Battisti : ce qui n’a pas été dit dans les médias

vendredi 25 janvier 2019.
 

L’événement dont je veux parler est celui de l’arrestation, en Bolivie, de Cesare Battisti, militant d’extrême-gauche italien, accusé de quatre meurtres dans son pays durant les "années de plomb", et réfugié d’abord en France (où il bénéficia de la protection de François Mitterrand), puis, après l’arrivée de la droite en France, réfugié au Brésil, où il bénéficia de nouveau de la protection du président Lula.

Les remarques que j’entends faire sont des remarques sur le "creux", c’est-à-dire sur ce qui n’a pas été dit dans les médias à propos de cette arrestation et du principal intéressé, par exemple dans le journal télévisé de 13 h du dimanche 13 janvier de France 2, présenté par Leïla Kaddour.

1. On met à la charge de Cesare Battisti quatre meurtres en Italie, ce qui était caractéristique du type d’attentats commis par les groupes armés d’extrême-gauche de cette époque : des meurtres individuels, des meurtres à l’unité, dont le plus connu est, bien entendu, celui du président du Conseil et président de la Démocratie chrétienne Aldo Moro, en mai 1978. Cesare Battisti est le plus connu, moins par la gravité des faits dont il est accusé, que par la clémence dont il bénéficia en France et au Brésil – mais aussi, mais surtout – et de manière symétrique et concomitante, de la vindicte dont il fut l’objet de la part de toutes les droites (de la droite italienne comme de la droite française).

A cet égard, on peut même se demander si cette vindicte de la droite, au-delà de Cesare Battisti, ne s’est pas reportée sur la gauche en général, sur les gouvernants qui ont protégé Battisti, et surtout sur tous les milieux qui l’ont soutenu, notamment dans la gauche intellectuelle, détestée en tant que telle par la droite, par exemple Fred Vargas. [Un peu comme, à l’époque de l’Affaire Dreyfus, la haine des Maurras, Drumont, Daudet, Barrès, Déroulède et consorts dépassa le capitaine Dreyfus pour se reporter sur les "intellectuels", les juifs, les francs-maçons et toute cette frange de l’opinion française, à qui la droite attribuait la "décadence" de la France].

2. On n’a pas trop insisté en France, non plus, sur la connivence – pour l’extradition de Battisti – entre les deux gouvernements d’extrême-droite qui président actuellement aux destinées du Brésil et de l’Italie : celui de Matteo Salvini, en Italie, et celui de Jair Bolsonaro, au Brésil (lequel, par ailleurs, a des ascendants italiens émigrés au Brésil).

3. Ce qui est plus surprenant est que Cesare Battisti se soit fait arrêter en Bolivie, pays gouverné par Evo Morales, président supposé progressiste. Qu’est-ce à dire ? Qu’Evo Morales aurait "trahi" ses idéaux ? Ou qu’il gouverne un si petit pays que les pays puissants (par exemple son redoutable voisin brésilien, avec lequel il partage une très longue frontière), peuvent se permettre toutes les pressions sur lui ? [On se souvient ainsi – enfin, "on", pas tout le monde... – que le 2 juillet 2013, l’avion d’Evo Morales, de retour de Moscou et en route vers son pays, avait été contraint d’atterrir à l’aéroport de Vienne, Autriche, car l’Italie, la France, l’Espagne et le Portugal, sur pression des États-Unis, lui avaient interdit le survol de leur territoire].

- Les Étasuniens, en effet, le soupçonnaient d’abriter dans son avion Edward Snowden, alors réfugié à Moscou. Cette violation inouïe du droit international rappelle celle dont fut coupable la France le 22 octobre 1956, lorsqu’elle détourna un avion d’Air Maroc qui transportait les cinq plus hauts dirigeants du FLN algérien, dont Ahmed Ben Bella. Elle révèle que les Étasuniens considérèrent – et traitèrent – un président élu d’un pays d’Amérique latine, reconnu internationalement et admis à l’ONU et dans les instances internationales, comme un vulgaire mafieux ou un trafiquant de drogue. Se seraient-ils permis cette fantaisie avec l’avion de Vladimir Poutine, de Xi Jinping, voire d’Angela Merkel ?

4. L’autre point à relever est la différence de traitement dont sont l’objet, en Italie, les terrorismes de gauche et d’extrême-droite. En effet, autant les attentats de gauche (par exemple ceux des Brigades rouges) furent des attentats individuels, à l’unité, autant ceux d’extrême-droite, furent des attentats de masse. Qu’il s’agisse de l’attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980 (85 morts, 200 blessés), l’attentat du train Italicus, 4 août 1974 (12 morts, 48 blessés), de la piazza della Logia, à Brescia (8 morts, 103 blessés), de la piazza Fontana, à Milan, le 12 décembre 1969, à Milan (17 morts, 88 blessés), tous furent des attentats non au pistolet, au revolver ou au fusil, visant une cible, mais des attentats à la bombe, des attentats d’extrême-droite, visant beaucoup de personnes, dans des gares, dans des trains ou sur des places.

- Or, si un certain nombre des exécutants ou des commanditaires furent appréhendés, jugés et condamnés (et quelquefois acquittés), les principaux commanditaires (des membres des services secrets italiens et américains, de l’OTAN, de l’armée et de la police italienne de l’organisation Gladio, de la loge P2, voire des partis politiques au pouvoir), qui entretinrent une stratégie délibérée de la tension pour empêcher le P.C.I. d’arriver au pouvoir, voire pour fomenter un coup d’État (comme les films Z ou Cadavres exquis l’ont illustré de façon dramatique), ces principaux commanditaires ne furent jamais inquiétés. D’où le deux poids, deux mesures entre le traitement réservé au terrorisme d’extrême-droite et le traitement infligé au terrorisme d’extrême-gauche.

Philippe ARNAUD


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