Nicolas Sarkozy et Carla à Rungis le 27 mai 2008 Debout là-dedans ! Lettre à un gars qui se lève tôt

dimanche 27 mai 2012.
 

Il y a des jours, comme ça, on rêverait d’avoir balancé son radio-réveil par la fenêtre avant de se coucher. Déjà, avant de commencer la journée, aux petites aurores, on t’annonce que le président est allé faire ses courses, avec sa chérie. Comme tout le monde, donc. Sauf que par chez nous, quand on va au marché, on n’emporte pas avec nous la presse locale et les photographes mondains. Mais bon, chacun ses manies, si ça vous fait plaisir de vous balader dans les travées du « plus grand marché de France » avec tout ce que les journaux comptent de plumes acérées (acérées, vraiment ??? ... elles vous sont bien douces, ces jours-ci... ), c’est votre affaire, pas vrai ?

En attendant, M. le Président, c’est bien aimable à vous d’être si près du bon populo, pote avec la France qui se lève tôt. C’est qui donc, monsieur le Président, la France qui se lève tôt ? C’était vous ce matin. Fatalement, pour être à 5 heures à Rungis, fallait bien compter sortir des plumes à 3 heures. Veinard, va ! Voir le soleil se lever sur les toits de Paris, et la lumière qui va avec, trop de chance ! Vous en avez profité pour nous refaire le coup du gars sympa, qui cause avec sa femme comme tout le monde. D’autant que c’est tout à fait son style, à Carla, le petit noir en coin de zinc, et le calendos qui va bien.

Vous en avez profité aussi, comme ça, en douce, pour glisser LA petite phrase qui fait mouche : « Je préfère la France qui se lève tôt à celle qui brûle les abribus, et à celle qui demande des subventions. » et sous-entendu tous ceux qui sont trop feignasses pour accepter n’importe quoi comme boulot. Ben voyons ! Ça ne mange pas de pain, c’est jeté comme ça mine de rien, mais ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, LA petite phrase qui divise, celle qui blâme, celle qui stigmatise. Comme ça, juste en passant, M. le Président, depuis combien de temps on n’a pas brûlé d’abribus, en France ? Vous vous souvenez ? Oui, vous y êtes, les « émeutes » des quartiers « sensibles ». Et vous vous souvenez aussi qui était ministre des policiers en ce temps pas si lointain ?

Alors, oui, sûrement, il y a des voyous, et il faut les corriger. Mais si vous cherchez bien, il y en a aussi parmi vos bons amis :

* de ceux qui ne brûlent pas d’abribus, mais qui foutent au chômage des types qui eux, du coup, aimeraient bien continuer à se lever tôt...

* de ceux dont les salaires sont augmentés de 58 %, encore qu’à ce niveau, m’étonnerait qu’on puisse encore parler de salaires...

Nous aussi, on est la France qui se lève tôt, et même sans caméras. Tous les matins, on sort de dessous la couette pour aller faire tourner la machine, la grosse machine, sauf les jours où on est tellement fâchés qu’on se lève tôt, oui, mais juste pour aller défiler dans les rues, avec nos jolis fanions et nos trompettes et nos sifflets qui voudraient bien sonner la fin de la récré pour vous et vos amis. Enfin, à ce qu’on croit, parce que pour nous entendre, ma parole, vous ne vous êtes pas levé assez tôt ces derniers temps...

Il y a aussi un autre truc qui me titille, M. le Président. Depuis quelques jours, on a une jolie palme toute neuve, venue de Cannes pour un gars tout ce qu’il y a de bien, Laurent Cantet, qui passe son temps avec sa caméra à filmer des gens comme vous et moi. Euh non, en vrai, pas comme vous, comme nous, plutôt ! Ce type a fait quelques films très regardables, sur le monde du travail et les rapports humains que cette foutue machine génère. On vous expliquera ça une autre fois, vous verrez, c’est très différent de ce que joue votre ami Clavier. Vous allez être un brin étonné de ce qu’on peut raconter avec une caméra et trois francs six sous. Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous parler.

Depuis tout à l’heure, on a appris que la maman d’un des héros du film en question, elle allait être régularisée. Magique, comme qui dirait ! Un peu comme le petit gars qui a plongé l’autre jour pour rattraper une brave dame qui se noyait. Régularisé aussi, le cousin ! Dîtes, M. le Président, vous qui aimez la France qui se lève tôt, vous devez les aimer beaucoup, les parents de ceux-là, qui se lèvent tellement tôt pour échapper à vos archers, quand ils viennent les déloger... Avis à tous les sans-papiers d’ici et d’ailleurs, si tu veux avoir un passeport, il y a moyen, à présent : soit tu joues dans un super film, un truc suffisamment costaud quand même pour ramasser des prix, comme « Indigènes » il y a deux ans, ou « Entre les Murs » ce coup-ci. Ça, ça marche du feu de Dieu. Ou alors, tu te postes sur les berges de la Seine, et tu attends que quelqu’un tombe. Ça doit être assez fréquent, non ? Avec tous ces gens qui brûlent les abribus, et qui demandent des aides, il doit avoir recrudescence de désespérés. Suffit d’être un peu patient. La France reconnaissante va se montrer bonne fille et avec un peu de chances, avec le passeport, y aura la breloque qui va bien. Pour faire joli sur le bleu de chauffe. Voilà voilà, c’est pas tout ça, mais demain, y a école, et je me lève tôt...

PS : disons-le tout de même, la petite info dont personne n’a parlé, même pas le petit journal de Canal, à Rungis, il y avait un comité d’accueil, des militants CGT, qui avaient déployé les banderoles pour demander la régularisation de ceux qui bossent au black, dans ce si beau marché - mais si, il y en a, on vous le dit - , on te les a fait dégager vite fait, les râleurs, eh faut pas gâcher la photo de mode, non plus. Et puis quoi, ces gars-là, ils n’ont qu’à avoir un gamin qui fait du cinéma. Ça aide.

brigitte blang


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