12 octobre 1932 Mort de Fernand Loriot, le militant qui sauva l’honneur du socialisme français entre 1914 et 1918

mardi 13 octobre 2020.
 

Hommage de Pierre Monatte à Fernand Loriot

Loriot est à l’hôpital Saint-Denis, il va très mal. J’apprenais cette nouvelle dans l’après-midi du Mercredi 12 Octobre 1932. Le même jour il mourait, à l’âge de soixante-deux ans.

Nous ne nous étions pas rencontré, si je me souviens bien, depuis l’enterrement de Fulconis. Son visage creusé, sa taille plus voûtée m’avaient frappé. « Ça ne va pas fort, mais ça va mieux », m’avait-il dit. On ne s’était pas revu depuis. Nulle part on ne se rencontre plus difficilement qu’à Paris. Surtout quand les camarades de pensée ne sont pas entraînés par le courant comme après 1919, ou ne se tiennent coude à coude pour le remonter comme après 1914. Nous ne sommes pas à l’une de ces périodes. Chacun est plus ou moins tenté de rester dans son coin, pris par son travail et ses soucis. Loriot a toujours travaillé dur. Longtemps, il a dû accepter des travaux de comptabilité, après sa classe, pour faire face à ses charges. Même une fois sa retraite prise. Et le faire malgré une santé menacée.

Un dernier échange de lettres remonte à plusieurs mois. Je lui avais écrit au sujet d’un certain nombre d’inexactitudes, entre beaucoup, rapportées par Ferrat dans son « histoire du parti communiste français ». Sa réponse est datée du 23 mars 1932.

Nous n’étions guère nombreux Samedi 15 Octobre 1932, dans le cimetière de Pantin, derrière le cercueil de celui qui sauva l’honneur du socialisme français pendant la guerre et qui personnifia ici le communisme dans les années 1917-1920.

Ceux qui exploitent le monopole du socialisme comme ceux qui détiennent le monopole du communisme n’ont pas ressenti la perte d’un des leurs. C’est trop naturel.

Mais dans le monde entier, les hommes qui restèrent internationalistes pendant la guerre et se portèrent tout de suite à la défense de la révolution russe, ceux-là dans tous les pays, en Russie comme ailleurs, plus qu’ailleurs, et pas seulement parmi les opposants, déportés ou non, auront baissé le front à la nouvelle de la mort de Loriot.

Il sauva l’honneur

Oui, l’on peut dire de Loriot qu’il sauva l’honneur du socialisme français pendant la guerre. Ce n’est pas une fleur pour oraison funèbre. C’est la pure vérité. Il a eu le courage d’aller plus loin que Bourderon, et de poursuivre l’effort de Zimmerwald. Il l’a continuée même lorsque Louise Saumonneau, qui l’avait secondé jusqu’alors, se retira, effrayée à la perspective d’une scission du parti socialiste.

Il y avait deux branches dans le comité pour la reprise des relations internationales, une branche socialiste et une branche syndicaliste. Loriot appartenait plutôt à la première. Il était au parti socialiste avant-guerre. Les camarades de Puteaux ne l’ont pas oublié. Cela ne l’empêchait pas, bien sûr, de militer à son syndicat, mais il attachait plus de prix au parti qu’au syndicat, et c’est à la fin de sa vie seulement qu’il modifia son point de vue.

Bouët a rappelé dans l’« Ecole Emancipée » un fait peu connu. Au lendemain du congrès de Chambéry, en pleine tourmente des syndicats d’instituteurs et en pleine répression, c’est Loriot qui prit la fonction de trésorier dans le nouveau bureau fédéral constitué par le syndicat de la Seine. En 1913, au congrès de Bourges, Glay et ses amis, qui avaient appelé à la rescousse Laval, l’avocat de la fédération, préconisaient la dissolution et disaient à Chalopin qu’il n’aurait plus personne dans la Seine, qu’il serait révoqué, ainsi que tous ceux qui entreraient au bureau fédéral, le ministre en avait fait la menace. Du fond de la salle une voix s’éleva, celle du trésorier, en train de verser aux délégués leurs indemnités de chemin de fer, « tu ne seras pas seul, Chalopin, tu peux compter sur moi ».

Ce Loriot des jours héroïques, on devait le retrouver non pas au mois d’août 1915, comme l’écrit Bouët, mais certainement plus tôt. Il s’était laissé entraîner au début par la vague d’union sacrée.

Ses adversaires du parti lui ont souvent reproché un article écrit dans les premières semaines de guerre. Mais il s’était ressaisi très vite. J’en trouve le témoignage dans une lettre que m’écrivait Marie Guillot en janvier 1915, elle m’annonçait avoir vu Lapierre, celui du syndicat national, et appris par lui que non seulement lui-même mais Loriot et le vieux Murgier (le bûcheron) étaient disposés à lutter. Il faut dire que les marseillais, Lafosse, Audoye et leurs camarades, qui avaient la charge de l’« Ecole Emancipée » et qui la portèrent avec tant de mérite pendant toute la guerre, avaient tout de suite donné l’exemple de la résistance. Les militants de province et de Paris de la fédération de l’enseignement, ont sans doute discuté entre eux à ce premier congrès fédéral de guerre, tenu à la veille d’une conférence confédérale, ils ont mis au point leurs opinions. Loriot mettait un soin méticuleux à ces discussions. Mais il y avait déjà plusieurs mois qu’il était gagné.

En octobre-novembre 1914, Hélène Brion, dans les discussions du comité confédéral, on s’en rendra compte quand la CGT se décidera à publier les procès-verbaux du comité confédéral de cette époque, penchait déjà de notre côté. Elle, ni Loriot n’avaient pas attendu août 1915 pour se ranger parmi les pacifistes et les internationalistes.

Loriot travailla d’accord avec Merrheim jusqu’à la conférence des bourses et des fédérations qui se tint à Clermont en décembre 1917.

Cependant Merrheim, au cours de l’année 1917, s’occupait moins du comité pour la reprise des relations internationales. Une cassure s’était produite au sein de la section syndicaliste, certains éléments étaient partis pour former le comité de défense syndicaliste. Loriot m’a raconté que, n’ayant pas compris les raisons de cette cassure, il avait fait une démarche auprès du comité de défense pour tenter de le ramener, il y avait échoué, mais avait compris la difficulté d’un travail commun.

C’est aussi parce que Merrheim et Bourderon refusaient, en avril 1917, de répondre à la convocation en Suisse d’une nouvelle conférence internationale, que Loriot y partait. Cette conférence, il ne l’apprit que sur place, devait fixer l’attitude des révolutionnaires russes réfugiés en Suisse avant le refus des alliés de leur laisser traverser leur territoire pour rentrer.

Au cours de 1917, Loriot et Saumonneau doivent peu à peu assumer le travail du Comité de la reprise délaissé par Merrheim. Si bien qu’à partir de 1918 ils en sont les chefs de file. En juillet 1918, au congrès confédéral, Merrheim signe une trêve avec Jouhaux. Mais le même mois, au conseil national socialiste, la droite jusqu’au boutiste est battue.

La minorité syndicaliste, qui avait été jusqu’alors à la pointe de l’opposition à la guerre, va marquer un mouvement de recul, tandis que la minorité socialiste, rattrapant son retard, part avec élan. Les chemins de Loriot et de Merrheim s’écartent désormais. Dans le nouveau bureau du parti socialiste, Loriot prend la fonction de trésorier.

Du bolchevisme au syndicalisme

Au début de 1919, la guerre finie, avec le retour des démobilisés, le mouvement va-t-il faire peau neuve ? La tâche du comité de la reprise est achevée, une nouvelle commence.

La troisième internationale est le symbole de l’espérance révolutionnaire. Le comité se transforme et devient le comité de la troisième internationale, il garde ses deux sections, la syndicaliste et la socialiste. Louise Saumonneau ne veut plus du secrétariat, je le prends.

Nous partons pour une double expérience. Les socialistes comme Loriot adhèrent sans réserves au bolchevisme et en adoptent la conception du parti animateur et maître de toutes les autres organisations. Les syndicalistes révolutionnaires, sans adopter cette conception, mais d’accord sur les soviets, et la dictature du prolétariat, pensent pouvoir travailler avec le bolchevisme dans toute l’œuvre révolutionnaire.

Nous nous sommes souvent chamaillés, avec Loriot, il défendait avec ardeur son point de vue, nous défendîmes le nôtre. Mais nous avions tant de pensées communes et tant d’ennemis communs que nous ne pouvions cesser de nous regarder comme de bons camarades. En mai 1920, quand le gouvernement imagina un mystérieux complot pour expliquer et pour briser la deuxième grève des cheminots, nous fûmes fourrés à la Santé, Monmousseau et moi, Loriot et Souvarine qui avait rallié depuis le comité de la troisième internationale. Les deux sections du comité de la troisième internationale étaient ainsi pareillement à l’honneur.

C’est pendant notre séjour de dix mois à la Santé que se produisit à Tours la scission du parti socialiste. On discutera longtemps sur elle. Loriot, a-t-on dit, en avait non seulement accueilli l’hypothèse mais proclamé la nécessité. Le grand crime ! Un parti politique est un organisme basé sur des opinions, ce n’est pas comme le syndicat un organisme basé sur le fait d’être ouvrier, quand dans un parti les opinions se heurtent aussi violemment et sur des questions aussi essentielles que la guerre et la révolution, ce parti est forcé de se briser. Le parti socialiste s’est brisé à Tours. Dans sa large majorité il a rallié la troisième internationale. Il l’aurait ralliée dans une plus large majorité encore si la cassure s’était faite non derrière Frossard et Cachin mais derrière Longuet et Paul Faure. Que serait-il reste autour de Renaudel ? Et même telle que la scission s’était faite, le parti communiste pouvait facilement devenir le grand parti de la classe ouvrière française. Sans la crise ouverte dans le parti russe et dans l’internationale communiste, en 1924, par la mort de Lénine, il le serait devenu probablement. Sans quelque autre chose aussi, les mœurs de cliques que le bolchevisme a étalées partout depuis 1914 pointaient déjà dans l’ombre avec Souvarine. Sans tout cela le parti communiste aurait eu un autre destin. Le parti socialiste pourrait aujourd’hui chercher ses éléments ouvriers.

Peu après son retour de Moscou, où il avait participé au troisième congrès de l’internationale communiste, Loriot fut obligé, par son état de santé, de se mettre en marge du mouvement pour un temps. Il ne devait reparaître qu’en 1925 pour combattre la « bolchévisation ». Au congrès de Clichy, il put mesurer ce qu’était devenu le parti qu’il avait tant contribué à créer. Gouralsky, le délégué de l’internationale, lui proposa, ainsi qu’à Dunois, le marché traditionnel, signez une déclaration désavouant Hoeglund, Monatte et Rosmer et vous rentrez en grâce. Loriot et Dunois l’envoyèrent promener sans ménagement. C’est encore à ce congrès de Clichy que Loriot entendit cette menace de Treint, « nous vous combattrons par tous les moyens ». Ce « par tous les moyens », Loriot ne l’avait jamais pu digérer, il le rappelait à chaque instant.

En 1926, il ne reprit pas sa carte du parti. Cependant, il continua encore à militer avec le groupe de « contre le courant ». Mais un jour se rend compte que l’opposition de parti n’avait pas moins tort que le parti. C’est alors qu’il écrivit ici ses deux articles sur les « problèmes de la révolution prolétarienne ». Il déclarait avec fermeté :

« L’expérience de ces dix dernières années permet aujourd’hui de mesurer l’erreur de la thèse russe sur le parti communiste et ses tâches historiques ». S’il est quelqu’un qui a eu confiance dans le parti, une confiance raisonnée, passionnée, c’est bien Loriot. L’expérience la lui a fait perdre. Sans faux amour-propre il l’a proclamé et s’est rallié au syndicalisme révolutionnaire.

Le coup de pied de l’âne

Ce ralliement a permis à Frossard de montrer un talent de philosophe qui n’a d’égal qu’un ingénu cynisme.

« Depuis des années, a-t-il écrit de Loriot, il n’était plus question de lui qu’au sein de ces petits groupes de doctrinaires immobiles, aigris par de rudes déceptions, et qui passent leur temps à se décerner des certificats de clairvoyance politique sans même s’apercevoir que la vie les a dépassés et les dédaigne. A ces foyers où vacille une flamme pauvre, Loriot était venu prendre place, las sans doute, épuisé physiquement et moralement. »

Frossard préfère les foyers où brille une flamme riche. Pas de crainte qu’il soit prisonnier de ses idées. Quelles idées ? Celles d’avant-hier, d’hier, d’aujourd’hui, de demain, d’après-demain ? Il est tout prêt à en afficher de nouvelles pour jouer un rôle. Pour être quoi ? Député de la Guadeloupe ? Pour enfiler la défroque de Briand ou celle de Laval ? Du moment que celui-ci a pu être président du conseil, pourquoi lui, Frossard, ne pourrait-il en espérer autant ? Ce malin pourrait bien se tromper. Les beaux temps pour les renégats du socialisme touchent à leur fin. La bourgeoisie a ses hommes et le socialisme aura les siens, qui ne seront pas les mêmes. La fidélité à des idées sera bientôt mieux portée. Les sans-idées pourront s’apercevoir que la vie fait mieux que les dépasser et les dédaigner, elle les force à se rouler dans le crottin de la piste du cirque et s’amuse de leurs grimaces.

Ce Loriot, « plus maître d’école qu’instituteur, sans calcul et sans malice, dont le rôle n’était point à sa taille », n’a pas couru après ce rôle pas plus pendant la guerre qu’après, il ne l’a disputé à personne, il l’a pris uniquement parce que personne d’autre ne le prenait, parce que sa droiture, sa conscience et sa fidélité à ses idées lui commandaient de le prendre malgré les dangers qui pouvaient en résulter, le poteau pendant la guerre, l’assassinat politique aujourd’hui, pour les révolutionnaires qui refusent de penser par ordre.

Paru dans la « Révolution Prolétarienne » numéro 140 (25 novembre 1932)


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