Élections. Comment la gauche italienne est tombée si bas

jeudi 1er mars 2018.
 

Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. En 2014, le Parti démocrate (PD) faisait envie à toutes les forces de gauche du Vieux Continent. Aux élections européennes, avec son nouveau dirigeant, Matteo Renzi, cette formation obtenait 40,81 % des voix. L’ancien maire de Florence semblait donner un nouveau souffle à un centre gauche exténué. Pour les élections législatives de dimanche 4 mars, les sondages ne lui prédisent guère que 22 % d’intentions de vote. Peut-être avec ses alliés la coalition de centre gauche pourra-t-elle rassembler 27 % des suffrages, soit moins que la coalition de droite et moins que le Mouvement cinq étoiles (M5S). Quant aux forces qui se réclament encore de la gauche, que ce soit les communistes de Pouvoir au peuple ou les socialistes de Libres et égaux, elles peuvent espérer obtenir à elles deux 10 % des voix.

1 Le renzisme a largué les amarres de la gauche

Pourtant, ce dimanche, à Brescia, Matteo Renzi se voulait rassurant quant au sort du Parti démocrate. «  Nous arriverons les premiers. Ne croyez pas ceux qui disent le contraire  !  » a-t-il lancé à l’assemblée. À l’heure où ses concurrents de droite et du M5S multiplient les promesses, il fait valoir son sérieux et le bilan qui a été le sien au poste de premier ministre, de 2014 à 2016. «  Nous avons créé (…) 1 029 000 nouveaux emplois, dont 50 % à temps indéterminé  », s’est-il vanté. Il répète à l’envi  : la croissance est de retour. Elle s’établit en effet à 2 %.

Son discours est technocratique, celui d’un bon élève de Bruxelles. En attendant, l’électorat de gauche est désorienté. Au pouvoir, Matteo Renzi est revenu sur certaines conquêtes du mouvement ouvrier  : il a supprimé l’article 18 du statut des travailleurs, qui oblige un employeur à réintégrer un salarié injustement licencié, et qui est la cible de la droite depuis les années 1970. Cette disposition du Code du travail avait été défendue de haute lutte en 2003 contre le gouvernement Berlusconi par la CGIL. À l’époque, 3 millions d’Italiens avaient convergé vers Rome. L’ensemble des forces de centre gauche s’était rangé aux côtés des syndicats, Matteo Renzi détonnait déjà  : il soutenait la mesure.

La réforme du marché du travail de Renzi a eu un effet important. Le PD s’est départi de ce qui fait la marque de fabrique de la gauche  : son lien avec les syndicats. «  On ne peut pas dire qu’il ait complètement rompu cette relation, estime Marco Damiani, chercheur en sciences politiques à l’université de Pérouse. Mais les organisations de salariés ont été considérées par Matteo Renzi comme un fardeau dont il fallait se débarrasser pour réorganiser le marché du travail.  » Sur le style également, il y a une rupture. «  Matteo Renzi a eu un type de leadership berlusconien, analyse Maurizio Acerbo, secrétaire du Parti de la refondation communiste (PRC). Cela a érodé la culture de la gauche et permis à la droite, pourtant en très forte crise, de relever la tête.  »

2 UN CENTRE GAUCHE QUI A RENONCÉ DEPUIS LONGTEMPS

Les renoncements à mener une politique de gauche ne sont pas neufs. Le péché originel est à rechercher dans la dissolution du Parti communiste en 1991. Il faut alors aux post-communistes se trouver une identité de substitution et une raison d’être  : ce sera le suivi des dogmes européens. Au pouvoir de 1996 à 2000, et de 2006 à 2008, le centre gauche aura été le champion de la réduction de la dette. De même, il épouse l’idéologie libérale  : on est compétitif grâce à la flexibilité du marché du travail. Ainsi, «  dès 1997, le paquet Treu introduit les contrats flexibles  », rappelle Marco Damiani. Sur le plan symbolique, la création, en octobre 2007, du Parti démocrate, qui absorbe les anciens communistes et une partie des démocrates-chrétiens, s’est soldée par l’éloignement de la gauche du mouvement ouvrier, avec lequel elle était historiquement liée. À l’époque, Walter Veltroni, son secrétaire, stipulait que le PD se trouvait «  à équidistance entre les employés et les employeurs  ». En d’autres termes  : le parti qu’il dirigeait n’avait plus vocation à représenter le monde du travail.

3 LE MOUVEMENT CINQ ÉTOILES concurrence la GAUCHE

La nature a horreur du vide. «  Depuis quelques années, l’espace de la protestation est occupé par le Mouvement cinq étoiles. C’est lui qui a récupéré l’espace de la protestation  », déplore Maurizio Acerbo. Certes, cette formation démagogue développe un discours sur l’immigration qui frise parfois la xénophobie de la Ligue du Nord. Certes, elle se dit désormais, avec son nouveau leader, Luigi Di Maio, pro-européenne, et fait la cour aux entrepreneurs avec une politique fiscale avantageuse. Certes, le M5S cherche à casser tous les corps intermédiaires et a prôné une réforme des syndicats pour le moins dangereuse.

Il n’en demeure pas moins qu’on a pu observer avant 2013 – c’est moins le cas depuis – des transferts de l’électorat de centre gauche et de la gauche radicale vers le vote Mouvement cinq étoiles. À la crise de la démocratie représentative, le M5S oppose une participation citoyenne par les moyens modernes qu’offre Internet. Face aux problèmes environnementaux, une politique écologique radicale est avancée. Et concernant l’insécurité sociale, dans un pays où la protection sociale est faible, la revendication phare du M5S est celle d’un revenu de citoyenneté. Autant de thèmes et valeurs qui parlent à un électorat de gauche lassé du social-libéralisme.

4 UNE GAUCHE RADICALE SUR LE BANC DE TOUCHE

Les forces qui se réclament de la gauche, elles, sont mal en point. «  L’Italie a connu un processus d’individualisation, qui conduit les citoyens à moins se reconnaître dans des référents collectifs  », estime Marco Damiani. La gauche qui ambitionne de représenter le monde du travail en a pâti. À cela s’ajoute la faiblesse des mobilisations sociales de ces dernières années, comparées à celles de 2008 à 2011, lorsque Silvio Berlusconi gouvernait. «  Il est difficile de mobiliser quand il y a un gouvernement de centre gauche au pouvoir. La réforme des retraites à 67 ans a ainsi pu passer car il n’y a eu, en tout et pour tout, que trois heures de grève  », déplore Maurizio Acerbo, du PRC.

La gauche a également pâti d’une division fratricide. Le Parti de la refondation communiste, qui pesait 8 % des voix au début des années 1990, a connu plusieurs scissions, le plus souvent sur la base de l’attitude à adopter concernant les alliances avec le Parti démocrate ou ses prédécesseurs. Dimanche, la liste Pouvoir au peuple espère franchir la barre des 3 %. Cela permettrait aux communistes qui y participent de revenir au Parlement, d’où ils sont absents depuis 2008.

Une autre force, Libres et égaux, est créditée de 6 % des intentions de vote. Cette coalition, qui rassemble des anciens du PRC favorables aux alliances avec le centre gauche et des anciens du Parti démocrate, entend se transformer en parti au lendemain des élections.

Gaël De Santis, L’Humanité


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