Actualité de la paix, de 1914 à 2014 (Gaza)

mercredi 13 août 2014.
 

Les célébrations nationales du déclenchement de la Première Guerre mondiale semblent être passées à l’essoreuse de l’idéologie dominante.

Celle d’une sorte d’aseptisation pour bien en cacher les causes, les acteurs essentiels et les effets politiques de long terme. Ainsi, ceux qui font mine de commémorer Jean Jaurès le jeudi l’oublient définitivement le dimanche. Lui avait alerté sur les dangers de cette tuerie et avait tout fait pour mobiliser contre ses causes. Nous n’acceptons pas cette tentative de consensus artificiel autour du douloureux souvenir qui, du monument aux morts du village le plus reculé à la flamme du soldat inconnu sous l’arc de Triomphe, résonne dans l’intimité de millions de familles.

Si commémorer consiste bien évidemment à rendre hommage au million et demi de Français massacrés, à cette génération sacrifiée et mutilée, aux soldats des colonies, tirés de leur pays natal pour aller mourir sur cette terre inconnue, nous n’oublions pas que commémorer consiste également à se souvenir des raisons qui ont poussé des populations, des nations et tout un continent, à se jeter à corps perdu dans l’abîme.

La Première Guerre mondiale ne fut pas « une guerre juste ». Elle fut une guerre qu’il ne fallait pas faire, commandée par des intérêts impérialistes, des rivalités coloniales, la guerre économique et un nationalisme belliqueux. L’Union sacrée de la victoire qui succéda à l’Union sacrée de la guerre chercha à gommer bien des aspects de la grande boucherie et il est bien triste de constater que, cent ans après, la cécité domine encore. Comment ne pas se souvenir qu’une fois Jaurès assassiné, et avec lui les derniers espoirs de paix, le pays entier, prisonnier de sa fièvre nationaliste, s’engagea sans compter ses morts dans la boucherie sanglante ; que chaque mètre gagné dans les tranchées fangeuses justifiait, aux yeux d’aristocrates généraux incompétents, l’odieux carnage ; que la personne humaine comptait si peu pour atteindre des objectifs de guerre absurdes.

Nous n’oublions pas que le traité de Versailles et les différents traités qui firent suite à l’armistice ont érigé l’humiliation des peuples vaincus, si chère à Clemenceau, comme principe, bien plus qu’ils n’ont contribué à préparer les conditions d’une paix durable. Ils allaient semer les germes de la revanche et préparer, à bien des égards, le cataclysme, vingt ans plus tard, de la Seconde Guerre mondiale.

Sous couvert de raison d’État, de défense de la nation, les élites françaises ont justifié l’injustifiable. Dès lors comment continuer comme avant ? Comment dans un monde livré à des instincts aussi primaires, au mépris de classe le plus sauvage, ne pas chercher à faire émerger un monde nouveau, à éradiquer les causes des guerres, à travailler à l’unité de l’ensemble des travailleurs. À la suite de cette mêlée barbare, le mouvement ouvrier, dont Jaurès pensait qu’il était la seule chance de paix, cherchera à lever la tête pour réaffirmer la nécessité de bâtir un monde de la paix, et d’amitié entre les peuples.

Nous portons, pour notre part, le souvenir de toutes les consciences libres qui, de Stefan Zweig à Jean Jaurès, d’Albert Einstein à Henri Barbusse,des mutins de 1917 à ceux de la mer Noire, avaient une si haute idée de la civilisation européenne qu’ils se refusaient à suivre la cynique propagande belliqueuse et nationaliste des va-t-en-guerre de chaque pays. Nous nous souvenons de Romain Rolland qui, dès 1914, écrivait ces lignes stupéfiantes de sagacité : « Cette jeunesse avide de se sacrifier, quel but avez-vous offert à son dévouement magnanime ? L’égorgement mutuel de ces jeunes héros ! La guerre européenne, cette mêlée sacrilège, qui offre le spectacle d’une Europe démente, montant sur le bûcher et se déchirant de ses mains. »

Réfléchir aux causes des guerres est un exercice d’autant plus indispensable aujourd’hui que la raison semble avoir fui à nouveau les dirigeants des États au profit de tensions multiples et du recours aux armes. La course aux armements a repris de plus belle ! Les dépenses militaires mondiales ont doublé depuis 1990, la machine de guerre que constitue l’OTAN supplante de plus en plus l’Organisation des Nations unies. Aux portes de l’Europe, en Ukraine, s’affrontent de grandes puissances impérialistes, prolongeant leur guerre économique pour le contrôle de ressources énergétiques. Une grande partie du Moyen-Orient est placée dans un insupportable chaos après des interventions nord-américaines ; en Libye, les chefs de guerre Sarkozy et Cameron ont laissé le pays exsangue, saccagé, aux mains de milices qui s’entre-tuent pour le contrôle de quelques puits de pétrole. Voici que les chrétiens d’Orient, dont la culture est enracinée sur les rives de l’Euphrate, sont pourchassés et massacrés. L’Afrique, ce continent si riche mais aussi si convoité, où de grands groupes capitalistes viennent se servir, n’en finit pas de vivre au rythme de guerres interethniques et, comme dans de nombreux pays arabes, le terrorisme y pousse et repousse sur le terreau de la misère et de la pauvreté pour lui aussi dominer les travailleurs, priver de liberté et mutiler les femmes.

Aucune nation, aucun peuple ne serait épargné si la course aux arsenaux nucléaires n’était pas stoppée. Il y a urgence à faire respecter le traité de non-prolifération des armes nucléaires.

Et à Gaza, une nouvelle fois, les bombes israéliennes, souvent fournies par les États-Unis et des pays européens, pleuvent sur des enfants innocents, un peuple prisonnier et emmuré. Aucun être humain de coeur et de raison ne peut laisser faire sans crier sa colère. Une colère contre le gouvernement de droite israélien, soutenu par l’extrême droite, mais une colère aussi contre les grandes puissances, États-Unis et Union européenne en tête. Celles-ci laissent bafouer le droit. Celui pour le peuple palestinien de disposer de sa terre, de son État. Celui pour le peuple israélien de vivre en sécurité. Et pour les deux le droit à la vie et à la paix. Mais, croire ou laisser croire que la sécurité pour Israël s’obtiendra en humiliant sans cesse les enfants palestiniens, en leur imposant blocus, mur de séparation, vol de leur terre et de leur eau, destructions de leurs écoles, c’est accepter le crime. Il ne faut plus l’accepter ! La sécurité est antinomique avec la terreur et la guerre perpétuelle. Les dirigeants israéliens le savent. Alors, veulent-ils vraiment la sécurité pour leurs propres citoyens ? Ne nourrissent-ils pas plutôt un projet de long terme : celui du « grand Israël » qui implique la négation pure et simple des Palestiniens et de la Palestine ?

Il ne faut pas laisser faire ! Celles et ceux qui manifestent régulièrement dans nos villes et ailleurs dans le monde pour l’application du droit international sont l’honneur de la belle et grande cause humaine. J’ai énuméré, ici même la semaine dernière, plusieurs actions politiques à développer.

Face aux mensonges de la droite israélienne, à cette arrogance allant jusqu’à bombarder des écoles sous contrôle des institutions de l’ONU, au torpillage de toute discussion, y compris celles menées par les États-Unis (on apprend désormais qu’ils écoutaient les conversations de J. Kerry avec les dirigeants palestiniens), il faut des actes.

Des actes de la part de notre gouvernement et de l’Union européenne. Enfin le président F. Hollande a haussé le ton lundi dernier. Pourquoi avoir attendu alors que ce carnage dure depuis trente jours avec deux mille tués et près de dix mille blessés ? Il faut des actes d’urgence et cesser de tergiverser ! Il faut des sanctions ! Par-delà les trêves et les cessez-le-feu, il faut maintenant s’atteler à la question de fond : l’existence d’un État palestinien. Des sanctions pour faire asseoir le gouvernement israélien à une table des négociations où il doit reconnaître le droit international et permettre au peuple palestinien de recouvrer sa souveraineté politique, territoriale et économique.

L’un des moyens est de suspendre l’accord d’association Union européenne-Israël et cesser tout échange commercial, particulièrement pour les produits issus des colonies. Comme pour l’Afrique du Sud en son temps, une campagne populaire internationale de boycott et de désinvestissement permettra de modifier concrètement le rapport des forces tout en créant de nouvelles alliances avec la société israélienne. Tous les citoyens peuvent s’emparer de ce mot d’ordre et agir. Ce sera efficace. La liste des produits importés est disponible. Agissons solidairement.

L’assemblée générale des Nations unies doit pouvoir se saisir directement des crimes humanitaires et de guerre qui ont lieu à Gaza, ainsi que du refus d’appliquer toutes les résolutions antérieures. La Palestine doit pouvoir adhérer à la Cour pénale internationale pour faire valoir ses droits. Continuer de tergiverser sur cet enjeu, c’est laisser l’autorité palestinienne désarmée. Enfin, une nouvelle fois, nous demandons la protection internationale du peuple palestinien (1) avec un mandat clair de l’ONU en ce sens, en discutant avec l’autorité palestinienne de ses besoins, mais aussi des moyens à initier pour reconstruire Gaza et relancer l’économie en Palestine.

En même temps, il faut soutenir le processus d’unité palestinienne pour que se tiennent des élections libres dans toute la Palestine. Libres implique de libérer tous les prisonniers politiques, dont les parlementaires et Marwan Barghouti. Refusons la guerre israélienne perpétuelle ! Elle est un poison pour toute la région. Elle est le symbole d’un blocage empêchant de construire un nouvel ordre mondial de paix et de justice.

N’oublions jamais ce fulgurant message de Jean Jaurès, à l’attention de ceux qui utilisaient déjà à l’époque l’argument de la guerre pour la liberté : « Donner la liberté au monde par la force est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises. En la donnant on la retire. » Rien n’est plus vrai !

par Patrick Le Hyaric, eurodéputé du Front de Gauche, directeur de L’Humanité


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