’Eglise et la justice d’Ancien régime assassinent les innocents

A Toulouse, le 13 octobre 1764, on trouve dans la salle basse d’une maison un jeune homme pendu. La foule s’ameute, le clergé fulmine, la magistrature informe. C’est un suicide, on en fait un assassinat. Dans quel intérêt ? Dans l’intérêt de la religion. Et qui accuse-t-on ? Le père. C’est un huguenot, et il a voulu empêcher son fils de se faire catholique. Il y a monstruosité morale et impossibilité matérielle ; n’importe ! ce père a tué son fils ! ce vieillard a pendu ce jeune homme. La justice travaille, et voici le dénouement.

Le 9 mars 1762, un homme en cheveux blancs, Jean Calas, est amené sur une place publique, on le met nu, on l’étend sur une roue, les membres liés en porte-à-faux, la tête pendante. Trois hommes sont là, sur l’échafaud, un capitoul, nommé David, chargé de soigner le supplice, un prêtre, qui tient un crucifix, et le bourreau, une barre de fer à la main. Le patient, stupéfait et terrible, ne regarde pas le prêtre et regarde le bourreau.

Le bourreau lève la barre de fer et lui brise un bras. Le patient hurle et s’évanouit. Le capitoul s’empresse, on fait respirer des sels au condamné, il revient à la vie ; alors nouveau coup de barre, nouveau hurlement ; Calas perd connaissance ; on le ranime, et le bourreau recommence ; et comme chaque membre, devant être rompu en deux endroits, reçoit deux coups, cela fait huit supplices. Après le huitième évanouissement, le prêtre lui offre le crucifix à baiser, Calas détourne la tête, et le bourreau lui donne le coup de grâce, c’est-à-dire lui écrase la poitrine avec le gros bout de la barre de fer.

Ainsi expira Jean Calas. Cela dura deux heures. Après sa mort, l’évidence du suicide apparut. Mais un assassinat avait été commis. Par qui ? Par les juges. (Vive sensation. Applaudissements.)


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